"La victoire apparente sur le
nationalisme islamique en Transcaucasie n'a fait que donner
suffisamment confiance à l'intelligentsia de Géorgie et
d’Arménie pour qu'elle s'engage dans l'agitation
révolutionnaire. En Asie, Le soutien croissant accordé par
le gouvernement à un mouvement de prosélytisme agressif ne
pouvait qu'offenser les traditionalistes islamiques dans la
population locale [...]. L'Asie centrale et l'Extrême Orient
étaient une terre d'élection pour des aventuriers
impérialistes russes, de louches profiteurs et de
pseudo-vice rois [...]". (54)
Quoi d'étonnant à ce qu'au
moment de la révolution de février 1917, paysans, ouvriers
et nationalités opprimés émirent un cri quasi-unanime -
Assez! Assez! Assez! la terre, le droit à l'auto-détermination,
la journée de 8 heures et le contrôle ouvrier, tout de suite
! Mais le gouvernement provisoire tergiversa, hésita,
prolongea les délais, renvoya la solution de ces questions
jusqu'après les travaux de l'Assemblée Constituante, dont
les élections furent sans cesse retardée.
Quoi d'étonnant, dans ces
conditions, à ce que les masses aient pris toujours plus
leur sort entre leurs propres mains, aient cherché à
résoudre elles-mêmes leurs problèmes vitaux, se soient
reconnues dans la politique bolchevique et dans le pouvoir
des soviets, alors que ceux-ci les résolvait du jour au
lendemain ?
Chapitre IV : L’enjeu
politique
A l'Ouest comme à l'Est, la
condamnation de la révolution d'Octobre se base généralement
sur l'idée que le "putsch" bolchevik aurait empêché
l'institutionnalisation et la consolidation de la
démocratie. Il aurait abouti de ce fait à un "régime
totalitaire". Démocratie ou dictature, telle aurait été
l'alternative en octobre 1917, ainsi que dans les semaines
et les mois qui suivirent.
Il s'agit encore une fois
d'une mystification et d'une falsification historiques
flagrantes. En réalité, la polarisation des forces sociales
et politiques avait atteint un Paroxysme en Russie. cette
polarisation était telle qu'elle ne laissait aucun espace à
une expérience de démocratie bourgeoise institutionnalisée,
voire prolongée. A partir des journées de juillet 1917,
marquées par une radicalisation des exigences populaires,
les partis bourgeois - et les cliques militaires avec
lesquelles ils étaient liés - avaient adopté un cours
nettement répressif.
Le coup d'Etat militaire de
Kornilov d'août 1917 n'est pas tombé du ciel. Il reflétait
le durcissement des luttes socio-politiques. Son échec ne
fit qu'accentuer la soif de revanche contre- révolutionnaire
de la part des classes possédantes et de leurs suppôts. On
le vit à la veille et au lendemain immédiat de
l'insurrection d'Octobre.
La haine des classes des
possédants russes prit une ampleur qu'on a rarement connue.
On peut par exemple la comparer à celle de la bourgeoisie
française au moment de la Commune de Paris, en 1871, et à
celle de la réaction espagnole lors de l'été 1936.
Jacques Sadoul note
pertinemment quelles : "[…] veulent établir un régime
absolutiste qui noiera dans le sang la révolution,
massacrera et déportera pêle-mêle juifs, bolcheviks,
socialistes et cadets ". (55)
Réaction russe et
impérialisme allemand
Cette haine de classe était
si profonde qu'en l'espace de quelques mois, la noblesse et
les monarchistes "Patriotiques", qui S'étaient indignés du
peu d'empressement des soldats pour l'offensive de Kerensky
sur le front de la Galicie polonaise en juin 1917,
appelèrent de leurs vœux l'arrivée des troupes allemandes à
Pétrograd pour écraser le foyer révolutionnaire et devinrent
farouchement germaniques. (56)
Comme le signale encore une
fois Sadoul : "[…] depuis l'arrivée de [l'ambassadeur
allemand] Mirbach à Moscou, les monarchistes se sentent à
l'aise. La première visite de l'ambassadeur allemand a été
rendue à la grande-duchesse, belle-soeur de Nicolas II. Il a
vu depuis d'autres royalistes notoires. Il s'agit évidemment
de préparer une restauration tsariste. Les monarchistes
absolutistes sont prêts à tout accepter sans honte et
notamment l'alliance militaire avec l'Allemagne et
l'indépendance de l'Ukraine". (57)
Un membre de l'ambassade
allemande, le Freiherr Karl von Bothmer, le confirme
complètement. "Depuis quelques temps, les cercles
monarchistes s'activent beaucoup et nous ouvrent leur cœur
[…] A l'occasion de ces discussion, j'ai rencontré une série
de personnalisés importantes ayant des sympathies pour nous.
Leurs propos vont tous dans le même sens : Nous ne pouvons
rien faire sans vous. Vous devez intervenir directement,
alors nous pourrons agir". (58)
La répression
contre-révolutionnaire
Cette haine de classe ne
visait d'ailleurs pas en premier lieu les bolcheviques et
leurs alliés. Elle visait surtout les masses populaires, à
commencer par les paysans "déchaînés" dans leur village,
exigeant que les "pillards" soient mis au pas.
Ce furent les bourgeois et
nobles, avec l'appui hésitant des Partis réformistes, avant
tout les S-R de droite, qui déclenchèrent la guerre civile
aux lendemains de la révolution d'octobre. Ils firent preuve
d'une cruauté sans limites pendant les années 1918-1921.
Le journaliste américain
A.R.Williams, qui séjourna en Russie pendant la révolution,
cite le passage suivant d'un article du rédacteur N.
Chiffrine du quotidien anti-bolchevik « Le Jour », en date
du 7 septembre 1919: "Comme vous le savez, les bolcheviks
ont changé le nom des anciens régiments. Les troupes de
Moscou portent sur le dos les initiales K.L. - Kari
Liebknecht. Nous [l'armée blanche du Nord] avons fait
prisonnier un de ces régiments. Nous l'avons placé devant le
tribunal de guerre. Les procès devant le front blanc sont
très courts. Chaque soldat est interrogé et s'il reconnaît
être communiste, il est immédiatement condamné à mort par
pendaison ou par balles. Les Rouges le savent parfaitement.
Le lieutenant K. se place
devant le régiment prisonnier et déclare : "Que ceux d'entre
vous qui sont de vrais communistes, montrent leur courage et
avancent. Ces paroles sont suivies d'une pause lourde et
opprimante. Puis, plus de la moitié du régiment avance en
rang serré. Il est condamné à mort par balles. Mais avant
l'exécution, chaque soldat doit creuser sa propre tombe. […]
On ordonne aux condamnés de se dévêtir […] pour que leurs
uniformes ne soient pas teintés de sang ou déchiquetées par
balles. Les communistes se débarrassent lentement de Leurs
chemises et nouent leurs vêtements en un ballot. […] Puis,
nus, ils creusent leurs tombes […] Un commandement, un
éclair dans la nuit, les coups retentissent […] Les
communistes sont toujours debout, très droits. Une deuxième
salve. Les balles vont droit aux cœurs, des flots de sang
jaillissent […]". (59)
Le récit anticipe jusque dans
les moindres détails les méthodes qu'utiliseront les forces
spéciales nazies, les SS, lorsque les troupes allemandes
occuperont l'URSS, durant la seconde guerre mondiale :
massacre des commissaires politiques et des Juifs obligés de
creuser leurs propres tombes. Il s'agit en plus, de
prisonniers de guerre. Voilà ce qu'était le visage des
"défenseurs de la démocratie" contre la "dictature
bolchevique".
Le Freiherr Von Bothmer
rapporte dans son livre déjà cité que: "Les Tchécoslovaques
[prisonniers de guerre que l'impérialisme arme contre le
pouvoir des soviets durant l'été 19181 et les Sibériens
agissent avec un manque de scrupules extrême à l'égard des
membres des soviets qui tombent entre leurs mains. Le grand
nombre d'exécutions a fait une impression profonde sur tous
les bolcheviks". (60)
L'écrivain allemand Alfons
Paquet, correspondant en Russie de la Frankfuter Zeitung
constate de même qu'après l'occupation temporaire de
Jaroslav, en juillet 1918, les membres bolcheviks du soviet
furent exécutés par la contre-révolution, avec cette fois-ci
la participation active des S-R.
Faut-il rappeler qu'au même
moment des terroristes S-R de gauche tuèrent des dirigeants
bolcheviks parmi les plus importants, notamment Volodarski
et Ouritsky ? Une S-R de gauche, Fanny Kaplan, commit un
attentat contre Lénine qui faillit lui coûter la vie.
C'est à juste titre que des
auteurs bolcheviks affirment que: "C'est sous les salves des
fusils tchécoslovaques derrière des montagnes de cadavres de
la fine-fleur du prolétariat de Sibérie et de l’Oural, […]
que se constitue la soit-disant 'armée populaire' (blanche)
" (61)
Les tentatives des partis
conciliateurs de créer un régime dit "de l'Assemblée
constituante" échouèrent rapidement. Des coups d'Etat
remirent le pouvoir entre les mains de dictateurs militaires
comme l’amiral Kolchak on le général Wrangel. (62)
Dictature Blanche ou pouvoir
des soviets
Le Choix concret n'était pas
entre démocratie bourgeoise et dictature bolchevique. il
était entre dictature contre-révolutionnaire et pouvoir des
soviets. Le caractère dictatorial de la contre-révolution ne
fait Pas de doute. John Reed transcrit bien la politique de
terreur qui était celle des forces réactionnaires : "Plus
grande sera la terreur, plus grandes seront nos victoires
déclarait Kornilov. Il faut sauver la Russie même si nous
devons pour cela mettre à feux la moitié [du territoire] et
verser le Sang des trois-quarts de tous les Russes. »
L'Ataman Semyonov était placé
Sous l’autorité du général blanc Kolchak. (63) Le spectacle
des zones sous son contrôle ne laissait aucune ambiguïté
quand à la nature de son règne : "Des femmes et des hommes
innocents Pendus par douzaines aux poteaux télégraphiques,
au voisinage de sa capitale ; ses troupes arrosant à la
mitrailleuse des fourgons remplis de victimes sur les champs
d'exécution, le long de la voie ferrée".
Sous les ordres d'un autre
dirigeant blanc, le Baron Urgan-Sternberg, "hommes et femmes
trouvaient la mort sous la bastonnade, pendus, la tête
tranchée, le corps démembré, victimes d'un nombre
incalculable d'autres tortures qui transformaient un être
vivant en ce qu 'un témoin appela une 'masse informe de
sang’. Un membre même du staff médical de Urgan- Sternberg a
décrit un ordre rédigé par le Baron comme « le produit du
cerveau malade d'un pervers et d'un mégalomane assoiffé de
sang humain ». (64)
Les pogroms
En 1918-1921, l'Ukraine fut
le théâtre des pires pogroms, massacres perpétrés contre les
communautés juives, que l'Europe ait connus jusqu'à la
'solution finale' des Nazis. Selon Zvi Gitelman, il y eut
2000 pogroms dont 1200 en Ukraine. L'auteur estime le nombre
total des victimes à 150.000. Ces massacres étaient
accompagnés de cruautés inouïes: "Les hommes étaient
enterrés jusqu'au cou, puis tués par Les sabots de chevaux
conduits sur eue, ou étaient littéralement déchirés en
morceaux par des chevaux tirant dans des directions
opposées. Des enfants étaient écrasés contre des murs sous
les yeux de leurs parents, les femmes enceintes étaient une
cible favorite, leurs fœtus étant tués devant elles. Des
milliers de femmes ont été violées, des centaines ont, du
fait de cette expérience, perdu la raison ». (65)
Ces pogroms furent froidement
et sciemment organisés par les dirigeants
contre-révolutionnaires. Comme le note l'auteur anglais
Bruce Lincoln, lui-même fort réactionnaire: « Les pogrom
n'étaient plus des explosions spontanées de haine religieuse
et raciale. Ils étaient maintenant des incidents froidement
calculés, marqués par des viols collectifs, une extrême
brutalité et des destructions sans précédent. En un seul de
la fin du mois d'août, dans la communauté juive de
Krememchuk, les Blancs ont violé 350 femmes, dont des femmes
enceintes, des femmes qui venaient de mettre au monde un
enfant et même des femmes agonisantes, en train de mourir".
(66)
La contre-révolution
s'appuyait aussi sur l'armée d'occupation allemande. Quand
celle-ci a conquis la ville d'Odessa et ses environs, elle
fit paraître une proclamation, datée du 16 novembre 1918, et
reproduite dans son organe Noue Nachrichten, qui affirmait
notamment: « Nous avons pénétré sur le territoire russe avec
l'intention de rétablir l'ordre et de libérer le pays des
usurpateurs bolcheviks […] Tous les éléments nuisibles à la
Russie, c'est-à-dire les bolcheviks et ceux qui les
appuient, sont dès maintenant déclarés hors la loi.
Quiconque les accueille sera passible du tribunal
militaire. » (67)
La liste des atrocités
commises par les Blancs peut être étendue indéfiniment :
"Les assassinats commis par Joudentich (650 personnes
fusillées ou pendues dans la seule ville de Iamburg en août
1919) […] ; par Les bandes baltes et Les Allemands de von
der Goltz, à Riga (4.000 victimes environ) […] par Kolchak
(un millier de soldats rouges brûlés vifs à Perm lors de sa
retraite) […]". (68)
La contre-révolution sociale
L’"alternative politique" au
pouvoir des conseils avait bien évidemment, un contenu
socio- économique précis, comme c'est le cas lors de toute
révolution sociale. Là où les Blancs établirent leur
dictature, les conquêtes d'octobre furent rapidement sinon
immédiatement supprimées. Les propriétaires fonciers
reprirent possession de leurs domaines. Les droits des
minorités nationales furent supprimés. Les soviets furent
férocement persécutés. Les droits démocratiques des ouvriers
furent radicalement niés. C'est cela qui causa la défaite
des Blancs.
"Un facteur essentiel de la
défaite de Kolchak fut le bas moral de ses troupes, il était
fréquent que des soldats désertent durant le cours d'une
bataille pour rejoindre le camps communiste. Un autre
facteur fut son incapacité à gagner la population qui, bien
que loin d'être pro-communiste, préférait en dernier recours
le règne des Soviets".
"Il y avait beaucoup de
causes à la victoire de l’Armée rouge dans la guerre civile,
mais la plupart d'entre elles se ramènent à un simple fait:
le peuple, pris comme un tout, en dépit de l'impopularité
des communistes, préférait le régime des Soviets aux autres
possibilités offertes. Les paysans n'aimaient ni un coté, ni
l'autre, et souhaitaient surtout être laissés à eux-mêmes ;
mais, au moment du choc" ils Préféraient les communistes qui
leur donnaient la terre aux Bancs qui la leur prenaient, ou
menaçaient de la reprendre". (69)
C'est donc bien cela qui
perdit les Blancs. lis ne Purent conquérir Ou reconstituer
une base populaire. Leurs armées étaient, Pour l'essentiel,
des armées d'officiers, sans capacité ni même volonté de
recruter des conscrits. On voit à quel point ces officiers
craignaient les paysans.
Une troisième voie ?
Confrontés avec ce diagnostic
difficilement contestable, les adversaires d'octobre
réagissent souvent dans deux sens diamétralement opposés
l’un à l'autre. Certains reconnaissent qu'il n'y avait pas
de base pour un régime démocratique (bourgeois) en Russie,
que ce soit pour des raisons sociales (instabilité extrême;
absence de classes moyennes, supports traditionnels de la
démocratie), ou pour des raisons ethno-culturelles (absence
de traditions démocratiques dans l'empire russe, tendance
des masses à fluctuer violemment entre la passivité résignée
et des explosions chaotiques et incontrôlables).
Dans ces conditions, la
déviation totalitaire, des bolcheviks était inévitable, tout
en restant quand même pire qu'un régime autoritaire de
droite. Pour d'autres, il y avait tout de même la
possibilité d'une troisième voie. Selon ces derniers si le
régime de Kerensky n'avait pas été renversé par le "putsch
bolchevik", il aurait pu, petit à petit, se stabiliser, en
menant une répression modérée à la fois contre
extrême-droite et l'extrême gauche. (70) Une fois
l’Assemblée Constituante convoquée et la répartition des
terres aux paysans réalisée de manière ordonnée et égale,
une démocratie bourgeoise comparable à celle e la Pologne,
avec certes des limitations que l'Europe occidentale ne
connut point, aurait pu se stabiliser.
Cette vision n'est pas
réaliste. Elle sous-estime le caractère explosif des
contradictions sociales. Croire que les capitalistes
auraient accepté une législation sociale qui sapait la
compétitivité de leurs usines, croire que les propriétaires
terriens auraient accepté le partage de leurs terres, sous
prétexte que ces réformes auraient été réalisées par une
Assemblée Constituante élue au suffrage universel, c'est
méconnaître les leçons de l'histoire européenne des années
vingt et trente.
Durant ces années, la
démocratie bourgeoise n’a pas seulement été sévèrement
restreinte, voire supprimée - sauf sur un plan très limité -
en Pologne et dans le pays baltes, et fortement restreinte
en Finlande. Elle a aussi été éliminée en Italie, en
Allemagne et en Espagne, tais pays bien plus évolués que la
Russie de 1917.
Les dirigeants mencheviks
eux-mêmes l’ont reconnu. Dan écrit pour sa part que: "Après
avoir évalué les rapports de force effectifs, il [le CC des
mencheviks] a abouti à la conclusion que - indépendamment de
Leurs intentions subjectives - la victoire des éléments qui
marchaient sur Pétrograd aurait obligatoirement signifié la
victoire de la pire des contre révolutions" .
Le prix d'octobre 1917
Le choix était donc bel et
bien: victoire de la révolution socialiste ou victoire d'une
contre- révolution parmi les plus sanglantes, portant au
pouvoir un Hitler russe qui aurait été encore pire que le
Hitler allemand que nous avons connu.
C'est à la lumière de ce
diagnostic et de tout ce qu'il implique qu'on peut répondre
à la question de savoir, si, en fin de compte, le prix payé
par la révolution d'octobre n'a pas été trop élevé. Notre
réponse est résolument non. Une défaite de la révolution, en
1917, aurait coûté au peuple russe et à l'Europe bien plus
cher que la victoire. Pour fausser le calcul, les
adversaires de la révolution d'octobre ont recours à un jeu
de passe- passe quels ont utilisé à l'encontre de la
révolution française. Ils additionnent pêle-mêle les
victimes de la révolution et ceux de la contre-révolution,
les retombées économiques de la première et celles de la
seconde.
En quoi la révolution
française peut-elle être rendue responsable des victimes des
guerres napoléoniennes ? En quoi la révolution d'octobre
peut-elle être rendue responsable des victimes de la terreur
et des pogroms des Blancs ?
Des sophistes arguent que la
guerre civile, et la Terreur Blanche ne sont que des
produits de la révolution. La réponse coule de source : la
révolution n'est-elle pas, elle-même, le produit de l'Ancien
régime ? On se heurte ici à la conception d'un flux
historique sans amarres dans le temps et dans l'espace, une
conception qui ne permet en définitive, jamais de tirer une
quelconque conclusion. Affirmant vouloir appréhender le
mouvement historique dans son ensemble, cette méthode voile
en fait la responsabilité précise de forces sociales et
politiques données, en rapport à des actions. spécifiques.
Jugement moral et préjugé de
classe
Le problème a d'ailleurs une
dimension qu'il ne faut pas chercher à dissimuler. En temps
de révolution, la population laborieuse, est, généralement,
portée d'abord vers des réactions généreuses. Mais, face à
la guerre civile, quand elle se voit provoquée et agressée
de manière répétée par leurs adversaires de classe, elle
tend aussi à utiliser la violence directe, voire quelquefois
"sauvage". Babeuf rappelait déjà dans une lettre à sa femme,
commentant l'exécution de la princesse de Lamballe après la
prise de la Bastille, que ces excès sont le produit
largement inévitable de siècles de confrontation du peuple
avec la violence et la cruauté de leurs Oppresseurs. (72)
Espérer, dans ces conditions, que ces masses se montrent en
toutes circonstances scrupuleusement respectueuses des
droits de l'homme et de la femme, c'est vraiment exiger un
miracle.
En fin de compte, ce que
cachent les condamnations abstraites, pseudo-morales, de la
violence révolutionnaire, sans considération du contexte
historique précis, c'est un préjugé de classe fort cru. La
violence traditionnelle des tenants du pouvoir est
"normale". Elle représente un 'moindre mal', quelque soit
son ampleur. La réponse contestataire du peuple soulevé est
par définition "pire", même si son ampleur est en fait
infiniment plus restreinte que celle des possédants.
L'hypocrisie saute aux yeux.
Ce préjugé de classe recouvre
souvent une peur des masses dont le ressort social est de
nouveau assez évident. Comme le dit un historien français
plutôt modéré : "Après 1861, l'intelligentsia et l'Etat ont
eu la préoccupation constante d'encadrer le peuple, de peur
de son potentiel anarchique et destructeur. Leur peur
commune (due à l'ignorance) les a empêchés de se faire de
celui-ci une idée objective, fondée sur une connaissance
concrète des réalités du pays. Aussi tous deux ont-ils
succombé à la stikhiinost (force élémentaire) populaire du
début du 20e siècle" .(73)
Il est tout aussi erroné de
vouloir additionner les coûts de la révolution d'octobre
1917 et ceux, ultérieurs, du régime stalinien. Le stalinisme
est en effet le produit d'une véritable contre-révolution
bureaucratique. Confondre les deux révèle une
sous-estimation, voire une négation, de l'ampleur de cette
dernière, de la coupure radicale que le "Thermidor
soviétique" - la contre-révolution bureaucratique - a
constitué par rapport à Octobre et la période qui lui
succéda immédiatement. (74)
Le coût du stalinisime a été
dramatique pour le prolétariat soviétique et international.
On peut en mesurer aujourd'hui toute l'ampleur. L'ampleur de
cette contre-révolution stalinienne exprime beaucoup mieux
que de subtiles analyses sur la prétendue responsabilité des
idées de Lénine (voire celles de Marx), pour les crimes de
Staline, la tragédie historique qui s'est produite. Dans les
années 1920- 1930, Staline a assassiné un million de
communistes. Peut-on sérieusement affirmer que cela n'est
qu'un "détail de l'histoire" ? N'est-ce pas odieux de jeter
bourreaux et victimes dans le même sac? (75)
Chapitre V : L’orientation
bolchevique : Une analyse critique
Pour l'essentiel, la
révolution d'octobre a été le produit des contradictions
sociales objectives, qui ont acquis une dynamique explosive
irrépressible, ainsi que de l'évolution des rapports de
force entre classes et couches sociales opérant dans ce
cadre. Elle a aussi résulté de l'activité du parti
bolchevique pour dénouer ces nœuds de contradictions dans
l'intérêt des masses laborieuses et du prolétariat
international.
Ceci dit, à la lumière de
l'évolution ultérieure de la Russie des soviets et de
l'URSS, on doit se demander si certaines politiques mises en
oeuvre par le parti bolchevique, après la prise du pouvoir,
n'ont pas favorisé le processus de dégénérescence
bureaucratique du premier Etat ouvrier.
Cette dégénérescence
bureaucratique, dans les années 1920-1930, n'a certes pas
été initiée, ou fondamentalement causée, par l'orientation
de ce parti. Elle aussi plonge ses racines dans les
contradictions objectives de la société soviétique et de la
situation internationale qui prévalaient alors. Cependant,
les décisions comme les attitudes concrètes du parti
bolchevique - ou des différentes composantes de sa direction
- à des moments précis et concernant des problèmes précis,
ont elles aussi eu une incidence sur le processus de
bureaucratisation du régime. Il faut donc tenter de
comprendre quelles erreurs ont pu être commises.
L’interdiction des partis
soviétiques
La plus grave de ces erreurs
fut l'interdiction des partis soviétiques au moment même où
le pouvoir révolutionnaire avait définitivement gagné la
guerre civile de 1918-1920. Trotsky, pourtant peu porté à
l'autocritique concernant les décisions de la direction et
du gouvernement dont il était le membre le plus influent
après Lénine, a formulé à ce propos deux jugements
explicites.
En 1936 il écrit que :
"L'interdiction des partis d'opposition entraîna
l'interdiction des fractions [au sein du parti bolchevique]
; l'interdiction des fractions aboutit à l'interdiction de
penser autrement que le chef infaillible. Le monolithisme
policier du parti eut pour conséquence l'impunité
bureaucratique, qui devint à son tour la cause de toutes les
variétés de démoralisation et de corruption." (76)
Deux ans plus tard, dans le
Programme de Transition, qu'il rédigea en 1938 pour la
conférence de fondation de la IVe Internationale, il se
prononça explicitement en faveur du pluripartisme : "La
démocratisation des Soviets est inconcevable sans la
légalisation des partis soviétiques. Les ouvriers et les
paysans eux- mêmes, par Leurs libres suffrages, montreront
quels partis sont Soviétiques". (77)
Il est indéniable que les
ouvriers considéraient en 1920, les mencheviks comme un
parti soviétique, puisque ceux-ci obtinrent pas mal d'élus
notamment à Charkov et à Moscou.
L'interdiction des partis
soviétiques, de même que l'interdiction des fractions au
sein du parti gouvernemental qui lui fit logiquement suite
(chaque fraction est en effet un autre parti en puissance),
étaient sans doute conçues comme des mesures provisoires,
liées à des circonstances particulières, et qui devaient
donc être supprimées lorsque la situation objective se
serait améliorée. On doit évidemment se demander quelles ont
été les conséquences précises, de ces décisions précises,
mises en oeuvre à un moment précis.
Mais il nous faut aussi
soulever une autre question, clairement distincte, et de
portée plus générale : quelles ont été les conséquences dés
théories qui furent avancées pour justifier de telles
interdictions, fussent-elles conjoncturelles ? Nous estimons
que ces justifications théoriques ont causé beaucoup plus de
dommages, à plus long terme, due les mesures elles-mêmes, -
et qu'elles continuent à en causer encore aujourd'hui.
Le danger substitutionniste
L'interdiction des partis
soviétiques se fonde sur une conception substitutionniste de
la construction du socialisme - et de la politique
socialiste/communiste en général. A savoir, une conception
que Trotsky a pourtant vigoureusement toujours dénoncé (sauf
pendant ses 'années noires' de 1920-1921), et que Lénine a
également combattue pendant une bonne partie de sa vie.
Selon cette conception, le
prolétariat serait dans sa majorité trop peu conscient pour
pouvoir gouverner un pays (les sociaux-démocrates sont du
même avis et ajoutent même: pour pouvoir diriger un
syndicat). Plus tard, un nouvel argument a été introduit:
celui de son déclassement et de sa corruption (Y compris par
le truchement des surprofits coloniaux).
Ce point de départ conduit es
vite à la conclusion selon laquelle le parti doit gouverner
en lieu et place de la classe ouvrière réellement existante.
L'appareil du parti, voire sa direction, voire son « chef
infaillible », sont alors les instruments décisifs pour
changer de société. Staline a exprimé le contenu réel du
substitutionnisme dans une formule sans équivoque possible :
'les cadres décident de tout".
La doctrine substitutionniste
du parti nourrit une conception verticaliste, étatiste,
paternaliste et autoritaire du pouvoir, même lorsque les
pires excès et crimes du stalinisme sont évités. On peut
certes l'entourer de bon nombre de clauses restrictives : le
parti (la direction du parti) gouverne au lieu et à la place
de la classe ouvrière mais s'appuie sur celle-ci, la
mobilise, enregistre ses réactions, corrige ses propres
erreurs à la lumière de la pratique, etc.
Mais tout cela ne modifie en
rien l'attitude fondamentale. Ce n'est pas la classe
ouvrière qui gouverne, qui prend démocratiquement les
décisions. Une petite minorité dirige à sa place. Dans ces
conditions, les soviets sont vidés d'au moins une composante
vitale de leur contenu. ils peuvent, à la rigueur, servir
d'instrument de combat efficace contre l'ennemi de classe.
Mais ils n'assurent plus l'exercice direct du pouvoir par le
prolétariat et (ou) les masses laborieuses dans leur
ensemble.
Sans un réel multipartisme,
dans les faits, les soviets ne peuvent pas connaître de
véritable démocratie. Il ne peuvent en effet pas réellement
choisir entre diverses alternatives de politique économique,
sociale, culturelle, etc.
Dans la mesure où la
suppression de la démocratie soviétique prend un aspect
répressif, cette répression ne vise plus seulement la
grande, moyenne et petite bourgeoisie. Elle frappe aussi la
classe ouvrière. On peut même affirmer que plus le
prolétariat est nombreux, hégémonique du point de vue
social, et plus c'est en fait lui qui est visé.
L’auto-émancipation
Pareille conception, pareille
orientation politique, s'opposent à ce que fut la
contribution principale de Marx à la théorie socialiste (y
compris à la théorie de l'organisation révolutionnaire) .
l'idée d'auto- libération et d'auto-organisation croissante
du prolétariat. L'émancipation des travailleurs sera l’œuvre
des travailleurs eux-mêmes, pas celle de syndicats, de
partis, de gouvernements ou d'Etats. Ces derniers sont des
instruments indispensables dans ce processus historique.
Mais ils ne peuvent jamais se substituer à l'activité propre
des salarié(e)s et des autres couches exploitées ou
opprimées. Le rôle émancipateur fondamental de cette
auto-activité ne saurait être ignoré.
Ce serait méconnaître le rôle
moteur des intérêts matériels et sociaux dans l'histoire que
de supposer que l'idéologie substitutionniste a crée l'hydre
de la bureaucratisation. C'est bien plutôt l'existence de la
bureaucratie ouvrière qui a produit l'idéologie du
substitutionnisme. Mais une fois née, cette idéologie a à
son tour favorisé le processus objectif de
bureaucratisation.
La position de Rosa
Luxembourg
C'est ce que Rosa Luxemburg
avait compris quand elle avait averti du danger les
dirigeants bolcheviques, dans ses premiers commentaires sur
la révolution russe: "Mais, en étouffant la vie politique
dans tout le pays, il est fatal que la vie soit de plus en
plus paralysée dans les soviets mêmes. Sans élections
générales, sans liberté illimitée de presse et de réunion,
sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans
toutes les institutions publiques, elle devient une vie
apparente, où la bureaucratie est le seul élément qui reste
actif." (78)
Cette citation de Luxemburg
ne décrit pas correctement l'état de la vie publique de la
Russie en 1918. Il y avait alors une diversité et un débat
d'idées politiques fort vif, avec activité légale ou
quasi-légale des nombreuses organisations. Rosa a écrit sa
brochure en prison, et ne disposait pas d'informations
suffisantes.
Mais elle offre ici un
diagnostic critique remarquable et prophétique des tendances
de développement à plus long terme, surtout à partir de
1920-1921. L'avoir formulé dès l'été 1918 - "seule la
bureaucratie reste(ra) l'élément actif" - dénote une
lucidité et une capacité d'analyse théorique
exceptionnelles.
Nous estimons que Rosa avait
de même raison quand elle écrivait que :"L'erreur
fondamentale de la théorie de Lénine-Trotsky est que, tout
comme Kautsky, ils opposent la dictature à la démocratie […]
Celui-ci se décide pour la démocratie, bien entendu, et pour
la démocratie bourgeoise […]. Lénine et Trotsky se décident,
au contraire, pour la dictature [du prolétariat] […] C'est
la mission historique du prolétariat, quand il arrive au
pouvoir, de créer à la place de la démocratie bourgeoise une
démocratie socialiste, et non de détruire toute démocratie.
Or, la démocratie socialiste ne commence pas seulement dans
la Terre promise, alors qu'a été créé la substruction
[l'infrastructure] de l'économie socialiste, à titre de
cadeau de Noël pour le brave populo [peuple] qui aura dans
l'intervalle fidèlement soutenu la Poignée de dictateurs
socialistes. La démocratie socialiste commence en même temps
que l’œuvre de démolition de la domination de classe
[bourgeoisie] et de construction du socialisme. Elle
commence avec le moment de la conquête du pouvoir par le
parti socialiste. Elle n’est pas autre chose que la
dictature du prolétariat. »
« Oui, oui: dictature! Mais
cette dictature consiste dans la manière d'appliquer la
démocratie, non dans son abolition dans des mainmises
énergiques et résolues sur les droits acquis et les
conditions économiques de la société bourgeoise, sans
lesquelles la transformation socialiste ne peut se réaliser.
Mais cette dictature doit être l’œuvre de la classe et non
d'une petite minorité de dirigeants au nom de la classe:
autrement dit, elle doit provenir, au fur et à mesure, de la
participation active des masses, rester sous leur influence
immédiate, être soumise au contrôle du public tout entier,
être un produit de l'éducation politique croissante des
masses populaires". (79)
Rosa Luxemburg est beaucoup
moins lucide lorsque, dans la même brochure, elle critique
les orientations du parti bolchevique et du pouvoir des
soviets en ce qui concerne la question des nationalités et
la question paysanne. A leur propos, elle adopte des
positions dogmatiques qui ne tiennent compte ni des
nécessités politiques, ni des nécessités économiques, tant
immédiates qu'historiques (concernant l'époque de
transition). Elle critique comme étant "petit-bourgeois" et
opportunistes les mots d'ordre centraux du droit
d'auto-détermination et de la distribution des terres à ceux
qui la travaillent, dans la réforme agraire.
Et pourtant, si les
bolcheviks s'étaient opposés au désir de
l'auto-détermination des peuples intégrés de force dans
l'empire tsariste ; s'ils s'étaient opposés à la soif de
terre de la grande majorité des paysans, ils auraient
fatalement perdu le pouvoir. Ce qui s'est passé en URSS
après 1928, comme ce qui s'y passe actuellement, le reforme
tragiquement.
En fait, si la direction et
les cadres bolcheviques ont péché en la matière - Lénine et
Trotsky bien moins que d'autres - c'est par sectarisme
gauchiste et non par excès d'opportunisme. On peut par
ailleurs retourner contre Rosa, sur ces questions,
l'argument du 'parallélisme' avec le raisonnement de
Kautsky. Car Kautsky lui aussi accuse Lénine et Trotsky
d'opportunisme envers les paysans.
L’Alliance ouvrière et
paysanne et le communisme de guerre
Il est difficile de juger
jusqu'à quel point la politique de réquisition du blé par le
pouvoir soviétique assiégé, dite du "communisme de guerre",
était inévitable, dans une certaine mesure au moins, en
1918-1920. Mais il est certain qu’elle menaçait de plus en
plus de rompre l'alliance ouvrière-paysanne, à savoir la
base même du pouvoir soviétique. (80)
Il est non moins certain
qu'elle conduisait à un recul de plus en plus prononcé des
forces productives, avant tout de la production de vivres,
qui menaçait d'effondrement toute l'économie russe.
La production agricole,
essentiellement céréalière, avait reculé de près de 30%, le
cheptel chevalin de 25%, le cheptel bovin de 20%, le cheptel
porcin de 28%, la production industrielle de près de 60%. En
échange d'une même quantité de blé, le paysan ne recevait
plus que 5% des produits industriels qu'il avait reçus en
1917-1918. De là son refus de vendre du blé contre de
l'argent pratiquement mm valeur. De là l'obligation de
réquisitionner le blé.
Mais de là aussi une chute
absolue de la production de blé et non un simple recul des
paysans vers l'économie de subsistance. Et si la production
de blé baissa, il y avait à la longue de moins en moins à
réquisitionner. Il s'ensuivit une tendance généralisée à la
spéculation et au marché noir, qui défavorisa surtout les
couches les plus pauvres.
Trotsky, chef de l'Armée
rouge durant la guerre civile, se trouvait à la tête d'une
armée composée pour l'essentiel de millions de paysans. Il
voyageait constamment à travers tout l'immense pays. De ce
fait il perçut mieux que Lénine et les autres dirigeants du
parti les préoccupations immédiates de la paysannerie. Il
avait donc proposé, un an avant Lénine, l'abandon du
« communisme de guerre » en faveur de l'adoption précoce
d'une politique plus souple, la "NEP" ("Nouvelle politique
économique"). Il s'est heurté à ce moment à la résistance de
Lénine et de la majorité de la direction. (81)
Nous approuvons sur cette
question le jugement de l'historien soviétique Roy Medvedev
pour qui la tentative de poursuivre, après la fin de la
guerre civile, la politique de réquisition du blé provoqua
la crise sociale de 1921, y compris le soulèvement de
Kronstadt. Ce fut une erreur grave, qui a coûté cher. (82)
Par ailleurs, sous le
"communisme de guerre", le prolétariat s'est affaibli, non
seulement numériquement mais encore physiquement et
moralement. En 1921, le, producteur industriel ne consommait
pendant la production que 30% de l'énergie qu'il avait
consommé en 1913-1914 et moins de la moitié de celle
consommée en 1916-1917. Cela a entraîné une chute radicale
de la productivité du travail.
D'aucuns ont idéalisé la
politique du "communisme de guerre'' en mettant l'accent sur
le Passage à des formes de production et distribution
"directement communistes". Kritsman, auquel nous empruntons
les données statistiques que nous venons de citer, parle à
ce propos des 'années héroïques de la grande révolution
russe'. (83) Beaucoup de dirigeants bolcheviques leur ont en
partie emboîté le pas.
Faisant de nécessité loi, ces
derniers ont théorisé les contraintes de la Pénurie et du
rationnement. Ils ont idéalisé le retour à l’économie
"naturelle" (plus exactement à une économie à trois secteurs
. une économie de subsistance, une économie de troc et une
économie monétaire).
Toute la tradition marxiste
et tout le bon sens du prolétariat plaident cependant contre
ce "communisme de la misère", quelque sympathique et
stimulant - pour l'avenir ! - que puissent avoir été les
"modèles" très égalitaires élaborés et appliqués à ce
moment. (84) Ce modèle n'a déclenché aucune dynamique
capable de sortir le pays de la famine croissante. Et il a
causé une confusion dans les esprits à laquelle Staline a pu
cyniquement faire appel en 1928-1934.
La question des négociations
de paix
La guerre civile et la guerre
d'intervention, des puissances impérialistes contre la
Russie des soviets, avant tout celle de l'impérialisme
allemand, explique en partie les origines et les déviations
du "communisme de guerre".
Mais on touche ici à une
autre erreur importante commise, durant les négociations de
Brest-Litovsk, par la majorité des dirigeants et des cadres
bolcheviques, à l'exception notable de Lénine qui atteint à
ce moment-là le sommet de sa lucidité politique ; à savoir
le retard mis à conclure la paix séparée avec les Empires
centraux.
Il y avait une différence
capitale entre les conditions en paix proposées par ces
Empires lors de la première phase des négociations de
Brest-Litovsk, Ouvertes en décembre 1917, et les conditions
arrachées après l'interruption de ces négociations par les
Soviets et la reprise de l'avance de l'armée allemande.
Les premières étaient encore
acceptables par une bonne partie de l'opinion ouvrière et
urbaine petite- bourgeoisie. Les secondes étaient largement
ressenties comme une humiliation nationale et une trahison
des intérêts du prolétariat d'Union soviétique et du
prolétariat international. En outre, elles impliquaient le
contrôle de l'Ukraine par l'Allemagne impériale et la
répression du mouvement paysan ukrainien. Les réactions
furent dès lors violentes. Elles provoquèrent la rupture de
la coalition entre bolcheviks et S-R de gauche. Elles
stimulèrent fortement la guerre civile.
La majorité du Comité Central
et des cadres bolcheviques ont refusé de signer rapidement
les conditions de paix résultant de la première phase des
négociations de Brest-Litovsk. Ils peuvent invoquer en leur
faveur - comme Trotsky pour sa position intermédiaire. "ni
guerre ni paix" -, le fait que leur position correspondait
aux sentiments de la majorité de la population urbaine. Mais
elle ne correspondait pas aux sentiments de la majorité de
la population paysanne, sans parler de ceux des soldats
d'une année en pleine décomposition.
Et surtout elle ne débouchait
sur aucune alternative concrète. Renversement immédiat du
règne des Hohenzollern et des Habsbourg ? Qui pouvait le
garantir ? Organisation immédiate d'une "guerre
révolutionnaire"? Avec une armée inexistante ? (85)
Le refus de signer tout de
suite la paix n'a eu pour seul résultat que de permettre à
l'armée allemande d'occuper de nouveaux territoires fort
importants, et notamment d'arracher à la République des
Soviets l'Ukraine, avec ses immenses richesses. Lénine
l'avait prédit jour après jour. On voit à nouveau, que le
prix que la révolution a dû payer pour l'erreur fut très
élevé.
La Terreur rouge
La question de la terreur -
et la création de la Tchéka (la police politique secrète) -
est étroitement liée aux conséquences de la Paix de
Brest-Litovsk. Toutes deux ne s'expliquent qu'à la lumière
de, ces événements.
La question de la terreur -
indépendamment de celle de ses excès inadmissibles - est
moins claire que d'aucuns ne le prétendent. Il suffit de se
rapporter à l'expérience de la guerre civile espagnole de
1936 pour s'en apercevoir. A ce moment-là, non seulement les
staliniens mais aussi les anarchistes et les sociaux-
démocrates, de droite, du "centre" et de gauche tous
confondus, ainsi que beaucoup de groupes ouvriers autonomes
et non-organisés, ont appliqué des mesures de terreur rouge
d'une ampleur considérable. Ils n'avaient point de choix.
Lorsque vous êtes confrontés
avec un ennemi implacable, assassin, tortionnaire, qui ne
recule devant rien, qui transforme les femmes et enfants des
militants en otages, qui fusille en masse les prisonniers de
guerre et les adversaires politiques, vous devez prendre
certaines mesures de rétorsion pour limiter les pertes.
C'est le bon sens qui le dicte. Que messieurs les assassins
arrêtent les premiers, s'ils veulent éviter de payer
eux-même un prix élevé pour leurs crimes.
Il faut d'ailleurs constater
que Lénine s'était efforcé de ne pas avoir recours à la
terreur au lendemain d'octobre. Il déclara notamment: "On
nous reproche de procéder à des arrestations. Oui, c'est un
fait ; aujourd'hui, nous avons arrêté le directeur de la
Banque d'Etat. On nous reproche de pratiquer la terreur,
mais ce n'est pas la terreur des révolutionnaires français
qui guillotinaient des gens désarmés, et j'espère que nous
n'irons pas jusque là. Je l'espère parce que nous sommes
forts. Quand nous appréhendions des gens, nous leur disions
qu'ils seraient relâchés s'ils s'engageaient à ne pas
saboter. Et l'on prend de tels engagements". (86)
Seulement voilà: les
contre-révolutionnaires se comportèrent avec un cynisme et
un manque de scrupules total, malgré la générosité initiale
des bolcheviks. Les généraux Krasnov, Kaledine et autres,
les élèves-officiers arrêtés lors de l'insurrection
d'Octobre, étaient relâchés sous la promesse qu’ils
s'abstiendraient de toute action anti-gouvemementale. Ils
ont immédiatement rompu la parole donnée, ont pris les armes
et causé la mort de milliers d'ouvriers.
Le peuple commit ces erreurs
une fois, deux fois, puis riposta durement. Faut-il s'en
étonner ? Parmi les actions particulièrement cyniques des
futures "victimes de la terreur", A.R. Williams signale
l'utilisation de camions de la croix-rouge, par les Blancs
pour traverser les lignes du front et apporter des munitions
aux armées blanches".(87)
Williams rapporte de même une
manifestation émouvante de l'esprit de générosité de la
révolution, lors de la prise du Palais d'hiver. Les élèves
officiers s'étaient rendus. La foule était en colère, ayant
notamment découvert les chambres de tortures dans les
bas-fonds du palais. Antonov-Ovscenko, qui dirigeait le
détachement de la Garde Rouge, s'écrit: "Le premier d'entre
nous qui touche à un prisonnier, je le fusille". Il finit
par convaincre la foule: "Savez-vous où mène cette folie ?
Quand vous tuez un Garde blanc prisonnier, c'est la
révolution que vous tuez, et non la contre- révolution. J'ai
donné vingt ans de ma vie en exile et en prison pour cette
révolution […]. [Elle] signifie quelque chose de meilleur,
elle signifie vie et liberté pour tous. Vous donnez donc
votre sang et votre vie pour la révolution mais vous devez
aussi lui donner autre chose […]: votre intelligence. Vous
devez mettre l’engagement pour la révolution au-dessus de la
satisfaction de vos passions. Vous avez eu le courage
d'amener la révolution à la victoire. Maintenant, au nom de
votre honneur, vous devez faire preuve de magnanimité. Vous
aimez la révolution. La seule chose que je vous demande,
c'est de ne pas tuer ce que vous aimez ». (88)
Mais après avoir subi les
violences sauvages des contre-révolutionnaires, le climat se
modifia. Répétons-le, doit-on s'en étonner ? Il faut
d'ailleurs bien circonscrire l'ampleur de la terreur.
Jusqu'en mars 1920, le nombre total de victimes de la
terreur rouge est officiellement évalué à 8.620 personnes.
Morizet l'évalue à un peu plus de 10.000. Après la défaite
de armées blanches de Denikine et de Kolchak, la peine de
mort fut abolie pendant plusieurs mois par le gouvernement
soviétique (elle n'a été réintroduite qu'à partir de
l'offensive de la Pologne contre l'Ukraine en mai 1920).
L'atmosphère en Russie
soviétique était bien éloignée de cette peur universelle que
décrivent tant d'historiens. On peut s'en rendre compte à la
lecture du récit que donne Morizet, témoin oculaire, du
procès d'un officier supérieur blanc, Galkine, devant le
Tribunal Révolutionnaire de Moscou, le 14 juillet 1921 : "Je
ne crois pas avoir jamais vu public ni magistrats plus
sympathiques à l'accusé que ce jour-là. Les quatre cents
ouvriers ou soldats qui se pressaient dans cette salle, les
trois juges et l'accusateur, jeunes tous quatre, tous
regardaient avec une sorte d'amitié ce petit homme de
trente-cinq ans, en habits rapés, qu'un sous-officier
débonnaire gardait, pour obéir à la règle, le revolver au
poing. Nulle barrière entre eux et lui. Quatre soldats en
armes, intéressés surtout aux débats, jalonnaient vaguement
l'espace libre qu'emplissaient le banc de jardin réservé à
l'accusé, la table du défenseur et la nôtre." Plutôt qu'à
une terrible audience du Tribunal Révolutionnaire, on se
serait cru à une controverse passionnée entre hommes en
désaccord sur la solution d'un cas de conscience » .(89)
Galkine a été condamné à une
peine légère, puis rapidement grâcié, bien qu'il eût pris
les armes contre le pouvoir des soviets. Mais il affirmait
détester encore plus les dictateurs contre-révolutionnaires
blancs après l'expérience qu'il en avait faite. Le Tribunal
le crut sur parole.
La Tchéka
La question de la Tchéka est
bien différente de celle dont nous venons de parler: des
mesures ponctuelles de terreur au cours d'une guerre civile
cruelle. Elle implique la création d'une institution, d'un
appareil avec la tendance inévitable de toute institution et
de tout appareil de devenir permanent, et de se soustraire à
tout contrôle. On peut fusiller un tortionnaire fasciste
après un procès public, même raccourci. On ne peut soumettre
à un contrôle publie une police politique secrète.
Les archives de la Tchéka,
qui ont commencé à être publiés grâce à la Glasnost
(politique de "transparence" sous Gorbatchev), démontrent
largement que le ver était dès le début dans le fruit et ce,
malgré l'honnêteté personnelle de Felix Dzerjinsky, le
premier dirigeant de la Tchéka, que personne ne soupçonne
d'intentions impropres. Il suffit de mentionner un fait :
membres et indicateurs de la Tchéka s'assurèrent une prime
(une part du "butin") pour tout pactole saisi chez un
"spéculateur" ou un responsable de "crimes économiques". La
dynamique corruptrice ne fait pas de doute.
Il en va de même de la
tendance à de la Tchéka à échapper à tout contrôle. Cette
dangereuse dynamique s'est affirmée très tôt. Une anecdote
la met en évidence. Lénine avait la plus grande estime et la
plus grande amitié envers le dirigeant menchevik de gauche
Martov. Un jour, Lénine le convoque au Kremlin, lui remet un
faux passeport et lui dit : "Quitte le pays immédiatement.
Sinon, la Tchéka t'arrêtera d'ici quelques jours, et je ne
pourrai pas l'en empêcher".
G. Leggett, réactionnaire
extrêmement hostile au régime bolchevique, admet cependant
que cette autonomie ne fut au début que conjoncturelle:
"Dans l'opposition inévitable entre la violence arbitraire
de la Tchéka et le système de légalité soviétique élaboré
par le Commissariat du Peuple pour la Justice, la Tchéka a
gagné le dessus chaque fois que le régime était menacé.
Lorsque la crise s'atténuait, l'avantage allait au
commissariat".(90)
Lénine lui-même était
résolument favorable à la constitution d'un Etat de droit et
à la nécessité de faire des pas décisifs en cette direction.
Dans un conflit qui opposa, en 1921, Dzedinsky et Kamenev
concernant la réforme des services de la police politique
après la fin de la guerre civile, Lénine appuya Kamenev qui
avait proposé de limiter la compétence de la Tchéka aux
problèmes d'espionnage, aux attentats politiques, à la
protection des chemins de fer et des entrepôts de vivres.
Toute autre activité répressive devait être du ressort du
Commissariat du Peuple de la Justice.
Il faut aussi constater que
la Tchéka ne fut guère une créature du parti bolchevique ou
de Lénine. Ce sont surtout les S-R de gauche qui ont joué un
rôle-clé dans sa constitution. Mais tout cela étant dit, il
n'en reste pas moins vrai que la tendance à devenir
autonome, de moins en moins contrôlable, était présente dès
les débuts de la Tchéka. Victor Serge utilise à ce propos le
terme de "dégénérescence professionnelle". C'est pourquoi
nous concluons que la création de la Tchéka était sans doute
une erreur.
Chapitre VI : Les conceptions
organisationnelles de Lénine
Les conceptions
organisationnelles de Lénine ont-elles ouvert la voie aux
excès de la révolution d'octobre et à la dictature
stalinienne ?
Une des thèses couramment
avancé par les critiques du bolchevisme, c'est que les excès
survenus dès 1918 - la dissolution de l'Assemblée
Constituante, la Terreur, la prolongation du communisme de
guerre - résultent en dernière analyse des conceptions
organisationnelles de Lénine. On peut résumer ainsi les
conceptions attribuées par ces auteurs à Lénine sources
ultime du mal - les révolutions sont "faites", par le parti
révolutionnaire et non par les masses; ce parti doit
consister en une cohorte réduite de révolutionnaires
professionnels hautement centralisé; il est, de ce fait
largement soustrait au contrôle de la classe ouvrière; cette
classe est inapte à se hisser au niveau d'action politique
révolutionnaire, sans même parler d'accéder à la conscience
politique révolutionnaire. (91)
D'autres auteurs, tels Louis
Fischer, font un pas de plus et disent que ces conceptions
organisationnelle de Lénine, telles qu'elles seraient
exprimées de manière classique dans la brochure Que faire ?,
seraient inspirées par des traits psychologiques peu amène
du personnage. une haine aveugle du tsarime et des classes
possédantes ; la soif de vengeance pour l'exécution par
l'autocratie, de son frère; la conviction que la violence,
la terreur, "l'extermination de l'ennemi", jouent un rôle
essentiel dans toute révolution.
Toutes ces affirmations,
quelles que soient leurs variantes, sont dans le meilleur
des cas des vision unilatérales de la réalité historique,
des écrits de Lénine et des actions qu'il inspira ou
dirigea.
Lénine et le pouvoir
Avant tout, le portrait d'un
Lénine tendu comme un monomaniaque vers la conquête du
pouvoir absolu personnel, ne correspond point à l'image du
personnage telle qu'elle émerge des témoignages multiples de
ceux et celles qui l'ont fréquenté. Nikolai Valentinov, fort
critique à l'égard du dirigeant bolchevique, remarque à ce
propos que: "C'est une erreur très grave, et elle est
commise par beaucoup, par presque tous, que de considérer
Lénine comme un homme d'airain sans cure qui ne produit que
des résolutions politiques, totalement indifférent et
insensible aux beautés de la nature. Il adorait les champs,
les prés, les rivières, les montagne, la mer et l'océan"
(92)
L'importance plutôt réduite
que Lénine accordait à son rôle personnel est révélé par sa
réaction, lorsque le Comité Central proposa de commencer la
publication de ses OEuvres Complètes: "Pourquoi? C'est tout
à fait inutile. Il y a trente ans, on a écrit tout ce qui
était imaginable. Cela ne vaut pas la peine de reproduire
tout cela". (93)
Le mythe d'un Lénine cynique
et sans scrupules dans la "lutte pour le pouvoir" s'appuie
surtout sur une calomnie assez infâme: l'affirmation selon
laquelle il aurait accepté "l'or allemand", en 1917, pour
financer la propagande bolcheviques. Cette calomnie a servi
de base aux persécutions contre les bolcheviques au
lendemain des journées révolutionnaires de juillet 1917.
Dans ce qui est par ailleurs
une des meilleures biographies de Lénine, Ronald W. Clark
fait preuve d'agnosticisme à ce propos, allant presque
jusqu'à insinuer qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Il
relata Même, sans l'écarter totalement, l'affirmation d'un
fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères allemand,
selon laquelle 50 millions de Marks-or auraient été
"investis" dans le mouvement bolchevique. (94) Mais le même
Ronald Clark cite en passant la preuve la plus frappante du
caractère infondé de cette calomnie: la Pravda, principal
organe de presse des bolcheviques, était constamment à court
d'argent. Des appels pressants et constants furent lancés
Pour récolter quelques dizaines de milliers de roubles. (95)
Comment un mouvement ayant reçu des dizaines de millions de
marks-or pourrait-il être à tel point démuni ?
Que Faire ? et les années
1905-1907
Ensuite, il est impossible de
S'appuyer sur la seule brochure Que Faire ? - écrite en 1902
! - pour juger des conceptions de Lénine en matière
d'organisation. On ne saurait détacher les thèses que défend
cet ouvrage, sans doute avec une certaine outrance plus tard
admise par Lénine lui-même, de son contexte historique
précis : celui d'un petit parti oeuvrant dans la
clandestinité la plus stricte. Lénine n'a jamais élevé ces
thèses au niveau d'une théorie générale d'organisation
valable pour tous les pays (y compris la Russie) en tout
temps, indépendamment de l'époque et des conditions
concrètes dans lesquelles se développe la lutte de classe.
Les conceptions alternatives
alors proposées par les mencheviks sous-estimaient la
contrainte de l'illégalité, la menace qu'elle représentait
pour la continuité de l'activité de classe, le rôle de la
centralisation politique - nécessaire mais difficile - de
l'expérience des luttes fragmentées, et surtout le caractère
clef de la lutte pour l'autonomie politique, et
ultérieurement pour l'hégémonie de la classe ouvrière, dans
la révolution. La scission lors du IIè congrès du parti, en
1903, contenait déjà de façon latente les germes de la
différentiation politique centrale ultérieure entre les
bolcheviks et les mencheviks concernant le rôle de la
bourgeoisie russe dans la révolution (la division entre ces
deux courants du POSDR a été formalisée en 1912). (96)
Même dans la brochure de
1902, Que faire?, on trouve des passages à consonance
nettement "luxemburgiste-trotskyste": "L'organisation des
révolutionnaires professionnels n'a de signification qu'en
relation avec la classe véritablement révolutionnaire qui
engage spontanément le combat [...] "Le 'principe d'une
large démocratie' implique, tout le monde en conviendra
probablement, deux conditions expresses: premièrement,
l'entière publicité et, deuxièmement, l'élection à toutes
les fonctions […] . Nous appellerons le parti socialiste
allemand une organisation démocratique, car tout s'y fait
ouvertement jusqu'aux séances du congrès du parti [ .. ]."
(97)
Après la très importante
expérience de la révolution de 1905, Lénine a élargi plus
encore cette mise au point, d'une façon en partie
auto-critique, en utilisant l'image du "bâton trop tendu
dans un sens" (ses adversaires Polémiques ayant "tordu le
bâton" à savoir l'argumentation - 'dans un sens', il a dû le
tordre dans l'autre pour rétablir l'équilibre) :
"De 1903 à 1907 […] en dépit
de la scission, la social-démocratie a donné au public les
plus larges informations sur sa situation interne
(procès-verbaux du deuxième Congrès commun, du Ille Congrès
bolchevique, du IVe Congrès ou Congrès commun de Stockholm).
En dépit de cette scission le parti social-démocrate avant
tous les autres partis, a su profiter de la période
passagère de liberté pour réaliser une organisation légale
avec un régime démocratique idéal, un système électoral et
une représentation au congrès en fonction du nombre des
membres organisés du parti. (98)
"Bien entendu, la cause
première de ce succès [des bolcheviks dans la révolution de
1905-1907] réside dans le fait que la classe ouvrière, dont
les meilleurs éléments constituèrent la social-démocratie,
se distingue, pour des raisons économiques objectives, de
toutes Les clames de la société capitaliste par une plus
grande aptitude à s'organiser. N'était cette condition,
l'organisation des révolutionnaires professionnels eût été
un jouet, une aventure, une façade sans rien derrière [...]"
Lénine s'exprime de manière
encore plus claire quand il affirme que : "Il me semble que
Le camarade Radine a tort quand il pose […] cette question :
Le Soviet des députés ouvriers ou le Parti ? Je pense […]
qu'il faut absolument à cette solution: et le Soviet des
députés ouvriers et le Parti. [...] Il me semble qu'en
qualité d'organisation professionnelle le Soviet des députés
ouvriers doit tendre à s'incorporer les députés de tous les
ouvriers, employés, gens de service, salariés agricoles,
etc., de tous ceux qui veulent et peuvent lutter ensemble
pour améliorer la vie du peuple laborieux de tous ceux qui
sont doués d'une honnêteté politique élémentaire, de tous
sauf les Cent-Noirs." (99)
"[Au Congrès d'Unification de
1906], nous nous sommes tous mis d'accord sur le principe du
centralisme démocratique, sur la garantie des droits de
toute minorité et de toute opposition loyale, sur
l'autonomie de chaque organisation du Parti, et pour
reconnaître que tous les cadres du Parti devaient être élus
révocables et tenus de rendre compte de leur travail'' (100)
"Le principe du centralisme
démocratique et de l'autonomie des locales signifie
précisément la liberté de critique, entièrement et partout,
tant qu'elle ne met pas obstacle à l'unité d'une action
déterminée […]". (101)
"Le comité central n'a
absolument pas le droit d'exiger des organisations du Parti
qu'elles adoptent sa résolution […]. Tous les membres du
Parti sont tenus de considérer la question en toute
indépendance et en tout esprit critique et de se prononcer
pour la résolution qui, à leur avis, résout le plus
justement le problème dans le cadre des résolutions du
Congrès d'Unification. [... L]'organisation du Parti repose
maintenant sur une base démocratique. Cela signifie que tous
les membres du Parti élisent les responsables, les membres
des comités, etc., [ …] que tous les membres du Parti
déterminent quelle doit être la tactique [...] ». (102)
Un auteur comme Louis Fischer
connaît parfaitement ses sources. Il passe pourtant
délibérément sous silence ces passages des écrits de Lénine,
et bien d'autres encore qui vont dans le même sens. (103)
C'est faire preuve d'une malhonnêteté intellectuelle
manifeste. Il est d'ailleurs coutumier du fait. Il a résidé
en URSS entre 1923 et 1936 comme correspondant étranger,
notamment de la revue américaine The Nation. En cette
qualité, il a fait une apologie des procès de Moscou qui a
été fort utile à Staline et au stalinisme international.
(104)
Dans la biographie de Lénine,
qu'il rédige trente ans plus tard, il écrit par contre que:
"La vendetta de Staline contre Trotsky plongea la Russie des
Soviets dans un bain de sang. Visant en réalité Trotsky, les
procès de Moscou, au cours de années trente, coûtèrent au
pays ses hauts dirigeants [ ..] En 1937, ce fut le tour des
chefs militaires de la Russie et par milliers, de ses
meilleurs directeurs d'industrie, écrivains, planificateurs,
administrateurs [...] Il sera à tout jamais impossible de
mesurer ce que cette politique démentielle valut de
désastres à la Russie [...]" (105)
Celui qui se fit en 1936-1938
l'avocat de cette 'politique démentielle' ne considère pas
nécessaire de formuler une seule parole de regret, d'excuse
ou d'autocritique. Il préfère passer de l'autre côté de la
barricade. Hier le génial Staline était le continuateur du
génial Lénine. Aujourd'hui, le despote Staline est un
sous-produit de l'inclination léniniste au pouvoir personnel
et à la violence. On voit ce que ces deux positions
symétriques ont de commun. En dernière analyse Staline
découle de Lénine, hier pour le bien, aujourd'hui pour le
mal.
Un parti non-monolithique
On. touche ici à une
falsification historique bien plus générale, que l'on
retrouve chez de nombreux autres auteurs qui traitent de
l'histoire de la Russie des Soviets des années 1918-1923.
(106) Où donc était ce parti bolchevique soit disant
monolithique, issu de cette prétendue obsession léniniste
pour l'hyper- centralisation ?
En réalité, on n'a jamais vu
un parti ouvrier avec tant de différences d'opinion et tant
de liberté d'expression, y compris publique, que le parti
bolchevique de cette époque, - et certainement pas les
partis sociaux-démocrates allemand ou autrichien, même dans
leur meilleurs moments. Nous pourrions citer d'innombrables
épisodes. Contentons-nous de mentionner ceux-ci :
- Lors du débat sur
Inopportunité de l'insurrection d'octobre, Zinoviev et
Kamenev, des principaux membres du comité central, ont
publiquement pris position contre la décision de la
majorité, dans un article paru dam le journal de Maxime
Gorki.
- Lors du débat sur la
constitution d'un gouvernement d'alliance de tous les partis
ouvriers, au lendemain du 2e Congrès des Soviets, six
membres du comité central et nombre de membres du Conseil
des Commissaires du Peuple, ont publiquement pris position
contre la décision de la majorité. Ils ont d'ailleurs
démissionné de leurs postes, pour donner plus de poids à
leur opposition. (107)
- Riasanov et Lozovsky, deux
dirigeants bolcheviques, ont voté contre la dissolution de
l'Assemblée Constituante, en janvier 1918, à une réunion du
Comité Exécutif Central des Soviets.
- Lors de la signature de la
paix de Brest-Litovsk, les 'communistes de gauche' autour de
Boukharine, ont publié un quotidien pour défendre en publie
leur position minoritaire.
- La tendance dite
'centraliste démocratique' dirigée par les "communistes de
gauche" Ossinsky, défendit dans la revue Kommounist dès 1918
un projet de gestion ouvrière de l'industrie, fort différent
de celui de la majorité du Comité Central. Elle commença,
assez timidement, à le mettra brièvement en pratique.
- L'Opposition Ouvrière
dirigée par Chlapnikov, Miasnikov et Kolontaï, établie en
1920, défendit publiquement ses positions minoritaires.
- En 1921 encore, le
dirigeant de la Tchéka I. Vardin (Megaldze), contre
l'opposition de Lénine, proposa de légaliser tous les partis
et groupements d'opposition qui accepteraient le système
soviétique de gouvernement. Ils devaient être autorisés à
présenter des listes de candidats séparés aux élections pour
les soviets et disposeraient d'une presse libre conformément
à leurs dimensions. (108)
Un épisode raconté par
Ilyin-Zhenevsky, commissaire du peuple adjoint à la Défense,
symbolise bien celle atmosphère libre. Fin mars 1918 s'est
tenue la première conférence des soldats et marins de
l'Armée Rouge. A l'ouverture de la conférence, la
proposition fut faite d'élire une présidence d'honneur
composée de Lénine, de Trotsky et de Zinoviev. Les
anarchistes s'y opposèrent La proposition fut adoptée, mais
seulement à une petite majorité, pas mal de bolcheviks
votant avec les anarchistes.
Contre l'opposition des
dirigeants de la délégation bolchevique, et
d'llyin-Zhanovsky représentant le gouvernement un bloc
d'anarchistes et de bolcheviks "de gauche" imposèrent que la
conférence jouisse de pouvoirs de législation et de
décision. Le même bloc imposa également une, augmentation
importante du solde des soldats et des marins, que le
gouvernement avait déclaré ne pas pouvoir réaliser. (109)
On pourrait objecter que
Lénine s'opposa avec violence - une violence essentiellement
verbale ne débouchant sur aucune mesure répressive
administrative - à ces ruptures de discipline. C'est vrai.
Mais cela passe à côté de l'essentiel.
Car ce que ces épisodes
démontrent, c’est que le parti issu des conceptions
organisationnelles de Lénine était, lui, non-monolithique;
que de très nombreux dirigeants et cadres, tant ouvriers
qu'intellectuels, y conservèrent une grande indépendance
d'esprit un esprit critique ultra-aigu; que la pratique
quotidienne de ce parti reflétait bien davantage cette
indépendance critique qu'une quelconque éducation
monolithique ou hyper-centraliste.
Il faut en outre constater
que l'inspiration de Lénine n'était point fondamentalement
différente. Au Xe Congrès du parti, en mars 1921, lors de
l'interdiction des fractions, il s'opposa à la proposition
d'interdire également les tendances. Il affirma clairement
que lorsque le parti est divisé sur des problèmes
importants, il est impossible d'empêcher' l'élection de la
direction sur la base de plate-formes de tendances
distinctes.
Et lui-même, à plus d'une
reprise, lorsqu'il fut placé en minorité au sein de la
direction, décida de passer outre et chercha à organiser une
tendance minoritaire, voire défendit en publie des positions
minoritaires. On ne peut dissimuler ces faits sans dénaturer
l'histoire de la Russie des Soviets de l'époque de Lénine.
Une tension interne au
léninisme
Il est vrai que dans les
écrits et dans la pratique de Lénine, il y a aussi des
traits différents paternalistes, autoritaires,
substitutionnistes. En fait, l'ensemble de la théorie et de
la pratique organisationnelles de Lénine semble dominé par
un jeu de balancier, dont avant tout Marcel Liebman, Paul Le
Blanc, et l'excellent essai de Stephen Cohen déjà cité, ont
rendu compte. (110)
On peut en première
approximation, résumer ainsi ce jeu de balancier, dans les
phases de montée révolutionnaire, d'essor tumultueux du
mouvement de masse, les accents démocratiques, voire
libertaires, prévalent dans les écrits et dans la pratique
de Lénine. Dans les phases de reflux révolutionnaire, de
déclin de l'activité des masses, le thème du centralisme et
de la substitution de la classe par le parti prend le
dessus. Expliquer ce dualisme par le machiavélisme est
déplacé et injuste. Cela part d'un axiome psychologisant
qu'on ne peut guère démontrer. (111)
On pourrait à la rigueur
remplacer cet axiome par son équivalent sociologique. Le
Lénine démocratique et libertaire agirait sous la pression
de la masse et de l'avant-garde ouvrières. Le Lénine
hyper-centraliste et substitutionniste chercherait une
solution pragmatique dans une situation où, en pratique, les
masses n'agissent pas.
Mais cette explication
sociologique ne fait pas non plus justice à Lénine. Elle ne
rend pas compte de l'ensemble de l'histoire russe de
1918-1923. Elle ne permet surtout pas de comprendre la
violence quasi-désespérée avec laquelle Lénine réagit à
partir de 1922, sinon dès la fin de 1921, face à la
bureaucratisation croissante de l'Etat et du parti (une
bureaucratisation dont il prend alors conscience). Elle
n'explique pas ce "dernier combat de Lénine" contre la
bureaucratie tentaculaire, ni la violence de son
affrontement final avec Staline, ni les accents
véritablement pathétiques auxquelles il a recours à cette
occasion: "Je suis fort coupable, je crois, devant les
ouvriers de Russie de n'être pas intervenu avec assez
d'énergie et de rudesse...". (112)
Toute explication
"sociologique" ne peut aussi qu'ignorer un fait historique,
pourtant difficilement contestable, et que Paul Le Blanc a
correctement opposé à la version trop mécaniste du
"balancier" telle qu'elle fut formulée par Liebman. C'est
dans les années de réaction, en 1908-1911, dans la lutte
contre la tendance "liquidatrice", que Lénine a, dans une
large mesure, regroupé et formé les cadres bolcheviques qui
ont permis à son parti de devenir hégémonique dès 1912 dans
le mouvement ouvrier russe.
L’indépendance d’esprit
L'exemple russe illustre une
règle historique plus générale: c'est dans les périodes
non-révolutionnaires que sont créées les prémisses
programmatiques, politiques ou organisationnelles de la
percée du parti révolutionnaire au cours des montées
ultérieures de luttes.
La thèse selon laquelle le
parti conçu par Lénine était un Parti essentiellement dominé
sinon composé d'intellectuels bourgeois et non d'ouvriers,
n'a aucun fondement factuel. (113) Cette opinion est, par
exemple, défendue par Alfred Meyer qui affame de même que le
centralisme démocratique était un système qui a fort bien
fonctionné tant que le parti était commandé par un dirigeant
fort, régnant d'une main de fer. (114)
Cette seconde affirmation ne
correspond pas plus aux faits que la première. Pour
démontrer le contraire, il suffit de citer Beryl Williams,
pourtant fort hostile aux bolcheviks et à Lénine: « Le
nombre de membres du parti a cru de concert avec la montée
de la popularité des bolcheviks. A travers ce processus, le
parti s'est transformé au point de ne plus être
reconnaissable. En octobre, il était devenu un parti de
masse, loin du groupement d'élite intellectuelle de 1903, ou
de l'idée que l'on s'en fait souvent. Les chiffres de
membres sont difficiles à établir, mais il semble qu'ils
aient été multipliés par dix, dans le cours de l'année 1917,
jusqu'à dépasser le quart de million. En octobre, les
travailleurs en représentaient la grande majorité (…).
Contrairement, à nouveau, à la croyance populaire, ils
n'étaient pas étroitement organisés ou unifiés, bien qu'ils
bénéficiaient probablement d'une cohésion plus grande et,
certainement, d'une direction plus forte que leurs rivaux.
Mais il y avait de grandes différences de démarches entre le
comité central, les « sous-élites » locales dans les comités
de districts et les soviets, les « sous-élites » dans les
entreprises. Les militants de base, comme leurs
sympathisants, tendaient à agir avec une indépendance
remarquable. » (115)
Cette description honnête
donne une image beaucoup plus fidèle au fonctionnement réel
du parti bolchevique que les diverses légendes sur le
centralisme démocratique sous Lénine. Elle permet de
comprendre pourquoi Lénine dut se heurter durement à ces
« hommes de comité » au moins quatre fois ; en 1905-1906 ;
au début de la révolution de février 1917; à la veille
d'octobre ; à partir de 1921- 1922. Les trois premières
fois, le heurt se termina rapidement à son avantage, grâce à
l'appui qu'il obtint d'une large avant-garde ouvrière, y
compris à l'extérieur du parti. La quatrième fois, cet appui
fit défaut, avec les conséquences tragiques qu'on connaît.
Vers une conception cohérente
Lénine n'a jamais
véritablement présenté une conception globale, totalement
cohérente du parti et de ses principes d'organisation. Mais
il semble bien, à la lumière des données historiques qu'il
avançait pas à pas dans cette direction. Elément de ce
processus de clarification, l'unité dialectique entre
auto-activité de la classe et rôle du parti d'avant-garde
s'affirmait progressivement, sauf pendant les « années
noires » de 1920-1921 (certains diront 1919-1921).
Un auteur comme Loepold
Haimson affirme que les intellectuels et les marxistes
russes n'ont jamais pu résoudre le problème de la
contradiction entre la spontanéité et la conscience, entre
l'action des masses et l'action inspirée et organisée de
l'avant-garde. Pourtant, la révolution d'octobre a fourni
cette réponse, illustrée par la formule imagée et classique
avancée par Trotsky dans son Histoire de la
Révolution russe: « Sans une organisation dirigeante,
l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur
non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le
mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la
vapeur ». (116)
Il reste que le modèle
d'organisation de Que faire ?, même appliqué pendant une
période limitée, a produit des inconvénients - un certain
type de responsables, les « hommes de comités », peu aptes à
s'adapter à un mouvement de masse tumultueux. La compagne de
Lénine, Kroupskaya, écrit à ce sujet que: « Les 'hommes de
comité' étaient généralement des personnes assez sûr
d'elles-mêmes. Ils pouvaient voir l'influence considérable
que le travail des comité exerçait sur les masses, et, en
règle général, ils ne reconnaissaient pas de démocratie
interne au parti. Ils argueraient de ce que 'la démocratie
interne au parti ne donne que des problèmes avec la police.
Nous sommes liés au mouvement réel'. En eux-mêmes, ils
méprisaient plutôt les militants du Parti à l'étranger
[c'est-à-dire en exil], qui, à leurs yeux, ne trouvaient
rien de mieux à faire que de se quereller entre eux - 'On
devrait les obliger à travailler dans des conditions
russes’. Les « hommes de comité » critiquaient l'influence
dominante du Centre de l'étranger [c'est-à-dire de Lénine!].
En même temps, ils se refusaient à toute innovation. Ils
n'avaient ni le désir, ni la capacité de s'adapter à des
conditions changeant rapidement ». (117)
En tout état de cause,
l'histoire réelle de la Russie des Soviets entre 1918 et
1923 ne peut être comprise qu'en fonction de tous ces
éléments contradictoires, et non d'un quelconque péché
originel de Lénine. Qui veut s'attacher à déterminer les
origines du stalinisme doit d'abord les rechercher dam les
forces sociales et leur rapports réciproques, ce qui est
plus conforme aux principes du matérialisme historique que
de ne s'attacher qu'au domaine des idées. Mais, en ce qui
concerne les sources intellectuelles, les conceptions
organisationnelles staliniennes ne prolongent pas celles de
Lénine: elles représentent au contraire leur négation brute
et terroriste.
Rétablir la démocratie
soviétique ?
Comment était-il possible de
s'opposer efficacement au processus de bureaucratisation
dans la Russie de 1920; à savoir un pays exsangue, frappé
par la famine, dont le système de transports était
totalement désorganisé, avec une classe ouvrière réduite à
moins de la moitié sinon à peine un tiers de ce qu'elle fut
en 1917. Une classe ouvrière en voie rapide de
démobilisation, non pas du fait de la fin de la guerre
civile, mais de la nécessité absolue de s'approvisionner
individuellement en vivres. Dans de telles conditions
matérielles et sociales, le rétablissement immédiat de la
démocratie soviétique, voire des pas décisifs vers la
gestion ouvrière, étaient une utopie flagrante.
La direction du parti et de
l'Etat devaient donner la priorité à la relance de la
production, avant tout de la production agricole, à la
hausse de la productivité du travail, au rétablissement de
l'emploi. L'erreur de Lénine et de Trotsky fut de théoriser
et de généraliser les conditions exceptionnelles du moment.
Dès le début de la NEP, en 1921-1922, l'affaiblissement
numérique et le déclassement de la classe ouvrière étaient
arrêtés. La tendance était inversée.
C'est à ce moment-là qu'un
élargissement progressif de la démocratie soviétique aurait
pu accélérer le rétablissement socio-politique de classe
ouvrière, facilitant sa lente re-politisation. Mais en
réduisant, à ce moment précis et de manière draconienne, ce
qui subsistait encore en matière de démocratie, les
dirigeants soviétiques ont au contraire aggravé la
dépolitisation du prolétariat et du parti. (118) Il est
impossible de juger jusqu'à quel point un cours nouveau
effectif aurait pu être couronné de succès. Mais les
résultats tragiques de la politique suivie en 1921 sont trop
manifestes pour ne pas conclure : ce qui était utopique en
1920, ne l'était plus à partir de 1922.
Chapitre VII : L’enjeu
stratégique
La révolution d'Octobre
soulève la question stratégique clé à laquelle est
confrontée tout mouvement ouvrier socialiste: comment un
parti se réclamant de la classe ouvrière et du socialisme
(ou du communisme) doit-il se comporter en situation
révolutionnaire. Cette question renvoie à une autre, plus
vaste, celle de la stratégie socialiste (ou communiste) à
long terme; une question que nous n'aborderons pas ici.
(119)
Les révolutions ne tombent
pas du ciel. Elles ne peuvent être mécaniquement détachées
des périodes qui les précèdent au cours desquelles les
conditions qui les font éclater ont petit à petit mûries. De
même, ce que sont et ce que font alors les partis qui se
réclament de la classe ouvrière, découlent en bonne partie
de leur composition et de leur activité dans des phases
pré-révolutionnaires ou non-révolutionnaires (bien que l'on
ne puisse nier que la révolution elle-même peut modifier
sensiblement quelques-unes de ces déterminations).
Schématiquement, mais
utilement on peut résumer les deux philosophies stratégiques
fondamentalement opposées au cours d'une révolution par la
formule : fatalisme ou volontarisme.
Fatalisme et volontarisme
L'approche fataliste se fonde
sur l'idée que « les conditions objectives » et « les
rapports de force » déterminent pratiquement tout, que le
cours des événements est largement indépendant des décisions
des partis et de leurs dirigeants, que la tâche de ceux- ci
consiste essentiellement à tracer les frontières entre ce
qui est « objectivement possible » et le reste (qui serait
aventurisme et illusions).
Il faut dès lors avoir le
courage de dire aux masses qu'une série de leurs aspirations
sont irréalisables. Les mencheviks incarnaient cette
orientation au cours de l'année 1917. Leurs principaux
répondants à étranger étaient les austro-marxistes dont le
dirigeant et théoricien Otto Bauer est entré dans l'histoire
comme le prototype même de marxiste fataliste.
L'approche volontariste de la
stratégie en période révolutionnaire se fonde au contraire
sur l'idée que, quel que soit le poids des facteurs
objectifs (économiques, sociaux, tradition historique et
culturelle) qui déterminent en partie le cours des
événements, celui-ci n'est pas totalement prédéterminé.
L'action concrète des classes sociales (et de leurs
principales fractions), l'activité et l'orientation précise
des partis et de leurs dirigeants, peut ami peser de manière
décisive sur le cours des événements.
Un déterminisme
« paramétrique »
Il ne s'agit pas d'opposer
une approche déterministe (identifiée au « fatalisme ») à
une philosophie agnosticienne ou téléologique de l'histoire
(qui serait identifiée au « volontarisme »). (120) Nous
parlons, ici, d'un volontarisme respectant les grandes
contraintes historico-matérielles.
Il s'agit d'éviter de tomber
dans un déterminisme mécaniste et linéaire, qui a fait bien
du tort, en lui substituant un déterminisme plus riche,
fondé sur une dialectique des facteurs objectifs et
subjectifs. (121) Une appréhension des « possibles », que
nous avons traduits par le concept de « déterminisme
paramétrique » ; une compréhension de l'histoire qui permet
de prendre en compte ce qui est « latent », le « virtuel ».
Une telle conception avait déjà été utilisée par Marx dans
le tome 1 du Capital.
Le cours des événements n'est
ni totalement prédéterminé, ni totalement indéterminé.
L'issue possible de la révolution oseille dans des limites
pré-déterminées. Dans la Russie de 1917, ni un retour à un
régime semi-féodal, ni l'essor d'un capitalisme fondé sur la
démocratie parlementaire, ni la construction achevée d'une
société socialiste sans classes n'étaient possibles. Mais
dans ce cadre prédéterminé, l'action des masses, des partis
et de leurs dirigeants pouvaient aboutir à plusieurs
variantes possibles: victoire d'une contre-révolution
bourgeoise ultra-réactionnaire (qui ne pouvait qu'être
sanglante, répressive, incluant la destruction du mouvement
ouvrier et de toute activité autonome des masses ouvrières
et paysannes); victoire de la révolution grâce à la prise du
pouvoir par les soviets, permettant le début de la
construction d'une société nouvelle (en fusionnant, ou du
moins en recevant l'appui de la révolution internationale).
L'approche fataliste a été,
en grande partie, le produit du « marxisme » de la IIe
Internationale, inspiré par Kautsky. C'est une conception
fortement marquée par un déterminisme mécaniste
d'inspiration semi-darwinienne. (122) Elle impliquait que,
même confrontés avec une explosion révolutionnaire, les
socialistes ne pouvaient, au fond, que subir la marche
inexorable des événements.
L'approche volontariste
impliquait au contraire que les socialistes étaient
conscients de la possibilité d'influencer de manière
décisive l'issue historique, par leur propre action. C'est
le mérite principal des bolcheviks que d'avoir tenté de le
faire. Et c'est bien la leçon principale que Rosa Luxemburg
a tirée des événements d'Octobre; une leçon qui la conduit à
modérer ses critiques envers Lénine et de Trotsky et à
soutenir de manière enthousiaste la révolution russe ; « Ce
qu'un parti peut, à l'heure historique, fournir de courage,
de force d'action, de coup d’oeil révolutionnaire et de
logique, les Lénine, Trotsky et leurs camarades l'ont donnés
largement. Tout l'honneur révolutionnaire et la capacité
d'action qui a manqué à la démocratie socialiste en Occident
s'est trouvée chez les bolcheviks. Leur insurrection
d'Octobre n'a pas seulement sauvé effectivement la
Révolution russe, elle a aussi sauvé l'honneur du socialisme
international ».
Et encore: « Ce qui importe,
c'est de distinguer dans la politique des bolcheviks,
l'essentiel de l'accessoire, la substance de l'accident.
Dans cette période dernière où nous sommes à la veille des
batailles décisives dans le monde entier, le problème le
plus important du socialisme a été et est encore tout juste
la brûlante question du jour: non pas tel ou tel détail de
tactique mais la capacité d'action du prolétariat, la force
d'action des masses, la volonté d'avoir le pouvoir dans le
socialisme en général. A cet égard les Lénine et les
Trotsky, avec leurs amis sont les premiers qui aient devancé
le prolétariat mondial par leur exemple; ils sont jusqu’ici
Les seuls qui puissent s'écrier avec Ulrich de Hutten:
« J'ai osé !»
« C'est ce qui est
l'essentiel et ce qui reste de la politique des bolcheviks.
En ce sens, il leur reste le mérite impérissable dans
l'histoire d'avoir pris la tête du prolétariat international
en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la
pratique le problème de la réalisation du socialisme ainsi
que d'avoir puissamment avancé la liquidation entre Capital
et Travail dans le monde. En Russie, le problème ne pouvait
être que posé: il ne pouvait pas être résolu. Et en ce sens
que l'avenir appartient partout au Bolchevisme ». (123)
Fallait-il prendre le pouvoir
?
Bien entendu, il ne faut pas
exagérer l'opposition entre ces deux options, fatalisme et
volontarisme, même si elles restent fondamentalement
différentes. Une trop grande simplification du problème peut
troubler l'eau et rendre le choix plus difficile. Il y a, en
ce sens, la possibilité d'excès aventuristes, putschistes,
blanquistes, dans le cours « volontariste » des tentatives
de prise de pouvoir par des minorités qui ne jouissent pas
de l'appui de la majorité des salariés. (124)
Mais l'existence et le danger
que représente de telles déviations ne peut servir d'excuse
pour se soustraire au choix stratégique réel qui se posait à
la veille d'Octobre en Russie. Les bolcheviks jouissaient
manifestement de l'appui de la majorité du prolétariat. Le
peuple voulait manifestement un changement radical,
révolutionnaire. Fallait-il, oui ou non, dans ces conditions
précises, prendre le pouvoir ? Les marxistes
révolutionnaires d’aujourd'hui restent convaincus, comme
ceux de 1917 et des années ultérieures, que la réponse est
« oui », sans réserves.
Déterminismes, choix
politiques, expérience
Récemment, l'examen critique
de la tactique bolchevique dans les années qui suivirent la
victoire d'octobre, a donné lieu à une confrontation
concernant la nature du déterminisme historique opposant
John Rees et Samuel Farber. Le premier accuse le second
d'abandonner tout déterminisme matérialiste, parce qu'il
présente un éventail d'alternatives, analyse d'autres choix
qui auraient été possibles, en ce qui concerne la politique
socialiste révolutionnaire dans la Russie de 1918-1923.
« Le marxisme ne suggère pas
qu'en toutes circonstances, la volonté politique ou
l'idéologie peut jouer un rôle clef. Le degré suivant lequel
les travailleurs peuvent faire leur propre histoire dépend
du poids des facteurs objectifs qui pèsent sur eux (...). En
Russie (après octobre 1917) les limites de leur action
étaient réduites à soutenir, sous des contraintes toujours
plus étroites, un siège. Chaque once de volonté et de
conscience politique devait être utilisée pour défendre
l’état ouvrier et éviter qu'il ne soit renversé. Le facteur
subjectif se limitait alors à un choix entre la capitulation
devant les Blancs au la défense de la révolution par tous
les moyens à leur portée » (125).
Mais cette manière de poser
le problème sauf de deux faiblesses fondamentales. Tout
d'abord, elle ne répond pas à l’objection essentielle, à
savoir que la démocratie soviétique a été définitivement
étouffée au moment de l'interdiction des partis soviétiques,
après la guerre civile, et non pas lorsque l'alternative
était soit capituler devant les Blancs, soit défendre la
révolution par tous les moyens. Elle fut donc étouffée après
la victoire, alors qu'aucune armée blanche n'était plus
présente sur le territoire de la Russie des soviets.
Les mesures prises alors
s'inspiraient de l'idée que, du fait justement de la
victoire dans la guerre civile, la mobilisation
révolutionnaire du prolétariat allait décroître. Cette
démobilisation risquait, aux yeux des bolcheviks, de menacer
le pouvoir soviétique encore davantage que ne l'avaient fait
les armées blanches. John Rees ne mentionne pas cette
explication. Il n'en dévoile donc pas le caractère illogique
et erroné.
Ensuite, Rees dissout des
problèmes concrets dans une formule abstraite et générale.
"La question n’était pas de savoir si, en général, tous les
moyens devaient être employés pour défendre le pouvoir des
soviets, empêcher une victoire des Blancs. La question posée
est de savoir si telle ou telle mesure concrète facilitait,
ou rendait plus difficile, la poursuite victorieuse de la
guerre civile.
Etait-ce le cas de la
création de la Tchéka ? Etait-ce la cas du maintien et de
l'accentuation des réquisitions de blé en 1919-1920, et en
général des excès du « communisme de guerre » ? Etait-ce le
cas de l'interdiction des partis soviétiques ? Or, le
pouvoir soviétique, les dirigeants du parti bolchevique,
avaient ici bel et bien le choix prendre ou ne pas prendre
ces mesures. Ont-ils eu raison ? Ont-ils eu tort ?
J. Rees raisonne comme si la
question ne se posait même pas. Et curieusement, il ne
mentionne pas l'argument clé qui peut, sinon justifier
totalement, du moins largement expliquer le comportement des
bolcheviks à cet égard. Il a été formulé par Rosa Luxemburg
dans sa brochure sur la révolution russe. La révolution
socialiste, ainsi que le début de construction d'une société
sans classes, constituaient une expérience entièrement
nouvelle. Il n'existait en ce domaine aucun manuel de règles
préétablies auquel il aurait suffit de se référer. La
révolution russe fut un immense laboratoire historique, à la
fois exaltant et dramatique. On ne peut avancer qu'en
expérimentant qu'en tâtonnant.
Seule la pratique peut
démontrer si telle ou telle mesure concrète - nous ne
parlons pas ici de l'orientation générale - est correcte ou
fausse. Toute approche dogmatique, partant de schémas
préétablis, est contre-productive (comme l'est d'ailleurs
toute orientation purement pragmatique). Toutes deux
esquivent les grands choix stratégiques.
Beaucoup de choses sont
claires après-coup, mais ne l'étaient guère sur le moment.
Elles ne pouvaient l'être. Comme le disait Napoléon
Bonaparte: « On s'engage, et puis on voit ». Lénine aima
répéter ces paroles d'un maître tacticien.
Erreurs et démocratie
socialiste
C'est justement parce qu'il
en est ainsi que la révolution a vitalement besoin de la
démocratie soviétique pluraliste, du pluripartisme, d'une
vie politique active, du droit pratique de critique et
d'intervention des masses. Car si la révolution, comme le
début de construction d'une société sans classes sont un
immense laboratoire, les erreurs sont inévitables. Il est
alors vital de disposer de mécanismes qui permettent non pas
d'éviter les erreurs, - ce qui est impossible - mais de les
corriger aussi vite que possible, puis d'éviter leur
répétition à l'avenir. Lénine notait lui-même que la manière
dont un parti se comporte à l'égard de ses propres erreurs
conditionne son avenir.
Et c'est dans ce contexte que
la démocratie soviétique acquière toute sa valeur.
Démocratie et égalité sociale
Samuel Farber a donc, à notre
avis, raison contre John Rees, en ce qui concerne la méthode
générale d'approche. Mais, de nouveau, il n'a raison que de
manière générale et abstraite et non dans bon nombre de
jugements concrets qu'il formule. Il emploie en effet, de
façon trop excessive, des critères purement formels de
démocratie; des critères qui s'avèrent, en pratique,
beaucoup moins démocratiques que l'on pourrait le mire à
première vue.
Farber insiste fortement sur
l'importance de « l'Etat de droit », nécessité du droit
écrit, principe selon lequel un inculpé est présumé innocent
aussi longtemps que sa culpabilité n'est pas démontrée,
etc. (126) Notre mouvement a incorporé la plupart de ces
principes dans les thèses qu'il a adoptées, lors de ses
congrès de 1979 et 1985, et intitulées « Démocratie
socialiste et dictature du prolétariat ». Nous n'avons donc
pas attendu les bouleversements en Europe de l'Est, ni la
publication du livre de Farber, pour les affirmer et les
défendre. (127)
Mais Farber ne traite pas
d'une série d'autres problèmes, qui, bien que non-formels,
n'en sont pas moins fort réels; des problèmes qui risquent
garantie des droits de l'homme et de la toutes, aussi
longtemps que des phénomènes marchands et monétaires la
période de transition : la corruptibilité des juges ; la
nécessité de limiter le nombre d'avocats auxquels un
individu peut avoir recours, sinon, ceux qui ont plus
d'argent ont des possibilités de défense - ou dans les
procès civils d'accusation - supérieures aux autres ; la
gratuité d'accès à la défense; la nécessité d'un stricte
contrôle publie, et donc la suppression du principe que la
chose jugée ne peut être remise en question; des
modifications substantielles des codes de procédure, qui les
rendent plus transparents à la masse des citoyen(ne)s ; la
généralisation du principe de la révocabilité des juges
(donc suppression du principe qu'ils sont inamovibles) et
l'extension au maximum du principe des tribunaux de jury.
On ne voit pas très bien en
quoi de tels bouleversements juridiques saperaient ou
réduiraient les droits des individus, ou « l'Etat de
droit ». Ce sont, en fait, des conditions nécessaires, si
l'on veut que tous et toutes, et non seulement des minorités
privilégiées (y compris des bureaucrates et des
intellectuels), puissent pleinement jouir de leurs droits
formels! Pourtant, les critiques sévères de la 'justice
révolutionnaire les rejettent dogmatiquement, comme par
principe.
L'inégalité sociale devant la
justice est un scandale bien connu de nos « Etats de
droit ». Trois événements récents le confirment, si besoin
en est, de manière plutôt spectaculaire. Le prince
Victor-Emmanuel, prétendant au trône d'Italie, a été
acquitté de l'accusation du meurtre d'un jeune allemand
après une procédure qui a duré onze (!) années. Un citoyen à
revenus moyens aurait-il eu la même possibilité de faire
traîner si longtemps les choses ?
Au Japon, après une procédure
qui a duré vingt-quatre ans (!), le trust Hitachi a gagné un
procès contre un de ses employés, licencié pour avoir refusé
de faire des heures supplémentaires. Un avocat qui a crée un
bureau d'aide aux salariées, M.Kawahito, a déclaré à ce
propos: « Comme beaucoup d'autres lois japonaises, celle-ci
est délibérément obscure. La décision prise aujourd'hui est
incorrecte parce que les travailleurs, au Japon, ne pourront
plus, dorénavant, refuser les heures supplémentaires et que
la karochi (mortalité par surmenage au travail) va encore
augmenter (…) Un col-blanc sur quatre craint maintenant la
mort par surmenage au travail, selon un sondage récemment
réalisé à Tokyo par une firme pharmaceutique, Nippon Kayaku
(…) Il est clair que la Court suprême a favorisé le grand
capital et qu'elle pense que la puissance économique se base
sur les heures supplémentaires. Elle a donné la priorité à
l'économie sur la vie humaine ». (128)
La famille Kennedy a dépensé
en moins de six mois un million de dollars pour défendre un
membre du clan inculpé de viol. (129) Le commun des mortels
peut-il faire de même ? Les Etats-Unis, l'Italie et le Japon
sont, certes, des pays capitalistes et non des sociétés
post-capitalistes. Mais cela ne change rien au fait que ces
trois cas illustrent l'ambiguïté du concept « d'Etat de
droit ». Ils montrent que l'indépendance du pouvoir
judiciaire peut entrer en conflit flagrant avec l'égalité de
chances, lorsqu'il y a inégalité de fortunes, de revenus et
de statut social, des phénomènes qui survivront durant
l'époque de transition à laquelle se réfère Farber.
Un gouvernement de coalition
?
Le problème des choix
d'action possibles a évidemment une dimension beaucoup plus
large que celle des variantes possibles, sans doute très
restreintes, de la tactique bolchevique. Il se pose avant
tout à ceux qui, de 1917 à aujourd'hui, de Plekhanov à Eric
Hobsbawm, disent péremptoirement: il n’aurait pas fallu
prendre le pouvoir; la révolution d'Octobre aurait été
« prématurée ».
Qu'est-ce qu'il aurait alors
fallu faire? Attendre passivement la suite des événements?
Laisser triompher la contre-révolution? Livrer le pays à la
soldatesque de Guillaume II? Réformistes russes et
internationaux n'avancent rien de cohérent, sauf des
illusions absurdes en une démocratie bourgeoise impossible.
Les centristes de type Martov
et Otto Bauer/Hilferding ont défendu de manière hésitante et
timide, une solution de rechange. Ce que Martov a appelé un
« gouvernement démocratique révolutionnaire unifié », une
coalition de tous les partis se réclamant du socialisme.
Toute une aile des bolcheviks
préconisait également un tel projet (comme nous l’avons vu
au chapitre précédent). Il était pourtant
fondamentalement irréalisable, et ce non pas en fonction du
« sectarisme » supposé des bolcheviks, niais pour des
raisons bien plus profondes.
En effet, les S-R de droite
et les mencheviks de droite ne voulurent à aucun prix
abandonner la politique de « défense nationale »,
c'est-à-dire de poursuite de la guerre, ce qui avait des
implications inexorables. Le menchevik de centre-gauche Dan,
lui-même partisan (de plus en plus hésitant) de
la « défense nationale révolutionnaire », écrit à ce sujet:
« La poursuite de la défense
du pays, en attendant la signature d'une paix démocratique,
exigeait qu'une armée de plusieurs millions de personnes
soit maintenue sur pied, et que tout soit fait pour éviter
queue ne se désorganise. Il fallait, en conséquence,
reporter la mise en oeuvre de la réforme agraire jusqu'après
la réunion de la Constituante. En effet, une expropriation
révolutionnaire des grands propriétaires et la distribution
des terres auraient inévitablement provoqué la désertion de
millions de soldats paysans qui ne seraient pas restés au
front à un tel moment ». (130)
En d'autres termes, ni la
majorité des mencheviks, ni les S-R de droite n'étaient
prêts à accepter la paix immédiate, le partage immédiat des
grands domaines et le contrôle ouvrier sur la production. Le
ministre du travail menchevique Skobelev a accepté le
rétablissement de l'autorité des fabricants et directeurs
dans les entreprises, une exigence de l'association
patronale. Sur quel programme établir une coalition
gouvernementale ?
Les conciliateurs mirent en
outre, comme condition à la constitution d'un tel
gouvernement de « front unique ouvrier », l'exclusion de
Lénine et de Trotsky de ce gouvernement. C'était évidemment
une condition inacceptable pour les bolcheviks qui
détenaient tout de même la majorité absolue des mandats au
Congrès des Soviets !
Un gouvernement de coalition
bolchevique, S-R de gauche, mencheviks de gauche (les
« internationalistes » autour de Martov) aurait lui, été à
la rigueur possible. Les bolcheviks n'étaient pas opposés à
cette solution. Elle a, d'ailleurs, été réalisé en partie,
puisqu'un gouvernement de coalition bolchevique-S-R de
gauche à bel et bien été constitué. Mais c'est le groupe de
Martov qui a refusé, dès le premier moment, de s'engager
dans cette voie.
Ne pas agir ? L’exemple
allemand
On pourrait argumenter que,
somme toute, mieux valait ne pas s'engager dans une voie
révolutionnaire qui ne pouvait conduire qu'à un échec. Cette
position n'est qu'en apparence une position de Ponce Pilate.
En réalité, en refusant
d'agir, on influence tout autant les événements qu'en
agissant - car on opte pour le statu quo et on laisse le
champ libre à l'adversaire de classe qui peut prendre
l'initiative comme il l'entend. Les scolastiques ne disent
pas sans raison qu'il y a des péchés d'omission, en plus des
péchés de commission.
Cette question fondamentale
du choix stratégique peut être illustré de la manière la
plus nette en opposant le comportement de la
social-démocratie allemande, majoritaire au cours de la
révolution de 1918, au comportement des bolcheviks en 1917
(la droite de l'USPD occupant une position intermédiaire
assez similaire à celle de Martov en Russie).
Laissons de côté le problème
de la composition sociale de la direction du parti
social-démocrate allemand, le SPD, et des intérêts matériels
représentés. Laissons même de côté la question de la
motivation réelle des membres de ce courant majoritaire. Le
bilan historique désastreux du réformisme est clair. (131)
Le SPD a refusé de prendre le pouvoir. Il a refusé
d'envisager la possibilité d'une avance, fût-elle modérée,
vers le socialisme. Il a refusé d'épurer sérieusement
l'appareil d'Etat hérité de l'Empire, - notamment ses
branches militaires, judiciaires et diplomatiques. Il est
passé à 100% du côté de l'ordre établi, qu'il était tout au
plus prêt à timidement réformer.
Cette politique s'est
concrétisée de bien des façons. conclusion de l’accord de
concertation (de collaboration de classe)'institutionnalisée
entre la bureaucratie syndicale et le patronat ; formation
d'un gouvernement de coalition avec la bourgeoisie;
liquidation des conseils ouvriers non seulement comme
organes de pouvoir politique mais même comme organes de
contrôle ouvrier et de dualité de pouvoir au sein des
entreprises; surtout accord secret avec l'état-major
impérial, sous l'impulsion commune d'Ebert, chef de la
social-démocratie, et du général Groener :
« On ne saurait plus discuter
aujourd'hui au sujet de l'alliance conclue en ces jours de
novembre entre le chancelier Ebert et les chefs de l'armée,
même si la version de l'accord téléphonique entre Groener et
Ebert dans la nuit du 9 au 10 novembre ne peut être retenue
formellement. Dès le 10 novembre, le maréchal Hindenburg
télégraphie aux chefs militaires que l'état-major est décidé
à collaborer avec le chancelier pour « éviter l'extension du
bolchevisme terroriste en Allemagne ». Le général Groener
[écrit] quelques années plus tard : « Nous nous sommes
alliés contre le bolchevisme ». (132)
Mais ce que les Ebert, Noske
et Groener appelaient « le bolchevisme », c'était, en
Allemagne, un très vaste mouvement populaire contestant la
société bourgeoise, indépendamment de l'existence de
mouvements aventuristes et minoritaires d'extrême gauche. A
témoin la grève générale pour la défense des conseils
ouvriers en février-mars 1919, ou, en mars-avril 1920, la
formidable mobilisation de masse contre le putsch Kapp-von
Lüttwitz.
Réformisme et
contre-révolution
En période révolutionnaire,
le refus de s'engager pour la révolution, la prise du
pouvoir, a, presque fatalement pour corollaire un engagement
dans la contre-révolution. Le choix n'est plus, alors, entre
action et inaction. Il est entre action révolutionnaire et
action contre-révolutionnaire. Les réformistes sont en effet
amenés à réprimer le mouvement spontané, semi-spontané ou
organisé des masses laborieuses, s'opposant à lui d'abord
par des manoeuvres et des mensonges, puis par l'action
violente. (133)
Le rôle de Gustav Noske,
ministre social-démocratie, est tristement célèbre à ce
sujet Il n'a pas hésité à écrire: « Personne n'a fait la
moindre objection quand j'ai exprimé l'avis que l'ordre doit
être rétabli par la force des armes. Le ministre de la
guerre, le colonel Reinhardt, a rédigé un ordre désignant le
général Hoffmann comme commandant-en-chef (...). L'objection
fut avancée que le général serait trop impopulaire avec les
ouvriers (…) J'ai insisté pour qu'une décision soit prise.
Quelqu'un a dit: « Ne pouvez-vous pas vous-même faire
l'affaire? » J'ai répondu brièvement et résolument: « Je n'y
vois pas d'objection. Quelqu'un doit jouer le rôle de chien
sanglant. Je n'ai pas peur de cette responsabilité ». (134)
Le même Noske n'a pas non
plus hésité à faire appliquer aux murs de Berlin, quelques
mois plus tard, l'avis suivant : « La brutalité et la
bestialité (sic) des spartakistes qui luttent contre nous
m'obligent à donner l'ordre suivant: toute personne prises
les armes à la main dans la lutte contre le gouvernement,
sera fusillée séance tenante ». (135)
Ces massacres sont justifiés
au nom de l'hostilité au « bolchevisme ». On peut constater,
non sans ironie, que ces mêmes personnes s'indignent contre
la Terreur Rouge dirigée contre les « personnes prises les
armes à la main dans la lutte contre le gouvernement »
(pourtant, Trotsky n'a jamais envisagé ou pratiqué
l'exécution des membres des Armées Blanches).
Mais le fait fondamental est
ailleurs. Voilà des dirigeants de partis se réclamant du
socialisme qui s'arrogent le droit d'interdire à de larges
masses d'organiser des grèves ou de constituer des cortèges
même sans armes, au nom de priorités, de « principes », de
jugements politiques qui sont loin d'être partagés par tout
le monde et qui ne relèvent pas non plus d'une
infaillibilité papale. (136)
Les mencheviks, même de
gauche, s'opposèrent avec la dernière énergie aux
initiatives de contrôle ouvrier émanant directement des
entreprises en Russie. Ils se sont même arrogés le droit de
réprimer ces travailleurs lorsqu'ils passaient outre à
jugements. Cette arrogance paternaliste et prétentieuse
relève de la même orientation substitutionniste qui
sous-tend le comportement stalinien. Ce parallèle entre des
comportements réformistes et ceux des staliniens mérite
d'être mis en évidence.
Répétons-le, tout cela est
aux antipodes de la doctrine et de l'orientation de Marx,
centrées sur le concept d'auto-émancipation de la classe
ouvrière. Marx et Engels ont eu le pressentiment de ce
substitutionnisme et de ses implications, lorsque, dans leur
fameuse lettre de septembre 1879 dans laquelle ils
condamnaient la position du Manifeste réformiste des « Trois
de Zurich » (Hochberg, Bernstein et Schramm) en termes fort
ironiques : « Si l'on veut gagner à [notre] cause comme
l'espèrent les Trois de Zürich les couches supérieures de la
société, on ne doit à aucun prix les effrayer. Les Trois de
Zurich croient avoir fait une découverte tranquillisante:
« le parti [doit] montrer qu'il n'est pas disposé à entrer
dans la voie de la révolution sanglante et violente, mais
qu'il est décidé.. à prendre la voie de la légalité,
c'est-à-dire des réformes. La conclusion logique de cet
argument, est donc que, si un jour Berlin se montre de
nouveau si mal élevé pour faire un 18 mars [cest-à-dire une
explosion révolutionnaire], les social-démocrates, au lieu
de prendre part à la lutte en qualité de « canailles
brûlants de monter sur les barricades » (termes utilisés par
les « zurichois ») devront plutôt « prendre la voie de la
légalité, enlever les barricades et, si besoin est, marcher
au pas avec les troupes glorieuses contre les masses
exclusives, brutales et illettrées ». (137)
Voilà le comportement des
réformistes Ebert-Noske prévu et condamné quarante ans avant
les faits. La justification principale que les
sociaux-démocrates ont avancé pour leur politique
d'opposition à la prise du pouvoir socialiste au cours d'une
crise révolutionnaire, c'est qu'il fallait défendre la
démocratie, voire la défendre à tout prix, y compris contre
des millions d'ouvriers - peu importe, ici, si ceux-ci
constituent une (légère) majorité ou une forte minorité du
prolétariat et du corps électoral.
Pour ce faire, ils doivent
commencer par ignorer ou par nier la réalité de la menace
contre-révolutionnaire. (138) Mais en s'engageant dans la
voie de la répression, en utilisant à cette fin le vieil
appareil d'Etat des classes possédantes, ils ouvrent aussi
un processus de consolidation des « élites », pavant ainsi
la voie qui a conduit au pouvoir sanglant de la dictature
nazie. La République de Weimar a accouché du Troisième
Reich. C'est en en 1918-1919, en 1920 et en 1923, que tout
s'est joué, dans la répression de la révolution et des
masses allemandes - les réformistes ne jouant pas seulement
un rôle passif, mais s'engageant activement dans le camp
contre-révolutionnaire. (139)
La dictature nazie et la
deuxième guerre mondiale (1939-1945) ont coûté cinquante
millions de morts à l'humanité. Voilà ce qu'à été
l'alternative concrète à la révolution d'octobre. Voilà,
dans les faits, la justification historique la plus
frappante de cette révolution.
Chapitre VIII : En guise de
conclusion
La réaction russe et
internationale a attaqué avec une extrême violence la
révolution d'octobre, durant les années qui ont suivi la
victoire bolchevique, affirmant que cette dernière n'avait
eu que des effets purement destructeurs.
Une grande richesse
culturelle
Les journaux français, avant
tout « Le Temps », dénonçaient à pleines colonnes la
« barbarie asiatique» qui aurait étouffé toute vie
artistique, littéraire, scientifique dans la Russie des
Soviets. En juillet 1920, l'académie française des Sciences
supprima un rapport que lui avait adressé M. Victor Henri,
chargé de mission en Russie, sur l'activité scientifique
dans ce pays. Fin 1925, encore, le quotidien « The Times »
de Londres a publié une note de l'Amirauté britannique
affirmant que le gouvernement soviétique n'avait rien
apporté d'autre à la Russie que le sang, la misère et la
famine. (140)
Le hobereau prussien Karl von
Bothmer résume bien l'argument central de cette campagne de
dénigrement quand il écrit : « Aucune force constructive ne
se manifeste ». « Nulle part n'apparaissent de forces
créatrices ». Le gouvernement « ne se maintient que part des
moyens criminels, sans pouvoir faire état d'une quelconque
réalisation ». (141)
Au même moment où von Bothmer
écrit ces lignes, Beryl Williams constate plus honnêtement
que: « La combinaison d'expérimentations en matière d'art et
de débats intellectuels intenses sur les questions
culturelles a donné naissance à une période de vigueur
artistique et de rêves utopiques dans les années de
révolution et de guerre Civile ». (142)
Il note en pratique que fin
1918, il y avait déjà trois fois plus de musées en Russie
qu'avant la révolution. (143) En fait, l'essor du théâtre et
du cinéma en URSS, de la peinture, de l'affiche et de la
sculpture d'avant- garde, de l'urbanisme et de
l'architecture, de la psychologie et de la psychiatrie, de
l'analyse de la conjoncture économique et de
l'historiographie, sans parler de la littérature, ont
impressionné le monde entier. Cet essor a dépassé celui des
fameuses « années d'or » de l'Allemagne de Weimar, dont la
base de départ et la richesse matérielle étaient pourtant
infiniment plus larges
L’essor de l'éducation
La révolution entreprit aussi
un immense effort d'alphabétisation et d'expansion de
l'enseignement. Le budget de l'instruction publique, qui
s'est élevé à 195 millions de roubles en 1916 et que la
révolution de février avait accru à 940 millions de roubles,
fut porté à 2,9 milliards de roubles en 1918 par les
bolcheviks, puis à 10 milliards en 1919. Le nombre d'écoles
primaires fut porté de 38.387 en 1917 à 52.274 en 1918 et à
62.238 en 1919. L'enseignement préscolaire, qui avait été
pratiquement nul sous le tsarisme, englobait déjà 200.000
enfants en 1921 et 561.000 en 1921. (144)
Ne craignant pas le ridicule,
le professeur Norman Stone n'hésite pas à affirmer qu'avant
1917, le tsarisme était déjà sur la vole de la modernisation
réussie de la Russie. Il cite à ce propos son « essor
Scientifique et culturel » (145) Or, il n'y avait dans la
Russie tsariste, au maximum, que quelques milliers de
scientifiques. La grande majorité de la population était
analphabète. Grâce à I'oeuvre commencée par la révolution
d'Octobre, il y avait au début des années 1980, plus de deux
millions de scientifiques; 125 millions de diplômé(c)s
d'enseignement secondaire; 14,8 millions de citoyen(ne)s
avec des diplômes post-secondaires; et plus de 80% des
salarié(e)s qui avaient des certificats d'enseignement
secondaire. (146) Quant au bond en avant industriel, quel
qu'eût été son prix, le bilan est non moins clair.
Une révolution humaniste
Voilà ce qu'il en est de
« l'absence de réalisations » de la révolution d'Octobre!
Mais quittons le domaine matériel, pour nous tourner vers le
domaine moral et spirituel tant vanté, non sans hypocrisie,
par les adversaires de la révolution. Même von Bothmer doit
reconnaître que la révolution, en interdisant toute vente
d'alcool, a pratiquement fait disparaître l'ivrognerie dans
les grandes villes. Il n'a vu aucun ivrogne à Moscou ou à
Pétrograd. (147)
Quand on sait combien le
fléau de l'alcoolisme a frappé la Russie avant Octobre - et
après le rétablissement du monopole étatique de vente de
l'alcool, sous Staline! -, quand on connaît ses ravages dans
l'URSS d'aujourd'hui, on se rendra facilement compte de
l’importance de cette question.
Dans le même sens, le
publiciste Alfons Goldschmidt se sent en absolue sécurité à
Pétrograd et à Moscou. Les rues sont calmes. En pleine
famine, des camions de farine passent, ils ne sont pas
attaqués. Il n'y a pas de pillage des magasins de vivres.
(148)
L'humanisme de la révolution
s'est également exprimé dans un pluralisme culturo-moral
généreux, touchant et quasi-naïf. L'écrivain allemand Alfons
Paquet est un critique calomniateur de la révolution qui ne
peut, cependant, s'empêcher de sympathiser avec elle. (149)
Il relate qu'au premier anniversaire d'Octobre on avait
inscrit sur les murs blancs de la caserne de l'ancienne
académie militaire une longue liste de « combattants pour la
liberté ». La liste comprenait les noms de Victor Hugo, d'Emile
Zola, d'Ibsen, d'Emile Verhaeren, de Nekrassov, de Saltykov,
de Michalovski, de Byron, de Chopin, de Koltzov, de
Constantin Meunier, de Moussorgski, de Pouchkine, de,
Rymski-Korsakov, de Scriabine, de Beethoven, de Marx,
d'Engels, d'Auguste Blanqui, de Bebel, de Lassalle, de Jean
Jaurès, de Plekhanov, de Spartacus, de Gracchus Babeuf, de
Garibaldi, de Robespierre, de Danton, de J.-J. Rousseau, de
Robert Owen, de Herzen, de Bakounine, de Voltaire, de Pestel,
et de bien d'autres encore. (150)
En 1918-1919 des oeuvres de
Pouchkine, de Lermontov, de Gogol, de Toistdf, de Tourgeniev,
de Dostoïevski, de Gontcharov, de Grigoroviteh, d'Ostmvski,
de Ryleicv, de Zola, d'Anatole France, de Mérimée, de Walter
Scott, de Romain Rolland, d'Aulard, de Louis Blanc, de Jean
Jaurès, de Bebel, de Plekhanov, de Kautsky (ces deux
derniers adversaires résolus de la révolution d'octobre) ont
été édité à
des tirages allant de 25.000
à 100.000 exemplaires. (151)
En même temps, la révolution
impulsa une formidable oeuvre de participation des masses à
la vie culturelle. Le premier mai 1920, 20.000 personnes
participèrent à Pétrograd au spectacle appelé « La
libération du travail », relatant le combat historique pour
l'émancipation, de la révolte des esclaves de l'Antiquité
jusqu'à la révolution russe. Le célèbre film « Le Cuirassé
Potemkine » de Serge Eisenstein fut tourné avec la
participation de milliers de citoyen(ne)s d'Odessa. (152)
L’esprit de classe
Entre cet esprit
prolétarien-populaire et la nature même de la révolution
dans le domaine institutionnel, il y a une inter-connexion
indéniable. Citons encore une fois Alfons Paquet, qui a tout
de même reconnu cet esprit dans ce qu'il avait d'essentiel:
« L'apport premier, incomparable, de la révolution abuse est
d'avoir engagé, en toute radicalité et d'une main de fer, le
combat contre l'égoïsme du capitalisme, que ce soit dans sa
forme privée ou étatique. Le mérite du bolchevisme est
d'avoir permis que cela soit (…). L'effondrement de l’Europe
est en train de se produire sous nos yeux, mais le fondement
de sa reconstruction a déjà été établi. Essayons de
comprendre au fond les idées de la révolution et tirons
d'elles espoir pour l'avenir ».
Et cette conclusion d'une
actualité saisissante: « Un jour, par exemple, les
travailleurs [des villes bordant le fleuve Rhin que sont]
Bâle, Strasbourg, Mannheim, Mayence, Ruhrort [une
agglomération minière], Emmerich et Rotterdam pourraient
former un conseil commun du bassin rhénan et pourraient
ainsi faire sentir leur influence dans la transformation de
cet axe en une grande route fluviale européenne, par-delà
les frontières d’états et le droit de ceux d'en haut (...).
L'idée de tels conseils peut aussi, de bien des façons,
servir le but européen, c'est- à-dire la construction d'une
économie commune et de la paix ». (153)
Il y a, ici, indéniablement
un esprit de classe. C'est bien à ce titre que les tenants
du pouvoir de la propriété privée, du pouvoir de la fortune,
le jettent au banc des accusés. Il reste, pour nous,
conforme aux exigences de justice sociale et aux données
historiques, totalement défendable à tout point de vue, à
commencer par le point de vue moral.
Alfons Goldschmidt, à
Pétrograd, a perçu cet esprit de classe : « La première
impression: une ville prolétarienne. L'ouvrier règne.
L'ouvrier domine la rue ». (154) Alfons Paquet constate pour
sa part que: « Des conseils exclusivement composés de
prolétaires gouvernent dans les entreprises, Les quartiers
urbains, les villages, les districts et les provinces ».
(155)
Le gouvernement bolchevique a
distribué des armes aux ouvriers dans pratiquement toutes
les villes du pays, au cours de la guerre civile. N'est-ce
pas la preuve qu'il ne s'agissait point du gouvernement d'un
clan ou d'une secte, mais d'un gouvernement de classe,
convaincu de jouir de la confiance de la majorité de cette
classe ?
Beaucoup d'historiens ont
affirmé que les bolcheviks auraient perdu l'adhésion, voire
l'appui de la classe ouvrière après la conclusion de la paix
de Brest-Litovsk et le déclenchement de la Terreur Rouge en
1918. Même un critique bienveillant, William G.Rosemberg,
l'affirme. (156) Mais cette affirmation est contredite par
l'appel systématique à la mobilisation des ouvriers d'usine
dans l'Armée Rouge, en vue de défendre le pouvoir des
soviets. En effet, l'immense majorité des travailleurs a
répondu positivement à cet appel. (157) Il y a bien sûr eu
des fluctuations incontestables dans l'attitude de la classe
ouvrière à l'égard des bolcheviks en 1918, 1919 et 1920.
Mais, quel que fut son aspect critique, l'appui de la
majorité des travailleurs leur resta acquis.
L'Armée rouge était
d'ailleurs imprégnée de cet esprit de classe prolétarien.
L'instruction du soldat contenait notamment les passages que
voici: « Tu dois être parmi tes camarades. Tes chefs sont
des frères plus expérimentés et plus instruits. Au combat, à
l'exercice, à la caserne, au travail, tu dois leur obéir.
Aussitôt sorti de la caserne, tu es absolument libre. Si on
te demande, comment te bats-tu ? Réponds : Je combats avec
le fusil, la baïonnette, la mitrailleuse, et aussi avec la
parole de vérité que j'adresse à ceux des soldats ennemis
qui sont des ouvriers et des paysans, afin qu'ils sachent
que je suis en réalité non leur ennemi, mais leur frère ».
(158)
Relevons, parmi bien d'autres
témoignages qui attestent cet esprit de classe, un fait cité
par S.A. Smith. Lorsque fin décembre 1917, il fallut réduire
l'emploi aux usines de munitions et aux usines Poutilov de
Pétrograd, les ouvriers dressèrent des listes de priorité.
Aucune appartenance de parti, y compris celle du parti
bolchevique, ne fut prise en compte. (159)
Espérance
Le sens historique de la
révolution d'octobre a été admirablement exprimé par Maxime
Gorki, qui en fut pourtant un critique sévère : « Quiconque
croit honnêtement que l'aspiration irrépressible de
l'humanité à la liberté, à la beauté et à une existence
guidée par la raison n'est pas un rêve inutile, mais une
force véritable qui, par elle-même, peut créer de nouvelles
formes de vie - qu'elle est en elle-même un levier qui peut
faire bouger le monde - ; toute honnête personne doit
reconnaître la signification générale de l'activité de ces
révolutionnaires conséquents. La révolution doit être conçue
comme une vaste tentative pour donner forme aux idées forces
et aux réponses imaginées par les maîtres penseurs de
l'humanité (…). Venez avec nous, à la rencontre de la vie
nouvelle pour laquelle nous enivrons (...). En avant, vers
la liberté et la beauté de l'existence ». (160)
Il reste une justification
supplémentaire, à la révolution. Elle est fournie par
l'auteur farouchement anti-bolchevik, Leonard Shapiro, sur
la base de ses propres souvenirs, alors qu'il était jeune
garçon à Pétrograd, à la fin de 1920: « La vie était
extraordinairement dure. Le niveau d'alimentation approchait
la famine (...). Et pourtant, mes souvenirs,
incontestablement influencés par les adultes qui
m'entouraient, sont ceux de l'enthousiasme et de
l'exaltation. [Cette] vie nouvelle, d'espérance, annonçait
quelque grand futur. En dépit des privations et de la
brutalité du régime, le sentiment d'euphorie suscité par la
chute de la monarchie, en mars 1918, n'était pas encore
mort ». (161) On ne saurait mieux dire.
L'histoire est un juge sévère
mais juste; il faut simplement lui accorder le temps
nécessaire pour achever son oeuvre. En 1810, voire en 1815,
il n'existait plus beaucoup de sympathie pour la révolution
française de 1789, sauf dans quelques milieux
révolutionnaires fort restreints. Mais en 1848, pour ne pas
dire 1889, le jugement avait profondément changé à son
sujet. Nous sommes convaincus qu'il en ira de même, en ce
qui concerne le verdict porté sur la révolution d'Octobre.
Notes :
1) Voir notamment David
Mandel, The Petrograd workers and the Soviet Seizure of
Power, Londres, 1984.
P. Lorenz, Die russische Revolution 1917 :
DerAufstand der Arbeiter, Bauernunîd Soldaten, Nymphenburger
vedagsangestalt, 1981. J. Reed, Dix jours qui ébranlèrent le
monde, Paris, 1982.
S.A. Smith, Red Petrograd, Cambridge, 1983.
Et évidenirnent
L. Trotsky, Histoire de la Révolution Russe, Paris, 1950.
2) Voir, outre les trois
livres mentionnés dans la notre précédente: E.H. Carr. La
révolution bolchevique, Paris, 1969-1974. G. Comte, La
révolution russe par les témoins, Paris 1963. M. Ferro, La
révolution de 1917. octobre, Paris 1976.
R. Kohn, Die russische Revoluiion in
Augenzeugenborichten, München 1977.
M. Liebman, Le léninisme sous Lénine ; Paris,
1975. R. Medvedev, La révolution d'octobre, Paris 1978.
Parmi les analyses parues en URSS à l'époque poststatinienne,
citons surtout en rapport avec le rôle de la classe
ouvrière- A.G.Egorava, Rabocij klas Y Oktjabrskoj
revoljuicii, Moscou 1967. G.A.Trukam Rabocij Klas Y bobe za
pobedu i uprocenie soyetskoj v lasfi, Moscou 1975. Pour un
ouvrage soviétique préstalinim voir P.N. Amosov et autres-
Oktjabrs kaja Revoijuucija i Fabzavkomy, Moscou 1927.
3) N.N. Sukhanov, The Rumian
révolution 1917, volume II, Oxford 1955, pp. 528 et 579.
4) O. Anweiler, Les Soviets
en Rumie 1905-1921, Paris, 1971, p. 231.
5) M. Ferro, Des soviets au
communisme bureaucratique, Paris, 1980, pp. 139-140,164.
6) Dan, dans Martov-Dan:
Geschichte der rmssischen Soziaidemokratie, Bedin 1926, pp.
300-301.
7) B. Williams: The Russian
révolution 1917-1921, Londrs, 1987, pp. 38, 39.
8) O. Anweiler, op. cité, p.
274.
9) A. Nekritch, L'armée rouge
asmssinée, Paris 1965.
10) Voir à ce propos, parmi
d'autres témoignages, celui qui reste le plus
impressionnant: V. Serge, L'an I de la révolution russe.
Paris 1971. De nombreux témoignages saisissants sont repris
dans le livre de S. A. Smith : Red Petrograd.
11) S. A. Smith, op. cité
p. 223.
12) Braunthal. Geschichte der
Internationale, vol. II, Berlin-Bonn 1978, P. 113.
13) Lenine, "Rapport sur
l'activité du conseil des commissaires du peuple. 11 janvier
1918", OEuvres, Torne 26, Moscou/Paris, p. 489.
14) En cherchant à démontrer
qu'il y avait dès le début une tendance à la
bureaucratisation du mouvement de masse, Ferro prouve en
fait le contraire. A la 2e conférence des comités d'usine
sur lesquels s'appuyaient principalement les bolcheviks, les
membres élus directement par les ouvriers étaient 93%. les
membres nommés par les syndicats, les partis et les soviets
7 %. A la 3e conférence, celle d'octobre 1917, ces
pourcentages sont respectivement 88% et 12% (op. cit. p.
118). On peut difficilement considérer comme "bureaucratisé"
ou 'en voie de bureaucratisation' un organisme dont 88% des
membres sont des ouvriers d'usine, directement élus par
leurs compagnons de travail.
15) Trotsky signale dans son
Histoire de la Révolution russe que le parti bolchevique
désigna comme ses représentants à la présidence du 2e
Congrès des soviets 14 personnes dont 6 furent des
adversaires de l'insurrection.
16) Lénine, "Remarque sur
l'intervention de Kisséliov au sujet de la résolution sur
l'unité du parti. 16 mars 1921", OEuvres, tome 42, p. 289.
17) Citation tirée. de la
plate-forme dite "des 46", du 23 octobre 1923. Voir les
Documents of the 1923 Opposition, Londres 1975, P. 7.
18) Voir dans S.A. Smith (op.
cité pp. 58-60, 63-64, 85-86, 139 f.) les nombreuses
initiatives de, contrôle ouvrier dans les entreprises. Les
Gardes rouges furent d'ailleurs l'émanation des milices
étames par ces comités.
19) "La réussite, presque
sans effort du coup de Petrograd du 25 octobre 1917 sembla
démontrer qu'il avait vraiment derrière lui la grande
majorité de la population. Lorsque les bolcheviks
s'enorgueillissaient du fait que la révolution proprement
dite n'avait comté que très peu de vie humaines et que la
plupart d'entre elles furent perdues au court de tentatives
de leurs adversaires pour leur arracher la victoire après
quelle eût été remportée, c'était à juste litre". F-H.Carr,
La révolution bolchevique, tome 1. p. 155.
20) S.A. Smith (op. cité PP.
150-156) s’oppose à juste titre à la thèse, de nombreux
historiens occidentaux qui affirment que les bolcheviks
étaient congénitalement opposés au contrôle ouvrier
institutionnalisés Mais il faut regretter qu'il fasse
lui-même quelques concessions s'appuyant sur les "années
noires" de 1920-1921. A ce sujet, il ne mentionne guère les
positions ultérieures de Lénine et de Trotsky aux 3è et 4è
Congrès de l'Internationale Communiste, et celles de
Trotsky, de l'Opposition de Gauche et de la IVe
Internationale en faveur du contrôle ouvrier à partir de
1923.
21) Martov-Dan, op cit. p.
304.
22) Lénine, OEuvres,
tome 26, P. 256.
23) Lénine, "Rapport
sur la paix du 26 octobre", OEuvres, tome 26, pp.
257-258.
24) Ibidem pp. 259-260.
25) Cela n'implique
évidemment pas qu'il n'y avait pas de raison profondes à la
guerre, notamment la rivalité entre la Grande- Bretagne et
l'Allemane pour le partage du butin du démantèlement de
l'Empire ottoman et la domination du Moyen-Orient, dont on
commença à soupçonner les richesses pétrolières. ainsi que
la rivalité entre la Russie tsariste et la coalition
gemiano-austro hongroise pour la domination sur les Balkans.
26) J. Longuet, Le
mouvement socialiste international, Paris, 1931, p. 58,
(collection Encyclopédie Socialiste).
27) Idem pp.
80-81.
28) La Bavière est une région
allemande frontalière de l'Autriche Cette position
géographique est importante, comme on le verra par la suite,
car il y a eu une poussée révolutionnaire simultanée en
Bavière, située à l'ouest de l'Autriche, en Hongrie, sur la
frontière Est de l'Autriche, et en Autriche même.
29) G. Salvemini, The
Fascist Divratorship in Italy, New York, 1927, pp. 30-31.
30) J. Braunthal, op.cit.
p. 175.
31) Ibidem p. 186.
32) Ibidem p. 232.
35) L Trotsky, The First
five Years of the Communist Internalional Vol. 1. P. 177,
New York 1945.
36) R. Rosdolsky (Die
revolutinäre Situation in Oesterreich im Jahre 1918 und die
Politik der Sozialdemokraten - Der OEsterreische
Januarstreik 1918, Berlin, 1973) a démontré sur la base du
matériel d'archives comment les dirigeants sociaux-
démocrates autrichiens ont manœuvré, en association étroite
avec le gouvernement impérial, pour canaliser d'abord pour
étouffer ensuite cette puissante grève générale à Vienne.
Otto Bauer, dirigeant de l'aile gauche du PS autrichien
reconnaît que l'arrêt de la grève générale avant qu'elle ne
se transforme en révolution se heurta à une résistance
énorme au sein du prolétariat.
37) La vague révolutionnaire
atteint même la lointaine ville de Seattle aux Etats-Unis où
éclata une grève générale qui prit des formes d'organisation
semi-soviétique
38) Le dirigeant menchevik de
gauche, Martov, s'est efforcé après coup de donner une
interprétation "sociologique" de la radicalisation ouvrière
internationale qui suivit 1917. Il affirme (J. Martov:
Bolscevismo mondiale, Einaudi, Torento 1960 ; l'original
russe date de 1919) que cette radicalisation est
essentiellement portée par des soldats et des ouvriers
inorganisés, qui adoptent un point de vue de 'consommateurs'
opposés au point de vue de "producteurs" des ouvriers
sociaux-démocrates traditionnels, ouvriers qualifiés et
semi-qualifiés. Cette thèse est insoutenable à la lumière
des faits. Non seulement en Russie et en Italie, mais encore
en Allemagne, les salarié(e)s optant pour l'internationale
Communiste étaient avant tout les travailleurs des grandes
usines, qualifiés et semi-qualifiés, tandis que les
réformistes reçurent leur appui principal parmi les
travailleurs peu qualifiés ou non qualifiés des petites et
moyennes entreprises et des secteurs mains avancés de
l'économie. Le clivage en Allemagne entre USPD et SPD
d'abord, gauche et droite de l'USPD ensuite jusqu'en mars
1921, puis en 1923, entre PC et social-démocratie, avait
exactement la même base sociologique. Quant à la Russie, S.
A. Smith et D. P. Koenker ont démontré que les bolcheviks
reçurent avant tout l'appui des ouvriers qualifiés des
grandes entreprises (voir - Kaiser, the Worker’s révolution
in Russia in 1917 - The View from Below, Cambridge, 1987)
39) le 9 août 1920, un
Conseil d'Action était organisé par le comité parlementaire
des syndicats, le comité exécutif du Parti travailliste et
le groupe parlementaire de ce parti en vue d'avertir le
gouvernement "qu'une guerre était en train d’être préparée
par les Alliés contre la Russie soviétique sur la question
de la Pologne. Il déclare que pareille guerre serait un
crime intolérable contre l'humanité. Il avertit donc le
gouvernement que toute la puissance industrielle des
travailleurs organisés serait utilisée Pour faire échec à
cette guerre ... et qu'un conseil d'action serait
immédiatement constitué, pour prendre "tes les mesures
nécessaires afin d'appliquer cette révolution". Plus de 1000
délégués furent réunis le 13 août en conférence nationale en
vue de constituer des conseils d'action locaux et préparer
une grève générale. Des conseils d'action furent constitués
dans plus de 350 villes.
40) L. Trotsky, ibidem p.
219.
41) Braunthal, op. cite p.
232
42) Toutes ces données se
trouvent dans Trotsky, 1905, Paris 1969, pp. 34 et
suivantes.
43) T. Shanin, Russia
as a 'developing society, vol. 1, Londres, 1
1985,PP.98,101.
44) D. Makenzie Wallace,
Russia on the Eve of War and Revolution, édition par
Cydi F- Black, New Yoric, 1961. p. 346.
45) A. Kopp,
Changer la vie, changer la ville, Paris, 1975, p. 261.
46) Jaimes H.Baker: "St.
Petersburg and Moscow on the eve of the revolution p. 50
dans, Daniel H Kaiser "The Workers" Revolution in Russia,
1917 - The view from below, Cambridge Univerity
Press, 1987.
47) M. Pokrovsky,
Geschichlelands, 1-Erwhfeid, Leipzig 1929, p.275.
48) M.Pokwvsld, Russiçche Geschichie,
Buchergilde Gutenberg, Berlin 1930, pp. 249-252.
49) S.A. Smith, op. cité p. 13.
50) Edward Crankshaw, The Shadow of the
Winter Palace, Harmondsworffi, 1978, p. 344.
51) N. Riasanovsky, Histoire de la Russie,
Paris 1987, pp. 463-464.
52) Lionel Kochan et Richard Abraham, The
Making of Modern Russia, Harmondsworth, 1983, p. 223.
53) S.A. Smith, op. cité pp. 47-48.
54) Kochan - Abraham: op. cité, pp.
223-224, 196- 197
55) J. Sadoul, Notes sur la révolution
bolchevique, Paris, 1920, p. 288.
56) Kerensky, un réformiste, était le chef
du Gouvernement provisoire. La situation politique au sein
des forces armées et la volonté de paix des soldats étaient
telles qu'il n'arrivait pas à organiser d'offensives
militaires efficaces face aux forces allemandes, ce que la
droite lui reprochait vivement. Rappelons qu’une grande
partie de la Pologne a été intégrée à l’Empire russe.
57) Ibidem, p. 322
58) K. v. Bothrner, Mit Graf Mirbach in
Moskazi, Tubingen 1922, p. 56
59) A.R.Williams, Durch die russische
Revolution, Berlin, 1922, pp. 233-234.
60) Bothraer, op.cit. p. 62.
61) "Illustrierte Geschichte de russischen
Revolution, Berlin, 1928, P. 539.
62) Le 17 novembre 1918 "l'amiral Kolchak
était déclaré Dirigeant suprême de la Russie […] Les
représentants britanniques et français ont approuvé le coup
[...] Les Socialistes révolutionnaires dans la clandestinité
à Oufa ont désavoué les Corps francs, mais étaient
incapables de faire beaucoup plus. Certains d'entre eux
firent une paix précaire avec Les communistes; les
Socialistes révolutionnaires membres du Comité directeur,
Zenzinov andavkmentiev, ont été forcé d'émigrer, et Chernov
s'est finalement échappé à l'étranger' (L Shapiro, opcit.,
p. 175).
63) Rappelons que le terme de 'Blanc' est
couramment utilisé pour désigner les
contre-révolutionnaires, par opposition aux 'Rouges'. Un
général blanc est donc un général de l'armée
contre-révolutionnaire.
64) J. Rom, 'In defence of october' ,
International Socialism, n° 52, Autumn 1991.
65) Z. Giteinian, A century of
ambivalence - the Jews of Russia and the Soviet Union, New
York, 1988, pp. 99-106.
66) B. Lincoln, Red Viclory, New York,
1989, p. 322-223.
67) Cité dans le
livre, de P. Mrice, le correspondant en Russie du quotidien
libéral britannique Manchester Guardian, Die russische
Revolution, Hambourg, 1921, p.456.
68) A. Morizet, Chez
Lénine et Trotsky, La Renaissance du Livre , Paris,
1922, p. 129.
69) L Shapiro, op-cit.
pp. 176,184.
70) Contrairement à une
légende, le régime de Kerensky a été fort répressif, bien
que de manière moins sanglante que le régime Ebert-Noske. La
veille d’Octobre, il y avait plus de 10.000 prisonniers,
bolcheviks ou sympathisant avec les bolcheviks dans les
prisons de Kerensky, pour la plupart des soldats.
71) Dan, op. cit. pp.
305-306.
72) Babeuf, homme politique
dans la révolution française de 1789. A la gauche du
radicalisme démocratique, il formule un point de vue
communiste. Il est guillotiné en 1797.
73) M. Raeff, Comprendre
l’Ancien régime russe, Paris, 1982, p. 176.
74) Nous avons traité ces
problèmes, y compris celle de la nature spécifique du
Thermidor soviétique, dans notre nouvel ouvrage: Power and
Money - A Marxist theory of Bureaucracy, Londres, IM. La
terme de « Thermidor » désigne, à l'origine, une
contre-révolution politique durant la Révolution française
de 1789-1815. Commencée en 1794 (« thermidor » étant un mois
du calendrier de l'époque), cette contre-révolution a
démantelé, les formes démocratiques et populaires nées du
soulèvement contre l'Ancien régime, sans remettre en cause
son caractère bourgeois. Par analogie, le « thermidor
soviétique » désigne la centre-révolution stalinienne qui a
liquidé la démocratie socialiste, et instauré une dictature
bureaucratique, sans pour autant rétablir le capitalisme en
URSS.
75) L'historien M. Ferro donne les chiffres
suivants qui expriment la transformation du PCUS: entre le
premier semestre de 1924 et le 2è semestre de 1925, le
nombre d'ouvriers parmi les candidats membres du parti est
tombé de 64,5 à 43,8 %. N'est-ce pas éloquent ?
(M. Ferro, op. cit., p. 246).
Cela ne, fait qu'annoncer des transformation
encore plus profondes.
76) Trotsky, La Révolution trahie, Paris,
1963, p. 75.
77) Quatrième Internationale, L'agonie du
capitalisme et les tâches de la IVe Internalionale,
Programme de transition, Paris, 1983, p.56.
78) R. Luxemburg, La révolution russe,
Paris, 1964. p. 65. Rosa Luxemburg était une Dirigeante
révolutionnaire et théoricienne marxiste polonaise, très
active dans le mouvement ouvrier allemand. Elle fut
assassinée par la réaction en 1919.
79) Ibidem,
pp. 67-69. Kautsky était le théoricien et
dirigeant de la social-démocratie allemande et de la Seconde
Internationale le plus reconnu. Il deviendra réformiste.
80) Le "communisme de guerre"
est le nom donné à l'orientation économique pendant la
période de guerre civile.
81) Trotsky, après l'échec de sa proposition
précoce de NEP, a défendu un temps le thème alternatif de la
« militarisation » de l'économie. La NEP - ou Nouvelle
politique économique - a été mise en œuvre en 1921. Elle a
représenté une rupture profonde avec l'économie de
commandement du Communisme de guerre, en libéralisant le
marché et la production paysanne, en favorisant un certain
développement de la petite industrie privée, en proposant
d'accueillir des investissements étrangers.
82) Roy Medvedev, La Révolution d'octobre,
Paris, 1978, p. 210. Fin mars 1917, la garnison de
Kronstadt, un port sur la Baltique, s'est rebellée. Les
négociations engagées avec le pouvoir ayant échouées, la
rébellion a été écrasée, par l'Armée rouge. Nous ne
cherchons pas à analyser plus avant, dans cet essai le
problème posé par la révolte de Kronstadt et sa répression
par le pouvoir soviétique. C'est qu'à notre avis, compte
tenu de ce que la guerre civile n'était pas encore terminée.
nous avons affaire à une question de jugement politique,
tactique,, et non de principe. La difficulté du débat, à ce
sujet, réside dans le fait que la plupart de ceux qui
critiquent la décision des bolcheviks fondent
essentiellement leur jugement sur des appréciations
spécifiquement politiques, natures des forces politiques en
présence, nature des revendications, etc. Mais, à notre
avis, en situation de guerre civile, c'est la nature des
forces sociales en présence (et leurs 'logiques) qui est
décisive. Or, à ce propos, les informations dont nous
disposons actuellement ne permettent pas de tirer des
conclusions définitives. Selon les uns, surtout les
anarchistes, les matelots de Kronstadt étaient
fondamentalement des ouvriers, comme ceux de 1917-1918. Leur
révolte relayait les protestations ouvrières à Pétrograd et
ailleurs. Ce qui était donc posé, c'était le problème de la
démocratie soviétique, prolétarienne. Selon les autres,
surtout Trotsky, les matelots prolétariens de 1917-1918
avaient largement disparu de la citadelle. lis étaient morts
au front, absorbés par l'Armée rouge et l'appareil d'Etat,
etc. Les matelots de 1921 étaient des fils de paysan moyes
et cossus. Leur révolte relayait le rejet par la paysannerie
du 'communisme de guerre' et des réquisitions de blé. Il
fallait négocier avec eux, mais ne pas céder à une dynamique
sociale qui pouvait renforcer les menaces
contre-révolutionnaire sur Pétrograde, une menace nationale
et internationale, car le dégel des glaces pouvait ouvrir le
port de Kronstadt à la flotte blanche de la Baltique.
83) L.Kritsman, Die herbische Periode der
grossen ratsischen Revolution, Vienna-Bertin, 1929.
84) Marx et Engels ont mis en garde contre
ce "communisme de misère" primitif, qui ne ferait que
généraliser la pénurie et aboutirait inévitablement à la
renaissance de toute la "vieille merde"
85) Les Hohenzollern
et les Habsbourg - familles régnantes d'Allemagne et
d'Autriche-Hongrie
86) Lénine, "Discours
à la séance du soviet de Pétrograd des députés et soldats et
des délégués du front le 4 (17) novembre 1917",
OEuvres, tonne 26, p. 307.
87) A.R William,
op-cit, pp. 112 ff.
88) Ibidem, p. 126.
89) Modzet, op. cité,
p. 429.
90) O Leggett, The
Cheka: Lenin’s political police, Oxford 1981, p. 171.
91) Stephen F. Cohen,
Boishevism and Stalinism (in: RoberC.Tucker Stafiriism -
Essays in historical Interprétation Nortm 1977) cite un
grand nombre d'auteurs qui expriment ce jugement. Les
sources sont trop nombreuses pour être reproduites ici.
Notoil simplement, à titre d'exemple, les auteurs Merle
Fainsod, Hannah Arendt, Robert V. Daniels, Michael
Karpovitch, Ulam, Baningtoti Moore, Arthur P. Mendel,
Zbigniev Brzesinsid, Robert H. McNea Alexander
Soisheznitzyne. Une citation suffit pour synthétiser leu
jugement. Flic vient de Merle Fainsold, "De l'embryon
totalitaire naîtra le totalitarisme achevé".
92) N. Valentinov, Encounters with Lenin,
Oxford University press 1968.
93) L.B. Kamenev,
Lenins literarisches Erbe. Hmbourg, 1924
94) R. W. Clark,
Lenin the Man Behind the Mask, London, 1988, pp.
207,239-240.
95) Idem,
p. 227.
96) De Plus,
on a pratiquement oublié que ce furent des mencheviks et non
Lénine qui ont forgé le concept du centralisme démocratique.
97) Lénine,
"Que Faire ?", OEuvres, tome 5, p. 489.
98) Lénine,
« Préface au recueil ‘En douze ans’ », OEuvres, tome 13, pp.
102-103. En 1905-97) la Russie a connu une très importante
vague de luttes révolutionnaires. Ce fut, pour toutes les
organisations, une expérience majeure, grandeur nature, une
épreuve-test de la validité de leurs programmes et de la
qualité, de leurs structures. L'évolution ultérieure de ces
organisations - comme du régime tsariste - a été
profondément marquée par ces années clefs.
Voir notamment T. Smitn, The Roots of
Otherness.- Russia’s Turn of Century, V. Diume Z Russii
1905-07 Revolution as a Moment of Truth, Londres, 1985.
99) Lénine,
'Nos tâches et le Soviet des Députés ouvriers', OEuvres, vol
1 0. pp. 11-3 1. 'Cent-Noir' est le nom couramment donné à
l'Association du Peuple russe, l'une des principales
organisations d'extrême droite fondées durant la révolution
de 1905-1907 pour s'attaquer aux forces révolutionnaires.
Ces organisations voulaient, aussi, revenir sur les mesures
de réforme constitutionnelles prises sous la pression des
évènements, par le régime en octobre 1905.
100. Lénine, 'Adresse au Parti des délégués
du Congrès d'Unification, membres de l'ancienne fraction
'bolchevique", OEuvres, tome 10. . pp. 327.
101) Lénine, 'liberté de
critique et unité d'action', OEuvres, tome 10, p.
466467.
102) Lénine, "Aux ouvriers
de décider", OEuvres, tome 10. p. 53 1.
103) Louis Fisher, Lénine,
Paris-Bourgois 1966.
104) C'est à
l'occasion des "procès de Moscou". durant les années 1930,
que Staline a fait condamner et liquider la majorité des
cadre révolutionnaires du Parti communiste, afin de
consolider le règne de la bureaucratie.
105) Ibidem,
p. 462.
106) Haimsoen s'étend pour sa part sur la
prétendue filiation de Lénine par rapport au populiste
terroriste Thachev. Mais il ne dit mot des positions de
Victor Adler et de Karl Kautsky sur la nécessaire
introduction de la conscience socialiste de l'extérieur,
c'est-à-dire à partir d'intellectuels, dans la classe
ouvrière. On peut pourtant démontrer, textes à l'appui, que
c'est là la véritable filiation du fameux passage tant
critiqué du 'Que faire ?' de Lénine (voir L. Hanuson, « Russian
Marxists and the Origins of Bochevism, Boston, 19M. p.
16).
107) Cet
épisode souvent peu connu mérite d'être détallé : "Quand le
2è Congrès des Soviets a ratifié la conquête du pouvoir par
les bolcheviks le 25 octobre, on pensait généralement, même
parmi les bolcheviks que le nouveau gouvernement incluerait
des représentants de tous les partis soviétiques. La
proposition de Martov, demandant que le Congrès mette
immédiatement ce point -l'établissement d'un tel régime - à
l'ordre du jour fut soutenue par Lunacharsky et adoptée
unanimement par les délégués [. .. ]. La direction
bolchevique intermédiaire était fortement en faveur de cette
proposition Lénine avait été refuséé à Petrograd et
l'organisation de ville de Moscou dirigée par Rykov et
Nogine, soutenait ouvertement Zinoviev et Kamenev. Le Bureau
régional de Moscou distingué par sa coloration gauchiste,
s'était résolu a accepter une coalition si les bolcheviks
gardaient la majorité des postes ministériels. Le 2 novembre
le point sur la coalition a commencé a devenir brûlant quand
le Comité exécutif central (des soviets) a adopté une
résolution selon laquelle Les bolcheviks devaient recevoir
au moins la moitié des postes. Toute la droite bolchevique a
voté contre cette condition minimum - Kamenev, Zinoviev,...
- ainsi que presque la moitié du Conseil des Commissaires du
Peuple (Ryvov, Lunacharsky, Nogine, Milioutine,
Teodorovitch) et d'autres dont Lozovsky et Les ex-mencheviks
Riazanov et Yurenev [ ...]. Le 4 novembre la crise a
explosé. Le Comité exécutif central discutait des mesures du
gouvernement en vue de museler la presse non-socialiste, et
les représentants de l’opposition bolcheviques craignant le
danger d'un régime dictatorial rejoignirent ceux qui
condamnaient les restrictions imposées aux journaux qui
n'appelaient pas en pratique à la rebélion Larine [...] a
présenté une résolution en ce sens. Elle fut rejetée par 31
voix contre 22, avec un certain nombre d'abstentions [ ...]
. Les cinq membres critiques de Lénine au sein du comité
central quittèrent la scéance [...]. Ils déclarèrent'[...]
Vive le gouvernement des partis soviétiques [...]'.
Chliapnikov Commissaire au Travail a rejoint ce groupe dans
une déclaration : 'Nous défendons la position qu'il est
nécessaire de former un gouvernement socialiste des tous les
parfis qui se trouvent dans Les soviets [...]'.
Tiré de R. Daniels, The Conscience of the
Revolution, New York, 1969, pp. 64-66.
108) Cités
dans S. Farber. Op cit., p. 226.
109) A.F.
Iiyin-Zhenevsky, The bolchevik in power - Peminiscences of
the year 1918, Londres, 1984, pp. 48-51.
110) M.
Liebman, op. cit., P. LeBlanc, Lenin and the Revolutionary
Party, Humanities Press, 1990. S.Cohen op. cit
111) Lénine
plus que Marx et les "marxistes orthodoxes", aurait été
convaincu que les "passion" jouent un rôle central dans les
choix individuels et sociaux. Niais il se méfiait
profondément de ces passions, y compris les siennes propres.
De là son intransigeance idéologique. Quelques déceptions
personnelles, notamment dans ses relations avec Plekhanov,
l'auraient traumatisé à ce propos (op. cit., pp. 139,
186-187). Mais Haimson lui-même reconnaît qu'à la fin du
deuxième congrès du POSDR, Lénine a adopté une attitude fort
conciliable à l'égard des mencheviks, surtout Martov ; il
était prêt à revenir sur sa proposition de modifier la
conception du comité de rédaction de l'Iskra. C’est
l'intransigeance de Martov et non la sienne qui provoqua la
scission (ibidem pp. 182-183).
112) C'est
la première phrase de sa "note" du 30 décembre 1922 sur "La
question des nationalités ou de 1’"autonomie"" où il
critique violemment la politique suivie en cette matière par
Staline (OEuvres, tome 36, p. 618). Sur cette période, voir
M. Lewin, Le dernier combat de Lénine, Paris, 1978.
113) Sur la
composition à écrasante majorité ouvrière du parti
bolchevik. Voir The Worker's
Revolution in Russia - The Viewfrom Below, op. cil.
114) Cité
par P. LeBlanc, op. cit.. pp. 60 et 126.
115) B.
Williams, op cit., pp. 28-29.
116) L.
Trotsky, Histoire de la révolution russe, paris 1950, p. 35.
117) N.K.
Kroupskaya, Reminiscences of Lenin, New York 1970, pp.
124-125.
118)
Rappelions que c'est en 1921, précisément, que le Xe Congrès
du PC a interdit les fraction et réduit la démocratie
interne au parti. Par ailleurs, la fameuse « Levée Lénine »
de 1924, une vague de recrutement qui fit entrer dans le
parti des centaines de milliers d'ouvriers politiquement
non-éduqués et non-trempés dam l'expérience de lutte a
paradoxalement contribué à la dépolitisation du parti et du
prolétariat.
119) Nous
espérons lui consacrer un futur cahier d'Amsterdam.
120)
L'agnosticisme considère que l'on ne peut pas connaître la
réalité au-delà des apparences (à savoir une doctrine qui
déclare l'inconnaissable inaccessible à l'homme) ou qui
considère toute métaphysique comme inutile. Une téléologie
est un ensemble de spéculations qui s'applique à la question
de la finalité du monde, de l'homme ou, ici, de l'histoire.
Elle tend donc à interpréter le cours de l'histoire à partir
d'une supposée finalité.
121) Le
terme de 'mécanisme' désigne un courant de la pensée
matérialiste qui simplifie à outrance les interactions,
notamment entre les divers facteurs sociaux, en définitive
des relations rigides de causes à effets. Il néglige, en
particulier, la dimension historique dans l'analyse des
sociétés. Le mécanisme trouve son origine dans les sciences
de la nature du XVIe siècle qui utilisaient beaucoup les
comparaisons avec les mécanismes d'horlogerie. Selon une
conception mécaniste du matérialisme historique, l'évolution
des forces productives et les contradictions des rapports de
production économiques déterminant une succession unique,
inévitable, de sociétés (sociétés communautaires primitives,
esclavagistes antiques, féodales, capitalistes et
socialistes). La conception dialectique (plus authentique)
du matérialisme historique intègre les déterminations et les
contraintes socio-économiques. Mais elle prend aussi en
compte
le poids
propre des autres facteurs (par exemple. des Etats, des
cultures, des idéologies). Elle souligne notamment le rôle
actif des luttes sado-politiques, des luttes de classes. Ce
qui lui permet de comprendre que le cours de l'histoire cg
déterminé par l'interaction entre ces différents facteurs,
et pas seulement par la 'logique d'airin' des contradictions
économiques.
123) R.
Luxemburg, La révolution russe, op. cit., p. 39 et pp. 70-7
1.
124)
L'insurrection spartakiste de janvier 1919 en Allemagne, la
tentative de prise de pouvoir à Vienne, en Autriche, dirigée
par Bettelheim un peu plus tard, et surtout 'l'action de
mars 1921'. en Allemagne à nouveau, ainsi que le coup d'état
du PC bulgare contre Stambouansky, entrent dans cette
catégorie Auguste Blanqui, très important révolutionnaire
français du XIXE siècle, d'inspiration communiste, a donné
son nom au « blanquisme »
125) J.
Rees, Internalional Socialism, n°2 52, op. cit.
126) S.
Faber, Before Stalinism, Polity Press, IM, pp. 159-162.
127) La
résolution « Démocratie socialiste et dictature du
prolétariat » a d'abord été présentée au Xe Congrès mondial
de la Quatrième Internationale, en 1979. Adoptées une
première fois par un vote indicatif, elle a été rediscutée,
retravaillée et définitivement adoptée au XIIe Congrès
mondial de janvier 1985. Voir pour cette version Quatrième
Internationale, numéro spécial 171, 18, septembre 1985.
128) The
Times, November 29, 1991. Un « col
blanc » est un employé, par rapport au « col-bleu, un
ouvrier de production.
129)
Sunday Times Magazine, N°219
130) Op.
cit., P. 298
131) Pierre
Broué (op. cit.) publie une très fille bibliographie sur la
révolution allemande 1918-1919. Nous ne mentionnerons ici
que les souvenirs de Richard Müller, le dirigeant des
révolutionnaires Obleute de Berlin, les mémoires de Noske,
de Philip Scheidemann, de Severing, du général Omener, les
livres de Benoist-Méchin, Peter von Ocitzen, Paul Frôlich,
Paul Levi, Franz Borkenau (voir les titres dans la
bibliographie).
132) P.
Broué, Révolution en Allemagne (1917-1923). Paris, 1971, p.
173.
133) Pour ce
qui est des manoeuvres et des mensonges à l'encontre de la
population, Ebert nia de manière effrontée de vouloir
134)
Gustav Noske, Von Kiel bis Kapp, Berlin 1920.
135) Cité
par Broué, op.cit., p. 273. les spartakistes étaient un
mouvement révolutionnaire allemand.
136) Pour
les lecteurs qui n'ont pas été élevés dans le catholicisme
romain, les jugements du Pape sont censés être infaillibles,
ce qui en dit long sur le caractère démocratique de la très
chrétienne Eglise catholique.
137) Marx et
Engels, A. Bebel, W. Liebnecht, W. Brack et autres, Leipzig.
Correspondance, Moscou, 1981, pp. 323- 324.
138) C'est
un argument de Lénine dans sa polémique contre Kautsky .
« La révolution prolétarienne et le rénégat Kautsky »,
OEuvres, tome 28. IP- texte de Kautsky, 'La dictature du
prolétariat', est inclu avec celui de Lénine dans l'édition
10/18, Paris, 1972. Dans ce texte, Kautsky, dans la partie
sur la Russie, ne mentionne en rien les dangers de
contre-révolution.
139) Sur les
'élites' allemandes, laissées en place par la
social-démocratie, dans l'avènement du nazisme voir
notamment: M. Rosenberg, Entstehung und Geschichie der
Weimarer Republik ; Evelyn Anderson,Hammer oder Amboss. La
République de Weimar a été établie en Allemagne, le 9
novembre 1918, après l'abdication de Guillaume II, avec la
participation de nombreux sociaux-démocrates. Un
gouvernement à participation social-démocrate envoie des
troupes en Saxe pour démettre de ses fonctions un
gouvernement à direction social-démocrate de gauche
jouissant d'un large appui populaire (op.cit., pp.774-775).
Après avoir réprimé la révolution allemande, ce régime s'est
avéré incapable de juguler la crise économique et sociale et
a appelé Hitler au pouvoir en 1933, qui a établi par étape
la dictature nazie.
140) The
Times du 17 novembre 1925.
141) K.V.
Bothmer, op. cit., pp. 102, 131, 132
142) B.
Williams, op. cit., p. 80.
143)
Ibidem, p. 94.
144)
Morizet, op, cit., p. 179.
145) N.
Stone, Sunday Times, 5 janvier 1991.
146) V.P.
Russiya naseloniya SSE, Moscou, 1981.
147) op.
cit., p. 47.
148) A.
Goldschmidt, Moskau 1920, Berlin, 1920.
149) C'est
Paquet qui lança dans un de ses livres la fameuse et ignoble
accusation contre le pouvoir des soviets d'avoir 'socialisé
les femmes '. Il cite à ce propos un prétendu décret des
anarchistes de Saratov, décret que ceux-ci ont immédiatement
dénoncé comme une provocation grossière.
150) A.
Paquet, Der Geist der russischen revolution, München, 1920,
p. 69. Pour des indications sur les personnages cités ici,
voir le glossaire.
151)
Morizet, op. cit., pp. 194-195.
152)
Beryl Williams, op. cit., pp. 93-93.
153) A.
Paquet, op. cit., pp. 40,51-52.
154) A.
Goldschmidt, op. cit., p. 20.
155) A.
Paquet, Der Geist der russischen Revolution, op. cit., p.
75.
156) W.
O. Rosenberg, Russian Labor and balshevik power. Social
dimensions of protest in Petrograd after October, dans The
Workers Revolution in Russia 1917 The Viewfrom below, op.
cit., p. 98
157) Voir
notamment à ce propos Liyinhenevsky, op.cit., pp. 32- 33 et
A. Morizet
158) André
Morizet, op.cit., p. 111.
159) S.A.
Smith, Red Petrograd, op. cit., pp. 243-44.
160) Cité dans A.R. Wiliams, pp. 242-243
161) L Shapiro, op. cit.,
p. 219