La crise : Leur réponse et la nôtre
Article dans La Gauche n°12, 13 mars 1975

Actuellement, l’économie capitaliste vit sa crise la plus grave depuis la deuxième guerre mondiale. Dans les pays occidentaux et au Japon, il y a plus de 15.000.000 de chômeurs. En Belgique, le chiffre de chômeurs est monté jusque 275.000. 10% des métallos sont sans travail.

La récession secoue gravement le système capitaliste en déclin. A l’inverse des années 1929-1932, elle se manifeste dans une phase de remontée des luttes ouvrières et non de déclin. La combinaison d’une récession économique grave, de l’inflation, et de l’accroissement des luttes provoque une crise sociale grave du système capitaliste.

On aurait pu croire que sous l’influence de l’augmentation du chômage, la combativité des travailleurs et des employés soit entamée, et que par peur de perdre leur emploi, ils se tairaient, feraient des concessions au patronat et n’entameraient plus de grèves. A l’exception de l’Allemagne de l’Ouest, où ceci semble – provisoirement – être le cas, ceci ne s’est pas réalisé dans les pays occidentaux.

Au contraire : presque partout les luttes ouvrières sont en augmentation. Le nombre de grèves augmente au lieu de diminuer, surtout en Italie, en Espagne, au Portugal, en France, en Grande-Bretagne, au Japon, mais aussi dans des plus petits pays comme le Danemark et la Belgique.

Même aux Etats-Unis, où la classe ouvrière, paralysée pendant des années par une bureaucratie syndicale conservatrice avec un manque de conscience de classe politique et un niveau de vie relativement élevé, il y a un réveil. Après la grève importante des mineurs, mais aussi d’autres catégories, des manifestations de masse ont eu lieu. On parle même d’une grande marche des chômeurs syndiqués sur Washington.

Ce que nous avions prévu semble se réaliser. La classe ouvrière est entrée dans la crise actuelle avec un degré d’organisation et de combativité plus élevé que depuis des dizaines d’années. Dans ces circonstances, on peut prévoir que la première réaction face à la récession sera le refus d’accepter les licenciements et les fermetures d’usines, comme sa première réaction devant l’inflation était de hausser constamment les revendications salariales, pour se défendre contre toute attaque du pouvoir d’achat. Ceci semble se réaliser un peu partout, et pas dans la moindre mesure chez nous, les exemples de Gilly et de Vas Saint Lambert le prouvent.

Dans le cas où la classe ouvrière accepterait passivement une extension du chômage et si elle dépassait une certaine durée et un certain degré, cela aurait une influence paralysante sur la combativité et la conscience de la classe ouvrière. C’est pourquoi il faut réagir maintenant et vite.

La récession économique et la crise sociale du capitalisme en déclin qui lui est associée, dévoilent les illusions de tous ceux qui (et en premier lieu des dirigeants « modérés » de la CSC, de la FGTB et du PSB) qui prétendent que nous ne vivons plus dans une société capitaliste mais une société mixte.

Le léopoard n’a pas perdu ses taches. Ses griffes sont toujours aussi dangereuses. Le capitalisme, c’est toujours le capitalisme. Il amène toujours et fatalement le chômage périodique, les crises de surproduction, la misère et la faim au milieu de l’abondance.

Des centaines de milliers de voitures attendent invendues devant les usines automobiles. Une partie importante des usines ne fonctionnent plus. Mais les pays soi disant « en développement » réclament plus de tracteurs et plus de machines agricoles pour résorber la famine. Cette solution élémentaire à la crise, le capitalisme ne sait pas la réaliser aujourd’hui pas plus qu’il y a 40 ou 100 ans.

« Paix sociale »

Récession et crise sociale feront perdre pied aux optimistes invétérés, qui ne jurent que par les négociations avec la bourgeoisie et son Etat, pour lentement, très lentement, pas après pas, construire une société meilleure. Les syndicats et les organsiations patronales peuvent par le biais de négociations, parfois dures, parvenir à des augmentations des salaires et des profits simultanément, aussi longtemps que le gâteau s’accroît. Mais dès que le gâteau cesse de croître, il devient clair que l’une des classes doit l’emporter au dépend de l’autre.

Voilà pourquoi partout les gouvernements, ceux de « gauche » compris comme en Grande-Bretagne et au Danemark, pour ne pas parler de l’Allemagne de l’Ouest, doivent secourir les profits minés par la récession. Des subsides énormes sont donnés en cadeau au grand capital sous prétexte de ne plus laisser s’accroître le chômage.

La pression la plus grande possible est exercée sur les syndicats et sur les travailleurs pour qu’ils se contentent d’augmentations salariales modestes, qui souvent ne suffisent pas à couvrir l’augmentation du coût de la vie. L’attaque contre les salaires réels suit immédiatement l’attaque contre le plein emploi.

Montée de la réaction

Mais puisque la classe ouvrière se défend avec acharnement, et contre-attaque, il faut aussi entamer ses possibilités d’auto-défense. Voilà la raison des attaques un peu partout dans l’Ouest contre le droit de grève illimité, contre les piquets de grève combatifs, les licenciements de délégués syndicaux combatifs, l’effritement de la démocratie syndicale, l’érosion sinon l’attaque frontale des libertés démocratiques, sans quoi l’attaque capitaliste se révélerait très vite un coup d’épée dans l’eau.

C’est aussi sur cet arrière-fond qu’il faut voir l’ombre menaçante de la réanimation de petites et encore modérées bandes armées fascistes qui plus tard, de façon illégale, par la violence et la terreur, pourront organiser l’affaiblissement des organisations ouvrières, si de façon « légale », ceci ne serait pas ou pas assez vite possible.

La formation et l’action réactionnaire du gouvernement Tindemans chez nous, le front unique bourgeois qui en est le soutien, la série ininterrompue de fermetures d’usines et de licenciements, les attaques contre les libertés syndicales, les attaques contre la liberté d’opinion, entre autre à la BRT-RTB, les groupes fascistes qui relèvent la tête : tous ces événements dans notre pays montrent que la Belgique n’échappe pas à la crise sociale générale de la société capitaliste.

Plus que n’importe quel gouvernement dans le passé, le gouvernement Tindemans a ouvertement et cyniquement soutenu les positions du patronat. L’essai de limiter les augmentations salariales à 4% ; la collusion ouverte entre Oleffe et Fabrimétal à ce sujet ; la réquisition des grévistes de la Sécurité nationale des eaux : ce ne sont que quelques exemples du duo de Tindemans avec le grand capital.

Montée des luttes ouvrières

Il va de soi que ce gouvernement et sa politique réactionnaire buttent contre la résistance croissante de la population laborieuse. C’est le gouvernement de la vie chère et du chômage, cocktail explosif comme on n’en avait plus connu depuis la fin des années 40. Voilà pourquoi les ouvriers de tous les coins du pays sont entrés en action, voilà pourquoi, durant les dernières semaines nous avons vécu de nombreuses grèves depuis fin janvier . Et pour les mêmes raison, aujourd’hui des milliers de travailleurs répondent à l’appel du PSB pour manifester dans la rue contre le gouvernement des patrons.

Le gouvernement Tindemans agit comme il a toujours agi depuis sa création, non parce qu’il est composé de méchants ou d’incapables. Le problème ne se trouve pas dans les personnes mais dans le système. Vu qu’il s’agit d’un gouvernement capitaliste, qui ne peut que gérer la crise à l’avantage du capital, il doit veiller à ce que les petites gens payent les pots cassés. Sinon, en effet, sous des rapports capitalistes, les profits ne peuvent augmenter. Et sous le capitalisme, sans profits croissant, on n’a plus d’investissements, plus d’emploi et pas de relance économique réelle.

Impuissance du gouvernement

La seule chose que les ministres peuvent faire, c’est prier pour que la situation en RFA, en France et aux USA s’améliore et ne détériore pas. Si elle s’améliore à l’étranger, elle s’améliorera tôt ou tard en Belgique aussi. Si elle se détériore à l’étranger, alors le capitalisme belge se trouve dans une position particulièrement grave.

Bien sûr, les ouvriers - chrétiens aussi bien que socialistes – ne peuvent abandonner leur sort aux prières impuissantes, aux manoeuvres anti-syndicales louches des ministres et aux spéculations des entreprises belges et étrangères. Quelque chose doit changer imméditement : voilà le désir profond, voilà ce qu’exigent plus de deux millions de syndiqués et leurs familles. Voilà pourquoi aussi, ceux qui ont répondu à l’appel du PSB sont descendus dans la rue.

Pour un programme de lutte anticapitaliste

Le chômage et l’inflation sont aujourd’hui les deux maux qui menacent les travailleurs directement. Un programme de lutte commun qui répond à une situation d’urgence qui se développe aujourd’hui dans le pays doit donc en premier lieu apporter une solution à ces deux maux :

Contre le chaos capitaliste

  • Pas un seul licenciement, pas une seule fermeture d’usine !
  • Du travail sur place pour tous les ouvriers et employés menacés par la crise !
  • Diminution immédiate du temps de travail à 35 ou 36 heures par semaine, sans diminution du salaire !
  • Partage du travail disponible dans chaque entreprise entre tous les travailleurs, sous contrôle de comités élus par tout le personnel, sans diminution du salaire ni des autres avantages !
  • La pension à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes !
  • Ouverture des livres de comptes de toutes les entreprises capitalistes (et pas seulement celles en faillite) pour qu’apparaisse combien la soif capitaliste du profit et la mauvaise gestion capitaliste sont responsables de la récession !
  • Toutes les usines fermées par les patrons doivent être réouvertes par les pouvoirs publics et maientenues en activité sous contrôle ouvrier, sans indemnisation ni rachat pour les patrons en faillite.
  • Un plan global de développement économique et de garantie de plein emploi doit être élaboré par le mouvement syndical, un plan discuté publiquement avec un maximum de démocratie, dans le but de répondre aux aspirations de la population laborieuse et aux spécificités régionales wallonne, flamande et bruxelloises.
  • Ce plan doit entre décider de ce qui doit être produit, sur base de l’intérêt collectif de la population laborieuse.

Attaquer le système lui-même

Il va de soi que des mesures aussi radicales contre la récession et contre toute tentative de faire payer les frais de cette récession par la classe ouvrière, butteront contre la résistance et le sabotage de la bourgeoisie.

Ces mesures doivent être renforcées de dispositions qui retirent les leviers de commande de la vie économique des mains du grand capital pour les rendre à la communauté.

  • Nationalisation sans indemnisation (exception faite des petits épargnants) de toutes les banques privées, les sociétés financières et les holdings.
  • Concentration de tous les moyens financiers dans une seule entreprise de financement, avec un pouvoir régional en Flandre et en Wallonie, sous contrôle ouvrier. Tous ces moyens financiers doivent être employés à la réalisation du plan établi par les syndicats, pour le développement du bien-être social et la garantie du plein emploi.
  • Nationalisation sans indemnisation de toutes les entreprises du secteur de l’énergie (charbon, électricité, gaz, pétrole, énergie nucléaire) et gestion sous contrôle ouvrier ; développement d’un plan d’approvisionnement en énérgie à moyen et à long terme.
  • Nationalisation sans indemnisation des industries clés (acier, chimie, verre, ciment, électronique) sous contrôle ouvrier, et leur intégration dans la réalisation du plan économique.
  • Concentration de l’effort financier dans le renouvellement et la modernisation de l’industrie dans tout le pays, avec création systématique de nouvelles entreprises, appartenant à la communauté, dans les secteurs de pointe de l’industrie et dans les régions où sévit le chômage structurel ; 100.000 emplois nouveaux en Wallonie ; autant d’emplois qu’il faudra partout où sévit le chômage structurel en Flandre.
  • Toute tentative de fuite de capitaux ou de mesures de blocus du capital étranger contre un tel développement en Belgique doit être contrée par une action systématique de soutien au gouvernement des travailleurs de notre pays par le mouvement syndical et les organisations des travailleurs de tous les pays de la CEE et de l’Europe occidentale et la par la conclusion de traité spécifiques avec tous les pays du monde qui sont prêts à travailler avec ce gouvernement ouvrier.

Pour une voie réellement socialiste

Voilà la voie, pour sortir de la crise actuelle, qui répond aux aspirations et à la conviction de la majorité de la classe laborieuse. Si nous choisissons cette voie, nous aurons beaucoup de dangers à surmonter, beaucoup de durs combats à livrer. Mais nous lutterons pour nos intérêts, pour notre classe, pour l’avenir de nos enfants, pour une société meilleure qui ne connaîtra ni chômage, ni misère, ni injustice, ni oppression. Si de mauvais bergers nous détournent de cette voie, alors le prix ne sera pas moins élevé, le combat pas moins dur : mais tout cela aura servi à aider le capital pour la nième fois à traverser une lourde épreuve, nous aurons renforcé nos propres ennemis, divisé nos propres rangs, et préparé de lourds revers pour le mouvement ouvrier.

Socialistes, travailleurs, en avant contre les conséquences de la récession et de la crise, contre le chômage et l’inflation, contre la restriction des libertés syndicales et contre le danger d’Etat fort ; en avant vers la préparation d’une grève générale, vers l’unité dans la lutte contre le capital, vers les réformes de structures anti-capitalistes, vers un gouvernement des travailleurs !