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La montée du syndicalisme dans la forteresse impérialiste
Ernest Mandel - Archives internet
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La Gauche, 18 juin 1986

Les années 1934-1938 ne marquent pas seulement la plus puissante montée des luttes ouvrières que l’Europe ait connue après celle de 1917-1921. Elles marquent aussi l’irruption du syndicalisme de masse et de luttes ouvrières tumultueuses dans la forteresse principale de l’impérialisme : les Etats-Unis. 

Des grèves exemplaires... 

La classe ouvrière des Etats-Unis a une longue tradition de luttes, remontant au 19ème siècle. Elle a connu des syndicats combatifs, tels les Chevaliers du Travail, et des grèves générales locales comme celle de Saint-Louis en 1876, modelée sur la Commune de Paris. Mais toutes ces organisations et tous ces combats étaient caractérisés par leur caractère fragmentaire. Les travailleurs étaient séparés les uns des autres par des frontières professionnelles, locales, ethniques, racistes.  

Au début du 20ème siècle, les syndicalistes du IWW et les militants socialistes dirigés par Debs firent un effort louable pour surmonter ces divisions. Ils n’y réussirent pas. Il fallut attendre les retombées de la crise économique de 1929-1932 sur les grandes usines, surgies de l’essor capitaliste d’avant et d’après la Première guerre mondiale, pour que la classe ouvrière des Etats-Unis fasse un saut gigantesque en avant vers la conquête de la conscience et de l’organisation de classe. 

Comme en Europe, le ressort de la montée des luttes ouvrières fut avant tout la volonté des travailleurs de réparer les dommages que la crise avait infligés à leurs salaires et à leurs conditions de travail. Mais l’absence d’organisation syndicale puissante fut un frein pour la lutte. La vieille bureaucratie syndicale du A.F.o.L était pourrie et étroitement liée au patronat et à l’administration Roosevelt. C’est l’apparition de militants syndicalistes indépendants et combatifs dans trois industries locales qui permit trois victoires grévistes. Ces victoires exemplaires mirent le feu aux poudres pour toute la classe ouvrière américaine. 

Dans l’usine Auto-Lite de Toledo, parmi les camionneurs de Minneapolis, et chez les dockers de San Francisco, des militants d’extrême gauche – socialistes révolutionnaires à Toledo, trotskystes à Minneapolis ; proches du PC à San Francisco – réussirent en 1934 à briser les barrières professionnelles et ethniques qui séparaient les travailleurs les uns des autres. Des grèves parties d’une entreprise ou d’une branche industrielle déclenchèrent un vaste mouvement de solidarité englobant tous les ouvriers de la ville. La solidarité des femmes, et même celle des petits commerçants, fut largement assurée. Des piquets de grève massifs et volants – utilisant pour la première fois l’automobile au service de la lutte ouvrière – furent organisés. Toutes ces pratiques donnèrent au combat un caractère d’affrontement de classe. Ce fut l’étincelle qui enflamma l’imagination de la classe ouvrière de tout le pays.  

... à l’émergence du syndicalisme de masse 

Les travailleurs les plus exploités et les plus misérables des Etats-Unis, ceux de l’industrie du textile du sud du pays, suivirent les premiers cet exemple. 40.000 ouvriers et ouvrières cessèrent le travail à partir de septembre 1934. Le syndicat des ouvriers du textile sextupla le nombre de ses adhérents. La grève fut extrêmement violente. La Garde nationale et la police tuèrent  16 grévistes et en blessèrent des centaines. Mais la vieille bureaucratie syndicale trahit la grève, en échange d’une vague promesse de Roosevelt qui ne fut jamais tenue. La déception et l’indignation furent énormes.  

Des clameurs puissantes montèrent de la base. En finir avec les vieux syndicats de métiers dirigés par des chefs corrompus ! Les syndicats aux mains des travailleurs ! Des dirigeants nouveaux, démocratiquement élus ! 

Quelques dirigeants des vieux syndicats, avant tout John L. Lewis, du syndicat des mineurs et les dirigeants du syndicat du vêtement de New-York, sentirent tourner le vent. Ils donnèrent le feu vert au nouveau syndicalisme basé sur les ouvriers de la grande industrie, sans distinction de métier. C’est ainsi que naquit la CIO. Sa puissance principale fut localisée dans l’industrie automobile, l’industrie des mines, l’industrie sidérurgique, l’industrie du caoutchouc, l’industrie de la viande, chez les camionneurs, les dockers et les ouvriers du vêtement. 

Les progrès du syndicalisme de masse fut impressionnant. En l’espace de quelques années, les syndicats passèrent de 3 à 10 millions de membres. Lewis proclamait même que la CIO allait organiser 25 millions de travailleurs. 

Une énorme vague de grèves, la plupart avec occupations d’usines, déferla sur la grande industrie américaine en 1936, 1937 et 1938. Elle se prolongea au lendemain immédiat de la Deuxième guerre mondiale. Près de 16 millions de travailleurs y participèrent. Au sein du principal syndicat nouveau, celui des ouvriers de l’automobile qui organisa près d’un million et demi de travailleurs, la démocratie syndicale fut effectivement conquise pendant plusieurs années. 

Le PC étouffe l’indépendance politique de classe 

Le bond en avant de la classe ouvrière américaine restera-t-il circonscrit à la seule organisation et conscience syndicale ? Telle fut la grande question posée en 1936-1939. Elle confrontait le mouvement ouvrier avec le choix : orientation de la lutte de classe ou orientation de collaboration de classe.  

Le syndicalisme de métier avait été entièrement axé sur l’orientation de collaboration de classe. Elle avait été transformée en véritable credo par le vieux bureaucrate Gompers. Les dizaines de milliers de militants combatifs qui, par des efforts héroïques, avaient permis la percée du syndicalisme de masse en 1934-1938, étaient des partisans farouches de l’orientation de lutte de classe à l’entreprise. D’instinct, ils voulurent transférer cette orientation sur le terrain politique. Ils mirent à l’ordre du jour la création d’un grand parti travailliste fondé sur les syndicats, sur le modèle de la Grande-Bretagne, qui aurait permis à la classe ouvrière de conquérir son indépendance politique par rapport aux deux grands partis de la bourgeoisie américaine, qui monopolisaient la vie politique du pays : le parti démocrate et le parti républicain. 

Au sein de la CIO, et notamment du syndicat de l’auto, la pression en faveur de la création d’un parti travailliste gagna beaucoup de terrain. Mais elle se heurta à un adversaire nouveau et imprévu des travailleurs : le Parti communiste. Subordonnant les intérêts de la classe ouvrière aux exigences de la diplomatie de l’URSS, les staliniens américains se lièrent à la bureaucratie syndicale et à la social-démocratie pour combattre toute volonté d’indépendance politique travailliste. Il fallait à tout prix conserver l’appui des syndicats au parti démocrate de Roosevelt. Ce fut la traduction aux Etats-Unis de la politique du « front populaire ». 

Le résultat fut tout aussi catastrophique qu’en Europe. L’élan formidable des luttes de 1936-1938, relayée encore en 1945-1946, fut brisé net. L’essor des syndicats fut étouffé par la loi Taft-Hartley. La répression anti-communiste fut organisée sur grande échelle durant le Maccarthysme. Tout cela fut réalisé sous l’égide du parti démocrate. La bourgeoisie américaine savait défendre ses propres intérêts de classe. Le PC avait empêché la classe ouvrière de défendre les siens.  

En étouffant l’organisation politique indépendante de la classe ouvrière américaine, comme en étouffant la montée révolutionnaire en Europe, réformistes et staliniens éliminèrent le principal obstacle sur la voie de la guerre. La 2ème guerre mondiale fut le prix que l’humanité toute entière dut payer pour le fait que la vague de luttes ouvrières des années 1930 ne put arriver à sa fin historique : éliminer le règne du Capital qui avait produit la crise et le fascisme

 

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