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Le legs de Lénine

Ernest Mandel - Archive internet
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La Gauche, n°16, 18 avril 1970

L'oeuvre que Lénine a accomplie au cours de sa vie forme un tout au sein duquel il n'est pas possible de séparer la théorie de la pratique. Lénine lui-même a déclaré : " Sans théorie révolutionnaire, pas de pratique révolutionnaire ". Aucune personne sensée ne peut contester aujourd'hui la signification historique de la Révolution socialiste d'Octobre ou de la création de l'Etat soviétique.

Ces événements ont marqué de manière indélibile l'histoire de notre siècle et celui du siècle prochain. Mais si l'on se place du point de vue des effets à longue échéance, la conception théorique qui a rendu possible ces grands événements devient aussi importante sinon davantage que les faits eux-mêmes. Car c'est précisément cette conception qui permettra à la longue d'étendre à l'échelle de la planète la Révolution d'Octobre, tentative qui a temporairement échoué du vivant de Lénine et de Trotsky.

Le corps du léninisme, qui développe le marxisme à l'époque impérialiste, repose sur sept piliers principaux. Ces sept parties constitutives essentielles du léninisme demeurent aussi valables aujourd'hui que lors de la mort de Lénine voici quarante-six ans - et il y a plus : leur signification entière ne commence à être compris qu'aujourd'hui par des masses sans cesse grandissantes d'ouvriers, de paysans pauvres, d'intellectuels révolutionnaires et d'étudiants dans plusieurs parties importantes du monde.

1. L'IMPERIALISME : DERNIER STADE DU CAPITALISME


La théorie de l'impérialisme en tant que phase suprême du capitalisme au sein de laquelle la libre concurrence mène à la création de grands monopoles (trusts, holdings, cartels, konzerns, et nous pourrions ajouter aujourd'hui les sociétés multinaltionales), c'est-à-dire à a domination par une petite poignée de groupes financiers de l'économie et de la société des pays impérialistes et de leurs satellites coloniaux et semi-coloniaux.

L'impérialisme ne signifie pas nécessairement la fin de la croissance économique, le point final de la  croissance des forces productives. Mais il signifie que le capitalisme a rempli sa tâche historiquement progressive de créer un marché mondial et d'introduire une division internationale du travail, et qu'une époque de crise structurelle de l'économie mondiale s'est ouverte.

Cette crise structurelle, bien qu'elle coïncide parfois avec les crises conjoncturelles profondes de surproduction (comme ce fut le cas en 1929-33 et au cours des soi-disant "récessions" qui suivirent), est caractérisé par deux traits absolument réactionnaires : dans les parties sous-développées du globe, elle fait obstacle justement aux processus de libération nationale, d'unification, d'émancipation agraire et d'industrialisation que les grandes révolutions bourgeoises du passé ont réalisés en Occident.

Dans les pays impérialistes eux-mêmes, elle est marquée par un parasitisme croissant et effroyable (gaspillage à grande échelle des ressources matérielles et humaines, non seulement à la suite de guerres, de chômage, de surproduction, etc., mais aussi par l'augmentation massive des frais de vente et de distribution, la dégradation systématique de la qualité des produits, la menace de rupture de l'équilibre écologique et celles quelle fait peser sur la survie physique même de l'humanité.

2. LE CARACTERE REVOLUTIONNAIRE DE NÔTRE EPOQUE


La théorie du caractère révolutionnaire de notre époque, de l'" actualité " de la révolution socialiste découle directement de la crise structurelle du capitalisme mondial. Alors que cette crise est permanente (quoique marquée par des hauts et des bas, des périodes de stabilisation temporaire et de grande instabilité du capitalisme dans les pays et les continents clés), il n'existe pas du point de vue léniniste de " situations révolutionnaires permanentes " : si la classe ouvrière ne met à profit une combinaison favorable de circonstances pour conquérir le pouvoir, une défaite de la révolution crée les conditions préalables d'un retour temporaire de la classe capitaliste. La révolution socialiste mondiale qui se trouve à l'ordre du jour depuis la première guerre mondiale emprunte la forme d'un processus.

La chaîne de pays assujettis par le capitalisme impérialiste se rompt d'abord en ses maillons les plus faibles (ceux-ci peuvent être des pays sous-développés comme la Russie et la Chine, mais il n'existe pas de loi dans la pensée de Lénine prévoyant qu'il doive en être ainsi).

Pour Lénine, si les travailleurs de chaque pays où se présente une situation révolutionnaire favorable doivent s'emparer du pouvoir par tous les moyens possibles, ils doivent considérer ceci comme un moyen de renforcer les forces révolutionnaires des pays voisins et à l'échelle mondiale et ils devraient toujours se considérer eux-mêmes comme un détachement du mouvement communiste mondial.

3. LE PARTI


La théorie du parti révolutionnaire d'avant-garde qui est basée sur une compréhension correcte, dialectique, de l'interrelation entre les luttes de masse objectives et la conscience de classe sous l'empire du capitalisme.

Défendant et développant les concepts de Marx et d'Engels du matérialisme historique et dialectique, Lénine rejetait la croyance mécaniste et naïve que la lutte de classes engendre par elle-même la possibilité pour la classe exploitée - semée de toutes les sources principales de la science - de reconstruire spontanément la théorie marxiste, le produit suprême de siècles de progrès intellectuels et scientifiques de l'humanité.

La théorie marxiste, la conscience de classe socialiste, doivent être injectées de l'extérieur dans la lutte de classes par les efforts conscients d'une avant-garde révolutionnaire. Sans pareil effort soutenu, la majorité écrasante de la classe ouvrière demeure assujettie à l'influence prédominante de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise. Mais si elle ne parvient pas à se fondre dans une importante avant-garde ouvrière, la minorité révolutionnaire n'est pas encore un parti mais demeure une tentative de construire un tel parti. Lénine rejetait toutes les conceptions d'avant-garde autoproclamées.

Il s'agissait à ses yeux de soumettre la théorie à l'épreuve de la pratique, c'est-à-dire la capacité de l'avant-garde de mener effectivement de larges luttes ouvrières. Et le test suprême du parti - la direction au cours de la lutte pour le pouvoir - présuppose la conquête du soutien conscient de la majorité de la classe ouvrière et des masses laborieuses.

4. LES CONSEILS OUVRIERS


La théorie des conseils ouvriers (soviets) en tant qu'instruments du pouvoir de la dictature du prolétariat, et en tant que formes de démocratie supérieures à la démocratie parlementaire bourgeoise. Comme Marx, Lénine croyait qu'il existe une période de transition entre le capitalisme et le socialisme appelée la dictature révolutionnaire du prolétariat.

Pas plus que Marx, Lénine ne croyait possible de renverser le capitalisme par la voie des réformes graduelles des élections parlementaires ou de la législation dans le cadre des institutions bourgeoises. La victoire de la révolution socialiste présuppose non seulement la propriété collective des moyens de production mais aussi la destruction de la machine d'Etat bourgeoise - c'est-à-dire de l'appareil répressif dirigé contre la grande masse de la population. L'essence de l'Etat ouvrier, autrement dit de la dictature du prolétariat, ne réside pas pour Lénine dans quelque cauchemar " totalitaire" de type 1984 (1), mais, comme il l'a décrit dans " L'Etat et la Révolution ", dans un système démocratique centralisé de conseils ouvriers librement élus exerçant simultanément toutes les fonctions législatives et executives, comme l'avait fait la Commune de Paris.

Pour Lénine la dictature du prolétariat signifie que pour les travailleurs et les masses laborieuses jouiront de plus de libertés démocratiques effectives que sous n'importe quel régime de démocratie bourgeoise. Elle signifie la jouissance pleine et sans restrictions de la liberté de presse, de la liberté d'association et de manifestation pour tous les groupes de travailleurs (et non seulement pour un seul parti) aussi bien que les moyens matériels de jouir de ces libertés.

Même en ce qui concerne les classes bourgeoises, Lénine n'excluait pas par principe la possibilité qu'elles puissent jouir des libertés démocratiques sous la dictature du prolétariat, mais il n'était pas prêt non plus à leur en garantir l'exercice. Dans son esprit ceci était une question de rapport de forces et de la violence de l'opposition contre-révolutionnaire à la classe ouvrière victorieuse.

En ce qui concerne le rôle dirigeant du parti au sein des institutions soviétiques, pour Lénine ceci relevait strictement de la persuasion politique, de la capacité de gagner l'allégeance d'une majorité et n'aurait rien à voir avec une répression systématique de toutes les tendances en présence (Lénîne n'admit la nécessité de cette répression qu'au cours des circonstances exceptionnelles de guerre civile, lorsque la plupart de ces tendances étaient impliquées dans une violence militaire ouverte contre le gouvernement révolutionnaire).

5. L'INTERNATIONALE


La théorie de l'internationalisme, l'internationale étant la seule forme d'organisation pour l'avant-garde prolétarienne et les Etats ouvriers adaptée aux besoins de l'économie mondiale et de l'humanité laborieuse qu'engendre l'impérialisme. C'est pourquoi Lénine proclame la nécessité d'une IIIe Internationale le jour même où il reconnaît que la IIe est morte. C'est pourquoi jusqu'à la fin, il est un défenseur passionné du droit à l'autodétermination de toutes les nations.

C'est pourquoi il proclama la nécessité de l'indépendance de l'Internationale Communiste par rapport à l'Etat soviétique : aucune manœuvre de cet Etat (par exemple le fait de conclure une trêve avec l'impérialisme allemand, l'alliance avec l'Etat kémaliste en Turquie, etc.) ne devait impliquer quelque changement d'orientation que ce soit de l'Internationale Communiste par rapport à sa ligne politique consistant à préparer, favoriser et assurer partout les meilleures conditions possibles pour la victoire des luttes révolutionnaires prolétariennes partout dans le monde.

Pour la même raison, il s'opposait à toute tentative de russification des républiques soviétiques non russes et considérait l'attitude des communistes dès pays impérialistes envers les mouvements nationaux de libération des pays opprimés par leur propre bourgeoisie comme la pierre de touche de l'internationalisme.

6. ROLE DU PARTI


La théorie de la centralisation politique, par un parti révolutionnaire d'avant-garde, de toutes les exigences démocratiques progressistes des masses et des mouvements de masse, en un flot unique canalisé vers la révolution socialiste. Alors que Lénine développa cette conception à une époque à laquelle il n'acceptait pas encore l'idée de la transcroissance ininterrompue de la révolution russe en révolution socialiste, il maintint et développa cette conception pendant les années de fondation de l'Internationale Communiste, lorsqu'il basa toute sa pensée sur la stratégie orientée vers la révolution socialiste mondiale.

Cette conception découle d'une compréhension dialectique de la stratification des classes ouvrières et des masses laborieuses en couches possédant des niveaux de conscience différents et ayant des intérêts immédiats, qu'il s'agit de réunir toutes (pour autant qu'elles n'aient pas entraîné des causes contre-révolutionnaires) en vue de créer les conditions propices à une révolution de masse. Elle découle aussi d'une compréhension profonde de la nature pntidémocratique et réactionnaire de l'impérialisme qui non seulement prive la majorité de l'humanité des droits aussi élémentaires que ceux de l'indépendance nationale et de la dignité, mais qui tend aussi à ronger dans les pays impérialistes eux-mêmes les conquêtes mêmes des révolutions bourgeoises démocratiques du passé.

Mais, contrairement aux opportunistes de toute sorte, la conception léniniste d'unification de la lutte pour les revendications démocratiques et les revendications transitoires n'impliquait en aucune façon le rejet ou ;la subordination de l'objectif socialiste aux souhaits ou aux préjudices des " alliés " temporaires ; au contraire, elle se basait sur la conviction ferme que seule la révolution socialiste victorieuse pouvait entraîner le triomphe final et décisif des objectifs démocratiques.

7. LE CENTRALISME DEMOCRATIQUE


La théorie du régime intérieur du parti basé sur le centralisme démocratique, qui ne signifie pas seulement le régime de la majorité, l'exigence pour les minorités d'appliquer en pratique les décisions de la majorité, mais aussi des droits démocratiques entiers de discussion au sein du parti, le droit de former des tendances, de soumettre des plate-formes politiques collectives aux congrès du parti, discutées au même titre que celles de la direction, celui pour les membres d'avoir une information entière et impartiale sur les divergences politiques qui apparaissent dans l'organisation, etc., etc.

C'est ainsi, que le Parti Bolchevique et l'Internationale Communiste fonctionnaient du vivant de Lénine. On peut considérer comme un indice du fossé qui sépare le léninisme du centralisme bureaucratique aujourd'hui appliqué en U.R.S.S. et en Europe de l'Est que la tentative hésitante de la direction du P. C. Tchécoslovaque d'en revenir en 1968 à certaines de ces normes léninistes dans un nouveau projet de statuts pour le XIVe Congrès du Parti devint la cible d'une furieuse campagne de Brejnev et Cie en tant qu'indice de " tendances droitières et antisocialistes " au sein de ce parti.

Déjà avant la mort de Lénine beaucoup de ces principes de base du léninisme, sinon tous, commençaient à être mis en question par la nouvelle direction stalinienne au sein du P.C.U.S. et de l'Internationale Communiste. Le dernier combat de Lénine fut une tentative désespérée de stopper cette perversion de sa doctrine. Ce révisionnisme n'était évidemment pas un phénomène purement idéologique. Il reflétait un profond déplacement social interne de la société russe post-révolutionnaire et du P.C.U.S.

Sur la base de la passivité croissante de la classe ouvrière russe - découlant de l'arriération du pays et du recul temporaire de la révolution mondiale - une couche bureaucratique parasitaire monopolisa l'exercice du pouvoir et l'administration de l'Etat et de l'économie. Elle se "subordonna impitoyablement le parti, le déformant en un appareil défendant ses propres intérêts particuliers, le cas échéant contre les intérêts historiques et immédiats de la révolution mondiale et de la classe ouvrière elle-même. Le stalinisme a été l'expression idéologique de l'ascension de cette élite parasitaire. C'est l'antithèse même du léninisme, doctrine prolétarienne de la révolution socialiste.

LE LEGS DE LÉNINE


L'opposition de gauche autour de Trotsky et, plus tard, la IVe Internationale, maintinrent et enrichirent le legs du léninisme au cours des années de réaction et de retrait de la révolution mondiale. A celles-ci succède aujourd'hui une époque nouvelle de montée révolutionnaire mondiale. Un nombre croissant d'ouvriers, d'étudiants et d'intellectuels révolutionnaires et de paysans pauvres, comprennent la validité du léninisme et participent à la construction de nouveaux partis révolutionnaires à l'échelle mondiale. L'avenir appartient au léninisme. C'est pourquoi il appartient à la IV Internationale.

 

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