L’ombre de 1929
Inprécor n°252, 2 novembre 1987

Le lundi noir du 19 octobre 1987 constitue un coup très dur pour l’économie capitaliste internationale. Ce jour-là et le lendemain, les bourses sont connu une baisse du cours des actions supérieure à celle du "Jeudi noir" d’octobre 1929 à Wall Street. La perte totale des seuls actionnaires américains est évaluée à 1.000 milliards de dollars. Pour donner un ordre de grandeur, les particuliers ont perdu presque la moitié de l’équivalent de toute la dette publique des Etats-Unis. Les pertes mondiales dépassent 1,500 milliards de dollars, 50% de plus que toute la dette du "tiers-monde".

Le fait que la Bourse ait récupéré dans les jours suivants une partie de la baisse, ne signifie pas que ces pertes aient été annulées. Ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont perdu et qui ont regagné. La grande majorité des petits et moyens actionnaires ont encaissé la perte sans racheter et regagner quoi que ce soit les jours suivants.

La chute brutale des cours qui s’est étendue à toutes les bourses du monde capitaliste reflète l’énorme instabilité monétaire qui règne aujourd’hui sur l’économie capitaliste internationale. Le commentaire des praticiens de la méthode Coué, à commencer par madame Thatcher et selon lesquels il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter puisque "l’économie réelle" serait saine, est frappé du sceau de l’aveuglement sinon de la volonté délibérée de tromper le public.

Ce qui est justement le propre de la spéculation boursière, c’est qu’elle ne reflète jamais la situation du moment. Elle anticipe, c’est-à-dire, elle traduit des prévisions sur ce qui se passera après-demain. En ce sens, la chute des cours en Bourse correspond aux craintes d’une nouvelle récession généralisée qui se répandent de plus en plus. En fonction de "l’économie réelle", ces craintes sont tout à fait fondées.

Est-ce à dire qu’un "nouveau 1929" a déjà commencé ? La chute des cours à Wall Street déclenchera-t-elle une crise économique de la gravité de celle d’après octobre 1929 ? La question est mal posée pour deux raisons.

Tout d’abord, pour qu’un effondrement des cours à la Bourse déclenche une grave crise de surproduction, il faut plusieurs facteurs concomitants. La Bourse s’avère certes le maillon le plus faible de la chaîne. Mais d’autres maillons doivent sauter pour que toute la chaîne cède. Des institutions financières doivent être frappées à mort arrêtant net l’expansion du crédit ; de grandes firmes industrielles doivent faire faillite ; les commandes, la production courante, l’emploi, doivent sensiblement reculer. Tout cela ne s’est pas encore produit. Tout cela peut se produire dans les mois à venir.

Ensuite, en 1929 non plus, on n’est pas passé d’un seul coup du "jeudi noir" à 30% de chômeurs aux Etats-Unis, à 40 en Allemagne. Il a fallu plus de deux ans pour arriver à ce résultat catastrophique. Paradoxalement, pour le capitalisme, le moyen que les gouvernements impérialistes ont imaginé pour arrêter la chute de Wall Street, est plus grave que la chute elle-même : l’injection de nouveaux crédits, un nouveau gonflement de la masse monétaire, une nouvelle amplification de la montagne de dettes. Le fait que ce soit accompagné, contre toute logique, d’une baisse momentanée des taux d’intérêts, ne fait que souligner le caractère "après nous le déluge" de cette pseudo-thérapeutique.

Le déficit persistant de la balance commerciale américaine inonde le monde de dollars dépréciés. Peut-on "attirer" des capitaux étrangers aux Etats-Unis en faisant baisser les taux d’intérêts ? Gageons que les capitalistes japonais et européens réagiront à leur façon. On a appris l’autre jour que dans le Grand Los Angeles, les trois quarts des grands immeubles sont déjà propriété étrangère ! Voilà où aboutit la politique de Gribouille de monsieur Reagan. Il colmate la brèche dans la forteresse en la remblayant de caissons de dynamite. Cela ne préservé pas l’avenir de nouvelles explosions.

Plus que jamais, la spirale d’endettement va s’étendre. A court terme, on peut prévoir la réduction du pouvoir d’achat des consommateurs, un nouveau pas vers la récession. Puis, ce sont les dettes du Tiers-monde, celles des Etats-Unis, celles des banques et bourses japonaises, celles des pouvoirs publics et de la Sécurité sociale en Europe, qui commenceront à dégringoler. Toute la boule de neige s’est mise en mouvement depuis plus d’un an. Le reste n’est qu’une question de chronologie : crise généralisée en 1987 ou en 1988 !