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Perspectives socialistes sur la question flamande

Ernest Mandel - Archives internet
Ernest Mandel et Jacques Yerna Imprimer
La Gauche n°16, 19 avril 1958

Le temps fait et défait les nations. Mais celles-ci portent inégalement le sceau des événements qui les ont formées. Les plus anciennes, cimentées par une langue et une culture communes, établies sur un territoire bien délimité, riches de traditions millénaires, paraissent affranchies des circonstances qui ont imprégné leur naissance. Leur existence semble se situer en dehors de l'histoire et répondre à quelque dessein obscur de la providence, Les citoyens de ces nations privilégiées peuvent remonter le cours des siècles. Ils retrouvent dans le passé l'image immuable de leur mère patrie telle que cent générations de « grands ancêtres » lont façonnée.  

Ainsi, le jeune Français se réfléchit et s'admire dans les quarante rois qui ont fait le royaume de France et les révolutions qui l’ont défait. La monarchie absolue et la déclaration des droits de l’Homme, les cathédrales gothiques et les loges maçonniques, le ratissage des Tunisiens et la vocation universelle de la France sont les aspects changeants, mais toujours caractéristiques, d’une même réalité. Anatole France est l'héritier spirituel de Pascal et Bossuet, Sartre et Proust, au même titre que Voltaire témoignent de la clarté du génie latin imperméable aux rêveries et aux spéculations métaphysiques des lourds Germains.

Mais d'autres nations sont d'origine plus récente. Elles portent, sans pouvoir les cacher, la marque d'influences passagères et contradictoires. Leur existence semble plus contestable. L'histoire qui les a formées aurait pu suivre un cours différent. Ainsi, de la Belgique. Née en 1830, de circonstances dont la nécessité interne ne paraît pas évidente, composée de deux communautés distinctes, l'une et l'autre parfois, attirée vers d'autres collectivités, elle trahit un destin plus accidentel. Ses habitants parlent deux langues différentes et se réclament de deux cultures distinctes. Le jeune Belge qui veut retrouver dans le passé l'âme de son pays, n'aperçoit que des images confuses. Tribus gauloises, célèbres par leur férocité, colonisateurs romains et germaniques. Comtes et ducs féodaux, princes des maisons de Valois et d'Habsbourg, révolutionnaires français et orangistes se succèdent, portés par les vagues successives de l'histoire. Sans doute, ces vicissitudes recouvrent-elles des réalités plus profondes et plus permanentes. Les roîs francs, les comtes de Flandre, les ducs de Bourgogne, les princes espagnols et autrichiens s’en sont allés, les Belges sont restés. Mais, il semble parfois que ce soit par solde, faute d’une solution différente.

I. La Belgique française

Lorsqu’en 1830 l'Etat belge naquit de la révolution de septembre, ses fondateurs firent choix de la langue française, comme langue officielle unique. L'administration fut française. La justice également. L'armée, l'enseignement aussi. La langue flamande était ignorée. En fait, tout se passa comme si elle n'existait pas. Ainsi le nouvel Etat se plaçait d'emblée sous le signe exclusif de la culture française. L'essentiel n'est cependant pas là. L'Etat belge a été incontestablement un facteur important de francisation des Flandres. Mais il n'est pas à l'origine de celle-ci. La francisation des Flandres a été le résultat d'un processus de différenciation interne de la collectivité flamande.

Au sein de toute communauté, les différentes classes sociales tendent à se distinguer par des caractères propres. Cette tendance s'observe surtout chez les couches possédantes, Celles-ci adoptent le plus souvent un, style de vie et un mode d'existence particuliers, notamment sur le plan de l'habitation» de la culture et des loisirs.

En pays flamand, cette différenciation sociale a pris une forme très spéciale. Les classes dominantes flamandes ont adopté comme langue véhiculaire le français tandis que le flamand restait l'idiome du peuple. Une évolution similaire, mais moins prononcée se constate d'ailleurs dans la plus grande partie de l'Europe du 17e au 19e siècle. De 1648 à 1913, le français a exercé, en Europe, une hégémonie linguistique incontestable. Sur tout le continent, il a été au cours de cette période, la langue des classes possédantes, soit langue principale, soit langue dite de culture. Mais cette évolution a été beaucoup plus nette et durable en Flandre.

Les événements historiques ont joué ici un rôle considérable. La proximité de la France, les liens de vassalité entre le comté de Flandre et le royaume de France, le règne des ducs de Bourgogne, princes français de la maison de Valois, la scission des Pays-Bas au XVIe siècle, la décadence économique et culturelle des provinces belges au XVIIe siècle, l'occupation française sous la révolution et l'empire ont favorisé la francisation de l'aristocratie et de sa bourgeoisie flamandes. Ainsi s'explique qu'accident passager ou mode éphémère en Hollande, Allemagne et Russie, en Flandre la francisation devint phénomène durable.

Cependant le français n'a pas été imposé de l'étranger à des habitants réfractaires. Sans doute ne faut-il pas sous-estimer le poids des facteurs externes, notamment de vingt ans d'annexion à la France et, ultérieurement, de l'évolution inégale des industries flamandes et wallonnes. Mais l'histoire n'a pas imposé de solution. Dans la situation concrète où elles se trouvaient, les classes dirigeantes flamandes ont choisi le français. Elles l'ont choisi en ne s'opposant pas aux facteurs de francisation alors qu'elles ont rejeté la politique de néerlandisation poursuivie sous le régime hollandais par Guillaume 1er. Elles l'ont choisi encore en imprimant au nouvel Etat belge, d'accord avec la bourgeoisie wallonne, un caractère exclusivement français.

Que les fondateurs de la Belgique aient adopté le français comme seule langue officielle s'explique donc aisément. L’Etat, né de la révolution de 1830, était un Etat. bourgeois. Il était l'Etat d'une petite minorité de la population qui parlait le français, au nord comme au sud de la frontière linguistique. Il a, dès lors, choisi d'un même mouvement le suffrage censitaire et la langue française. La langue parlée par la majorité du peuple flamand était ignorée, comme l'était le peuple flamand lui-même. L'Etat était francophone par la forme même des choses puisque tous les citoyens de plein droit parlaient français, A fortiori, les Wallons ne pourraient-ils être tenus pour responsables de la situation ainsi créée. S'ils ont pu en bénéficier, ils n'en ont pas été les auteurs. Il n'y a jamais eu de domination wallonne en Flandre. Il y a eu, en Flandre comme en Wallonie, hégémonie de la bourgeoisie censitaire de langue et de culture françaises.

La question flamande est donc, dans son principe, une question sociale. Elle l'a été dès ses origines. Elle l'est encore aujourd'hui. La lutte du peuple flamand pour sa langue et sa culture s'inscrit dans le mouvement général d'émancipation populaire qui caractérise l'histoire contemporaine. A ce titre, elle est essentiellement une bataille démocratique. Parmi les libertés humaines, celle de parler sa langue, n'est-elle pas une des plus fondamentales ?

Tout citoyen ne doit-il pas pouvoir s'exprimer dans l'idiome qui est le sien et qui est, le plus souvent, le seul qu'il comprenne ? Les discussions savantes ou substiles sur les mérites respectifs des langues française et flamande, à supposer qu'elles aient un sens, sont étrangères au problème.

Pour un individu déterminé, le passage d'une langue à une autre est souvent malaisé et peut être la source de nombreuses difficultés. Pour un peuple, considéré dans son ensemble, l’entreprise est impossible. Aussi bien cette entreprise n’a-t-elle pas été tentée. La bourgeoisie francophone des Flandres n’a jamais vu dans la primauté du français que la défense de ses privilèges sociaux. Elle n'a jamais souhaité sincèrement franciser les masses populaires flamandes. La francisation de la Flandre est restée marginale. Elle n'a, jamais affecté qu'une infime minorité de la population.

II. Bilan de cent ans de luttes flamandes

La longue lutte des masses flamandes pour le respect de sa langue et de sa culture a abouti, vers les années 1930 à 1935 à des victoires capitales. Le flamand est devenu la langue officielle de la Belgique au même titre que le français. Les Flamands jouissent des mêmes privilèges que les francophones. L'égalité est complète, tant en matière d’administration que de justice et d’enseignement. Pourtant, s'il est en voie, de résorption, le problème n'est pas complètement résolu.

Il faut à cet égard se méfier des jugements extrêmes. Les droits conquis par les Flamands sont considérables. Le droit d'étudier en néerlandais, celui d'être administré et jugé dans cette langue garantissent dans une large mesuré le développement  harmonieux de la collectivité flamande. Celle-ci n’est ni opprimée, ni persécutée comme quelques extrémistes saugrenus se plaisent à le crier. Aucune analogie entre la situation présente et celle qui prévalait il y a cent ans.

Si la question flamande n'est pas encore entièrement résolue, ou plutôt si elle a été mal résolue, c'est parce qu'elle a été posée sur un plan sur lequel elle n'est pas susceptible de l'être. Le problème était sociologique. Une fraction, moins de 5%, du peuple flamand, a adopté une langue véhiculaire étrangère, le français. Elle s'est ainsi constituée en une caste séparée du reste de la population. Cette caste détenait, et détient toujours, l'essentiel du pouvoir économique et financier. Etroitement liée à la bourgeoisie bruxelloise et wallonne, elle contrôle avec celle-ci les principales entreprises du pays. Le prestige sociologique de cette minorité sur le reste du peuple flamand a été et est resté le principal facteur de francisation. Ce prestige est lié à ses prérogatives économiques.

Or, le mouvement flamand a, pour l'essentiel ignoré ces réalités. Il a situé ses revendications sur le plan juridique. Il a imposé l'emploi exclusif du flamand dans l'administration, la justice et l'enseignement. Mais il n'a pas revendiqué le retour au peuple du pouvoir économique et financier exercé par cette minorité. Dirigé, en ordre principal par des membres des classes moyennes, il n'a pas pu s’engager dans cette voie qui impliquait le passage de la démocratie bourgeoise à la démocratie socialiste. De là le résultat inégal de son action. Celle-ci n'a pas débouché dans le vide, comme certains l'ont prétendu. Mais, de même que le suffrage universel, malgré ses mérites, n'a pas émancipé les travailleurs, l'égalité linguistique n'a pas résolu les difficultés flamandes. En marge des autorités légales, le pouvoir-économique et financier reste concentré entre les mains d'une petite minorité francisée.

Les Flamands francophones, demeurés maîtres de l'appareil économique, se sont vite adaptés, à la flamandisation de la vie publique. Le danger d’une francisation progressive de la Flandre est certes définitivement écarté et le nombre de francophones aura tendance à se réduire dans le futur. Mais il reste que la plupart des grandes entreprises situées en pays flamand, sont dirigées dans une langue qui n'est pas celle des ouvriers et des employés qui y travaillent. Il reste que dans la plupart des villes flamandes, une petite minorité, francophone exerce une influence sans relation avec son importance numérique. Il reste que la circulation sociale et les échanges culturels entre les diverses couches de la population sont freinées à l'intérieur de la communauté flamande. Cette situation ne paraît pas appelée à se modifier rapidement. Si le « fransquillonisme » est condamné par l'histoire, l'exécution du jugement sera longue et difficile.

Cette prépondérance sociologique du français peut d'ailleurs sous certains aspects altérer de façon sensible le rapport entre les diverses communautés. Dans les services centraux de l'Etat, la langue française continue souvent à bénéficier d'une primauté de fait. A Bruxelles et dans l'ensemble de l'arrondissement qui l'entoure, le long de la frontière linguistique, le poids des couches sociales francophones comporte incontestablement un effet non négligeable de dénationalisation. Cet effet est le plus sensible de Bruxelles et dans les communes environnantes. Bruxelles, ville flamande à l'origine, comme Gand ou Anvers, a été. progressivement francisée. Cette francisation n'est plus limitée, comme dans les autres villes flamandes, à l'aristocratie et à la haute bourgeoisie. Elle a gagné, à mesure, la moyenne et la petite bourgeoisie, voire une partie du prolétariat. Une immigration wallonne importante a également modifié la physionomie sociale de la capitale. L'expansion spontanée de celle-ci, la suburbanisation progressive des régions rurales avoisinantes, modifie, d'autre part, le régime linguistique de ces dernières.

Les autochtones, paysans pour la plupart, risquent d'être, « assimilés » progressivement par les citadins qui fuient, la ville. La frontière linguistique se déplace ainsi légèrement. En outre, les immigrants flamands, qui de plus en plus se fixent à Bruxelles, sont à leur tour entraînés par le mouvement. La capitale est devenue ainsi un foyer actif de francisation. Cette évolution est complexe. Elle ne se laisse pas ramener à des facteurs linguistiques exclusivement, mais résulte en ordre principal d'une série de mouvements sociologiques, en majeure partie spontanés et inéluctables.

Toute capitale exerce une attraction centralisatrice. Toute grande ville tend à remodeler la structure sociale et culturelle de la région qui l'entoure. Mais à Bruxelles, le mouvement comporte, au surplus, le passage de dizaines, voire de centaines de milliers de citoyens du flamand au français. De là naissent inévitablement des frictions et des malentendus, voire des oppositions plus profondes. De là, un climat empoisonné qui entretient un nationalisme souvent rétrograde.

III. Les positions socialistes

La position socialiste doit être sur le problème flamand claire et nette. Les socialistes estiment que la lutte du peuple flamand a été et est une lutte juste et progressiste. Les socialistes flamands ont le devoir de participer à cette lutte et de l'intégrer dans le mouvement général d'émancipation des travailleurs. Les socialistes bruxellois et wallons sont tenus de la soutenir. Mais cette lutte, ils entendent la poursuivre sur le terrain qui leur est propre, celui des relations économiques et sociales. Sur ce terrain, ils revendiquent

  1. L'instauration, de la démocratie économique en Flandre comme dans la partie francophone du pays. Le retour à la nation des grandes entreprises aura pour conséquence de flamandiser celles qui sont situées en pays flamand, d'établir un régime linguistique bilingue dans celles dont les activités s'étendent à toute la Belgique. 
  2. La planification de l'économie nationale. Dans le cadre de cette planification, les problèmes économiques spécifiques aux provinces flamandes trouveront une solution conforme à la fois à l'intérêt de ces provinces et à celui de l'ensemble du pays. 

La mise en œuvre de cette double réforme aura pour effet d'enlever à la minorité francophone des Flandres ses assises économiques et financières. Celle-ci perdra ainsi son statut privilégié actuel et cessera de constituer, comme aujourd'hui, un facteur de francisation des masses populaires. Car, si celles-ci sont sensibles à l'influence qui découle de cette minorité, c'est pour des raisons d'ordre social, Si beaucoup de parents flamands envoient encore leurs enfants dans des écoles françaises, c'est pour leur permettre de gravir l'échelle sociale et non pour « A la recherche du temps perdu » dans l’original. 

Il appartient aux socialistes de montrer au peuple flamand le rapport étroit entre la lutte linguistique et la lutte sociale. L'une ne peut être séparée de l'autre. Le droit de l’ouvrier et de l'employé de participer à la vie de l'entreprise à laquelle ils donnent leur travail ne fait qu'un avec celui d'utiliser dans cette entreprise leur langue. L'émancipation culturelle et linguistique n'est qu'un des aspects de l'émancipation, générale des travailleurs. De même, le devoir pour l'Etat de résoudre les problèmes industriels propres à une partie des provinces flamandes s'intègre tout naturellement dans celui, plus général, de promouvoir l'expansion économique du pays.

La réciproque est vraie. On ne peut exiger la flamandisation des grandes entreprises situées en Flandre sans réclamer leur retour à la nation. Car, si ces entreprises sont considérées comme relevant du patrimoine national, cela doit être vrai et du point de vue linguistique et du point de vue social. En revanche, s'il est juste que l'entrepreneur puisse seul décider des investissements et des arnortissements, fixer les prix et les salaires, régler la discipline interne, il est normal qu'il puisse également choisir le régime linguistique.

Au demeurant, la flamandisation. même si d'aventure elle était réalisée, restera purement formelle aussi longtemps que seuls les représentants du capital exerceront le pouvoir au sein de l'entreprise. L'expérience a montré que la minorité francophone s'est adaptée, sans trop de difficultés, à la flamandisation de la vie publique. Ne doutons pas qu'elle s'adapterait également à celle des entreprises si son autorité financière et économique n'était pas supprimée. Les usines et les bureaux seraient flamands, comme les plages du Zoute par un beau matin du mois de juin.

De même les problèmes économiques propres à la Flandre ne peuvent trouver de solution heureuse que dans le cadre d'une planification socialiste. Le développement indus-triel moins poussé de trop d'arrondissements flamands, le chômage endémique et les bas salaires qui y prévalent ne sont pas, comme certains le voudraient, la conséquence d'influences wallonnes occultes. Ces phénomènes résultent spontanément des « lois du marché » et surtout de la libre recherche du taux de profit optimum. Il ne peut y être porté remède qu'en subordonnant les mécanismes capitalistes à un plan économique et financier visant à assurer le plein emploi, l'expansion du revenu national * et l'élévation du niveau de vie des travailleurs.

Les réformes esquissées ci-dessus jetteront les bases à une solution définitive du problème flamand. Elles devront être complétées par des mesures d'une portée moins générale, visant à résoudre des questions plus circonscrites : statut linguistique de la capitale et des communes environnantes, frontière linguistique, régime des administrations centrales.

Il n'entre pas dans le cadre de cet article d'examiner ces questions. Qu'il suffise d'indiquer que les socialistes sont disposés à les examiner sans parti-pris et sans préjugés « belgicistes » ou centralisateurs, îl s'agit de trouver les solutions qui garantissent le mieux le développement des diverses communautés culturelles de ce pays et la liberté des citoyens. Aucune voie ne doit être fermée à priori. En principe, le fédéralisme ne heurte en rien les convictions socialistes. On peut être conduit à le rejeter pour des raisons d'opportunité, car son instauration risque de détourner, pendant toute une décade, les énergies vers la solution d'un seul problème, d'attiser les passions nationalistes, de créer un nouvel abcès du type de ceux qui emploisonnent depuis trop longtemps l'atmosphère de notre pays. Il serait, d'autre part, susceptible de semer le désordre dans la vie économique. Mais appliqué dans des domaines limités, par exemple en matière culturelle, il n'est pas exclu qu'à l'expérience il puisse se révéler fécond. Beaucoup dépend ici de la qualité et des convictions démocratiques de ceux qui seraient amenés à le mettre en œuvre.

Intégrer le problème flamand dans une perspective plue large logique, lui assigner au surplus dans ce cadre sa juste place ; problème important mais non capital, social mais non idéologique, ayant en outre déjà reçu sur de nombreux plans une solution satisfaisante. Tel est le premier devoir des socialistes.

Mais dans le même temps qu'ils œuvrent pour une solution rationnelle du problème flamand, les socialistes doivent combattre, sans relâche, le nationalisme flamand, comme il doivent lutter contre tout nationalisme. Il s'agit de parachever l'émancipation sociale et culturelle des Flamands. Il ne s'agit pas de sacrifier sur l'autel d'une mère patrie, qu'elle soit flamande ou néerlandaise. Les options sociales et économiques doivent prendre le pas sur les options nationales. Et les options purement linguistiques conduisent rapidement vers le sectarisme et la xénophobie.

Ce danger guette de façon permanente le mouvement flamand et il y a souvent succombé. Incapable de résoudre complètement ses difficultés, parce qu'il avait mal posé le problème, il a souvent été tenté de compenser son incapacité relative par des débordements verbaux stériles. Ainsi s'explique que dans l'entre-deux-guerres, une fraction importante de ce mouvement ait débouché dans le fascisme. Le danger est moins grand aujourd'hui car beaucoup de problèmes ont été résolus. Mais il existe encore.

Ainsi, un grand journal flamand important, qui dans d'autres domaines paraît ouvert au dialogue et adopte souvent des solutions progressives, se publie toujours sous le slogan « Tout pour la Flandre, la Flandre pour le Christ ». Nous laisserons à d'autres le soin d'examiner si entre les Flamands et le Christ le seul intermédiaire qui puisse s'imaginer, n'est pas l'Eglise et si la condamnation qui a frappé Maurras ne s'applique pas également à des formules de ce type. Mais un socialiste n'admettra jamais que son adhésion à une collectivité nationale soit totale ou que le salut de sa patrie soit le centre de ses pensées et de son activité. Cette condamnation du nationalisme vise d'ailleurs également un certain wallingantisme et une certaine francolâtrerie à laquelle trop de nos amis ont sacrifié. Le socialisme n'a rien à voir avec ce mélange curieux d'anticléricalisme, de patriotisme, de civisme et d'amour sacré de la France que certains s'ingénient à faire passer en son nom. 

Les solutions pratiques proposées sur le plan économique et social permettront d'ailleurs de largement démystifier la question. Une fois le monopole financier de la bourgeoisie francophone brisé, il sera même possible d'assouplir la législation linguistique dans ce qu'elle comporte de vexatoire. Car il faut bien l'avouer, les lois linguistiques sont peu populaires dans la mesure où elles privent certains habitants du royaume d'une partie de leur liberté. Comment justifier qu'un Flamand d'expression française ne puisse élever ses enfants dans sa propre langue ?

La contrainte linguistique n'aurait dû constituer qu'une mesure de sauvegarde provisoire. Faute de résoudre le problème social de base, elle est devenue l'arme essentielle du mouvement flamand.. Elle a pris ainsi un caractère de plus en plus draconien. Et certains esprits obtus ne voient , encore aujourd'hui d'autres solutions que dans son renforcement. Quelques-uns rêvent d'entourer Bruxelles d'un véritable cordon sanitaire, voire de doter chaque habitant de la capitale d'un état civil linguistique immuable. Comme si une fois les privilèges économiques et sociaux abolis, la communauté flamande ne serait pas à même par son dynamisme propre de sauver son intégrité. Comme si l'existence d'une petite minorité de citoyens attachés à une culture et à une tangue différente de celle de la majorité était, en elle-même, un scandale inadmissible. Comme si le sort de la Flandre se jouait à Wemmel ou à Rhode-Saint-Genèse.

IV. Ouvrir le dialogue

Le socialisme de gauche ne se distingue pas du socialisme de droite uniquement en ce qu'il serait plus radical et plus conséquent, plus fidèles aux principes de base. Il entend également être plus ouvert, plus dégagé des clichés et des routines.

Il y a souvent peu de rapports entre les opinions qu'un individu défend et l'étiquette qu'il porte. Aussi ne faut-il pas, s'arrêter a cette dernière. Au-delà du langage différent, des habitudes prises, des préjugés et des malentendus, il faut ouvrir le dialogue' avec tous ceux qui peuvent collaborer avec nous pour l'instauration progressive d'une société plus juste et plus libre. Aucun soutien ne doit être rejeté. Parmi les militants du mouvement flamand, beaucoup pourraient nous aider à réaliser le socialisme. Peu importe les chants et les slogans. Derrière les drapeaux jaunes et noirs, derrière les lions flamands, des hommes luttent pour un idéal qui leur paraît juste. Il faut aller vers eux et confronter leurs idées avec les nôtres.

Il ne s'agit pas de réhabiliter le nationalisme flamand. L'histoire l'a condamné comme elle a fait du nationalisme français. L'un comme l'autre ont débouché dans le fascisme, la délation, la terreur et, ironie suprême du sort, dans l'asservissement à l'occupant étranger. « Tout pour la Flandre » a fini par signifier « tout pour l'Allemagne » comme la « France seule » de Maurras se transforma en la « France allemande ». Jamais les socialistes ne permettront qu'il soit revenu sur cette condamnation. C'est le motif pour lequel ils s'opposent à toute forme d'amnistie générale des crimes commis sous l'occupation. Et ils ne distinguent pas, à cet

égard, entre les méfaits du droit commun et le soutien politique du national-socialisme. Quoi que l'on dise, ce dernier est le plus grave. Ils sont prêts à pardonner à ceux qui se sont trompés et à ceux qui ont commis des fautes. Mais qu'une décision générale vienne se substituer aux mesures de clémence individuelles, qu’une amnistie vienne blanchir le nationalisme flamand lui-même, cela est inadmissible.

L’avenir du socialisme dans ce pays dépend largement de son avenir en Flandre. Les succès déjà obtenus sont impressionnants. Il s’agit, aujourd’hui, de réussir une percée décisive. A cette fin, il faut trouver pour notre mouvement une audience plus large que par le passé, s’adresser à des couches sociales que nous n’avons pas encore pu gagner. Plusieurs conditions sont nécessaires à cet égard. La première est de mettre sans arrêt l’accent sur les problèmes sociaux et économiques. La seconde est de convaincre une partie de l’opinion publique flamande que le socialisme n’est pas une idéologie religieuse qui entend se substituer à un culte quelconque, mais un mouvement de transformation sociale axé sur le maintien de la démocratie politique et l’instauration de la démocratie économique. Le respect des convictions religieuses de chacun n'est pas un mot d'ordre tactique mais une exigence fondamentale du socialisme. 

La troisième condition du succès de notre mouvement est de s'adresser à chacun dans un langage qu'il comprend. Non par opportunité politique, mais parce qu'il faut partir des préoccupations effectives des hommes, des problèmes et des questions qu'ils se posent et les aider à les résoudre. Le socialisme ne doit pas leur être apporté de l'extérieur. Il doit s'enraciner dans leur existence, dans leur niveau de compréhension, se dégager progressivement de leurs réflexions. 

 Si ces conditions peuvent être réunies, le socialisme est assuré de réaliser des progrès considérables. En Flandre comme en Wallonie, les travailleurs forment la très grande majorité de la population. L'union des salariés flamands et francophones, croyants et non croyants, peut demain renverser la physionomie politique de ce pays et rendre possible la construction immédiate du socialisme.

 

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