Réflexions socialistes sur le traité de Rome
Revue « Socialisme », Septembre 1958, n° 29, p. 537-555

Depuis la grande crise de 1929, deux idées-force se sont imposées à une grande partie de l’opinion publique occidentale. La première condamne le libéralisme économique intégral, reconnaît le plein emploi comme objectif prioritaire de politique économique ; et admet de ce fait la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics dans la vie économique. La deuxième condamne le nationalisme économique, reconnaît que le protectionnisme provoque inévitablement des mesures de rétorsion et que le rétrécissement général des échanges internationaux qui en résulte se répercute défavorablement sur la vie économique de toutes les nations.

Les socialistes n’ont qu’à se réjouir de la façon quasi-unanime dont ces idées sont aujourd’hui admises, voire inscrites dans la législation de certains pays. Il s’agit, en effet, d’idées d’inspiration socialiste. Elles représentent en outre une démonstration pratique de l’impuissance du système capitaliste à survivre sur sa lancée spontanée. Même quand ces idées sont employées non pas pour transformer le capitalisme mais pour le défendre, cela démontre en tout cas que les classes dominantes ne peuvent plus gouverner qu’en empruntant de plus en plus de techniques à l’arsenal socialiste. Ainsi la justesse de notre analyse critique du capitalisme et de notre doctrine socialiste se trouvent une fois de plus confirmées.

Mais constater que les prédictions socialistes concernant la centralisation et l’internationalisation croissantes de la vie économique se confirment de plus en plus est une chose ; approuver sans critique toutes les mesures dans ce sens comme justes ou progressives en est une autre. Faut-il rappeler qu’à côté d’un « dirigisme » socialiste et démocratique il existe un dirigisme totalitaire, comme le dirigisme fasciste strictement au service des trusts (cartellisation forcée de l’économie sous la direction des chefs des grands groupes financiers, etc.) ? La démonstration classique d’Émile Vandervelde (reprenant d’ailleurs un raisonnement de Frédéric Engels) qu’il y a des nationalisations qui n’ont rien de commun avec le socialisme est trop connue pour qu’il faille insister.

Dans chaque cas concret d’application des deux idées-force précitées le devoir d’un socialiste réclame non pas une approbation d’office et en bloc, mais une analyse précise des mesures proposées et de leurs répercussions sur l’économie et la société en général, à la lumière de l’idéal et des principes socialistes. Une telle analyse a amené le mouvement socialiste à ne pas accepter à priori toute mesure dirigiste. Le but de cet article est de refaire la même démonstration en ce qui concerne les mesures de libéralisation des échanges internationaux, et notamment du traité de Rome instaurant une Communauté économique européenne pour les six pays de la « petite Europe » : la France, l’Allemagne occidentale, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

Deux mythes et une mystique

Les promoteurs du Marché commun, dans la propagande de vulgarisation destinée au grand public, se sont efforcés d’exalter le traité de Rome en insistant sur quelques notions simplistes : l’abolition des frontières douanières produirait automatiquement le progrès économique et augmenterait le bien-être des peuples ; un grand marché, un vaste territoire, est nécessaire et suffisant pour que les peuples d’Europe rattrapent le retard technique qu’ils subissent aujourd’hui par rapport aux « vastes espaces » des États-Unis et de l’URSS. En réalité, ces notions simplistes sont des mythes ; et la propagande qui les reprend constamment sans réserve ni restrictions devient une véritable entreprise de mystification.

Il est faux d’affirmer que l’abolition des frontières douanières soit automatiquement un facteur de progrès économique et qu’elle produise spontanément plus de bien-être pour les masses. Toute l’histoire du XIXe siècle démontre le contraire. C’est grâce à des tarifs douaniers que l’Allemagne, le Japon, les États-Unis et même dans une certaine mesure la France ont pu construire leur industrie, à l’époque où la Grande-Bretagne et la Belgique disposaient d’un monopole industriel de fait sur le marché mondial. C’est grâce au monopole d’État du commerce extérieur, réduisant à l’extrême l’importation de toutes les marchandises industrielles également fabriquées dans le pays, que l’URSS a pu s’industrialiser en l’espace d’une décade. Par contre, l’abolition des tarifs douaniers entre la Grande-Bretagne et l’Inde, entre la France métropolitaine et l’Algérie, ont condamné ces colonies à un demi-siècle de stagnation, sinon de recul industriel au sens absolu du terme.

La théorie économique confirme ce verdict de l’histoire. Même les défenseurs les plus fanatiques du libre-échange au XIXe siècle ont toujours admis une clause restrictive qui justifie la protection douanière des industries naissantes ; sinon, dans un monde composé d’une majorité de pays sous-développés et d’une minorité de pays industriellement avancés, le libre-échange ne ferait que perpétuer l’inégalité. En outre, comme le rappelle utilement l’économiste suédois socialiste Gunnar Myrdal (An International Economy, pp. 59-60), la théorie classique du commerce international n’attribue aux échanges internationaux des vertus hautement progressives en matière de bien-être des peuples et d’accroissement de la productivité que partant d’un certain nombre d’hypothèses. Celles-ci concernent notamment l’immobilité internationale complète des facteurs de production et la mobilité parfaite des mêmes facteurs à l’échelle nationale. Ces formules théoriques signifient en pratique : une libre concurrence parfaite ; une réponse immédiate de tous les facteurs de production (y compris des investissements fixes) aux modifications de la demande ; l’absence totale de facteurs de rigidité des prix ; pas de mouvements internationaux des capitaux ; le plein emploi automatique, etc..

C’est seulement dans ces conditions idéales que le commerce international est censé aboutir à une, redistribution des ressources et des facteurs dans chaque pays, jusqu’à ce que le maximum de productivité ait été atteint.

Inutile de souligner qu’un tel concours de circonstances ne s’est jamais produit dans les faits, et n’est certainement pas conforme à la réalité économique européenne ou mondiale d’aujourd’hui.

A l’échelle internationale nous ne connaissons pas une immobilité totale des facteurs de production, mais plutôt une immobilité très grande de la main-d’œuvre et une mobilité relative des capitaux, mobilité qui augmente lorsqu’on passe d’une série d’États protégés par des barrières douanières à une zone de libre échange ; d’une zone de libre échange à une union douanière, et d’une union douanière à un État confédéré, fédéral ou simplement centralisé.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’étudier l’histoire de l’unification économique des grands États capitalistes au XIXe siècle : concentration financière en un petit nombre de grandes banques ou de groupes financiers ; concentration industrielle en un petit nombre de régions favorisées ; sous-développement de nombreuses régions qui restent des réserves de main-d’œuvre et des zones de dépression chronique pendant de longues périodes. Qu’on pense à l’Allemagne orientale et à la Bavière après la constitution du Zollverein, puis après 1871 ; au sud des États-Unis après la guerre de Sécession ; au Mezzogiorno après la réalisation de l’unité italienne, sans parler de la Flandre entre 1830 et 1914...

Ensuite sur le plan national, nous ne connaissons pas une mobilité parfaite des facteurs de production, ni des conditions idéales de libre concurrence. Partout, le capitalisme a abouti à la formation de groupements oligopolistiques et monopolistiques, qui fixent et régissent les prix dans le but d’atteindre le maximum de profits. Ces groupements sont engagés dans une « concurrence » monopolistique dont les lois diffèrent entièrement de celles de la libre concurrence entre producteurs incapables d’influencer de façon décisive le marché. Et lorsque l’abaissement ou la suppression de tarifs douaniers provoque une extension du marché dans ces conditions de « concurrence » monopolistique, les effets économiques peuvent être, et seront vraisemblablement, fort différents de ceux que provoquerait un marché commun entre des pays où prévalent des unités de production indépendantes les unes des autres.

Rappelons à ce sujet que le « grand marché américain » a maintenu pendant trois quarts de siècle un tiers de la nation dans une misère déplorable - on se référera utilement à ce sujet aux déclarations frappantes du président Roosevelt en 1938, au moment où il ouvrit l’enquête du Tempory National Economic Committee sur la concentration de puissance économique aux États-Unis - et qu’il a abouti à la plus grave crise économique de l’histoire contemporaine, celle de 1929. Et rappelons également que le niveau de bien-être le plus élevé pour la partie la plus large de la population n’a pas été atteint dans de « grands marchés » mais plutôt dans des pays relativement petits comptant un nombre d’habitants inférieur ou égal à celui de la Belgique : l’Australie, la Suède, la Nouvelle-Zélande, la Suisse.

Nous pouvons donc arriver à une première conclusion : l’idée du libre-échange facteur automatique de progrès et de bien-être est un mythe ; l’idée du grand marché indispensable à l’essor économique et au progrès social en est un autre. Les affirmations simplistes claironnées à ce propos par de trop zélés avocats du Marché commun constituent une véritable entreprise de mystification. Aucune idée générale et préconçue ne permet de répondre par avance à la question : le Marché commun favorise-t-il ou rend-il plus difficile le progrès économique et social en Europe et dans le monde ? Cette réponse ne peut résulter que d’une analyse précise des conditions dans lesquelles ce marché s’établit et des structures qu’il crée.

Libre-échange et plein emploi

Le problème se complique du fait que le progrès économique - mesuré par l’accroissement du revenu national, ou du revenu national par tête d’habitant - n’est pas un but en soi du point de vue socialiste. Ce qui importe, c’est le progrès économique auquel participe le plus grand nombre possible d’hommes, le progrès économique dans le progrès (et la justice) social. Nous partons de la primauté du social sur l’économique et même si l’on pouvait nous démontrer que le traité de Rome garantit le progrès économique, nous ne serions pas tentés d’applaudir automatiquement. Il faudrait encore démontrer qu’il facilite la réalisation des aspirations populaires en matière de progrès social.

Or, le plein emploi est manifestement l’objectif numéro 1 que visent les masses laborieuses d’une société industrielle, qu’elles soient socialistes ou non. Le gouvernement américain l’a si bien compris, qu’il a fait voter une loi qui l’oblige à prendre chaque année les mesures adéquates pour garantir un niveau élevé de l’emploi. Dans un pays dont l’économie reste foncièrement capitaliste, les instruments dont dispose un gouvernement pour atteindre cet objectif sont essentiellement monétaires. Toute législation sociale est d’ailleurs intimement liée à la politique fiscale et monétaire que pratique le gouvernement qui l’instaure ou l’applique.

La législation sociale et la philosophie du Welfare state se fondent sur une notion de solidarité nationale, de redistribution nationale des revenus. La bourgeoisie accepte l’application partielle de cette solidarité comme un moindre mal, devant le risque de son application générale, qui impliquerait la suppression de la propriété privée des moyens de production. Politique sociale, politique monétaire, politique commerciale (réponses aux oscillations de la balance des paiements !) forment un tout. Accepter et pratiquer l’idée du Welfare state ; considérer le plein emploi comme l’objectif primordial de la politique économique, c’est admettre qu’on subordonne les autres aspects de cette politique à la réalisation de cet objectif-là.

Il est par ailleurs incontestable qu’un marché commun, qu’une union douanière, impliquent une certaine discipline monétaire, une certaine coordination de la politique financière. Sinon, un des pays-membres risquerait de connaître un déficit permanent de sa balance des paiements, et devrait être subsidié en permanence par ses partenaires.

Une dévalorisation de fait ou une dévaluation unilatérale de la monnaie d’un des pays membres fausserait manifestement le jeu de la concurrence internationale au sein du Marché commun. Le traité de Rome inclut certaines dispositions en cette matière qui, tout en laissant la politique monétaire du ressort de chacun des gouvernements contractants, impose certaines limites à leur liberté d’action (article 104 à 109 du traité). Il stipule notamment qu’au cas où un gouvernement prend des mesures de sauvegarde devant un brusque déficit de sa balance des paiements, le Conseil des ministres de la Communauté peut décider que ce gouvernement doit modifier, suspendre ou supprimer ces mesures.

Pareille disposition ne serait pas incompatible avec une politique de plein emploi, si elle substituait la notion de solidarité internationale à celle de solidarité nationale, si elle prévoyait en même temps des mesures concrètes de redistribution internationale des revenus, de garanties internationales du plein emploi. Or, en dehors des mesures manifestement insuffisantes instaurant un Fonds social européen, le traité de Rome ne crée aucune institution dotée de pouvoirs réels pour assurer le maintien du plein emploi en périodes de récession ou de crise. En d’autres termes, le traité peut obliger un État membre à sacrifier à un certain moment sa politique de progrès social et de plein emploi au dogme de la stabilité monétaire, sans aucune contrepartie suffisante de la part des partenaires. C’est la raison principale pour laquelle les travaillistes britanniques ont manifesté une hostilité à peine voilée à l’égard de ce traité.

Ce danger est d’autant moins imaginaire que le traité est entré en vigueur à un moment où des forces politiques bourgeoises s’inspirant du néolibéralisme économique, jouent un rôle prépondérant dans l’Europe des Six. Entre leurs mains, certaines hypothèses risquent de devenir des certitudes. A leurs yeux, il faut reconnaître une fois pour toutes la primauté de la stabilité monétaire qui doit prendre le pas sur tout autre objectif, y compris le plein emploi. Le professeur Erhard, ministre des Affaires économiques de l’Allemagne de l’Ouest et l’un des inspirateurs, du traité de Rome, ne s’est pas gêné de déclarer devant l’Assemblée commune de la CECA, réunie à Rome le 8 novembre 1957 :

« Il ne faut tenter de réaliser la croissance économique et un degré aussi élevé que possible de l’emploi par le moyen de la politique conjoncturelle que dans la mesure où la valeur intérieure de la monnaie n’est pas mise en danger par cette politique ».

Et le baron Snoy et d’Oppuers, secrétaire général du ministère belge des Affaires économiques, dans une conférence donnée le 12 mars 1957 à son département, a conclu très logiquement :

« Il est fatal que l’intégration économique limite la liberté de chaque pays quant à son système social... La clause de sauvegarde de la balance de paiement ne peut plus être considérée de manière durable comme un acte unilatéral. Elle devient tout de suite une action multilatérale, avec intervention fatale et justifiée des partenaires dans la politique financière, monétaire et économique du pays bénéficiaire ».

Cela signifie qu’une politique de déflation peut être imposée à un pays membre de la Communauté par la majorité libérale qui la gouvernera pendant une certaine période, même si cette politique a pour résultat un chômage prolongé. Cela signifie qu’une détérioration radicale de la situation économique peut obliger un ou plusieurs gouvernements adhérant au Marché commun au choix douloureux entre l’abandon de la politique de plein emploi (et la crise sociale qui en résulterait), et l’abandon du Marché commun.

Nous pouvons maintenant tirer une deuxième conclusion : comme le progrès social ne résulte pas automatiquement du progrès économique mais exige une intervention constante des organisations ouvrières et des gouvernements ; comme notamment la garantie du plein emploi n’est qu’à ce prix ; comme cette intervention peut impliquer des conséquences monétaires incompatibles avec une application loyale du libre-échange, il peut y avoir contradiction entre Marché commun et plein emploi. Cette contradiction éventuelle, le traité de Rome l’admet implicitement ; des dirigeants économiques responsables l’ont admise explicitement.

La contradiction ne disparaîtrait qu’au moment où une autorité internationale dotée de pouvoirs suffisants pour garantir le plein emploi dans l’ensemble des six pays se substituerait aux gouvernements nationaux. Dans l’absence d’une telle autorité, le mouvement ouvrier de chacun de ces pays a le devoir de se conformer strictement à la règle de primauté du social sur l’économique, et de l’objectif « plein emploi » sur l’objectif « stabilité monétaire totale ».

Intégration économique ou création de nouveaux déséquilibres régionaux ?

Nous avons déjà souligné que la création des « grands marchés communs », lors de l’unification des États capitalistes du XIXe siècle, n’a en général pas abouti à une intégration - dans le sens que l’économiste socialiste Gunnar Myrdal donne à ce terme - c’est-à-dire à une péréquation de bien-être social et de développement économique entre les différentes régions unifiées. On a plutôt assisté à une imbrication de régions dans lesquelles se concentre le progrès et de régions qui payent ce progrès d’une stagnation longue et douloureuse.

La création du Marché commun européen aura-t-elle tendance à réduire le déséquilibre entre les régions les plus industrialisées et les régions les plus arriérées de la Communauté ? Risque-t-elle au contraire d’accentuer ce déséquilibre ? De nombreux spécialistes se sont penchés sur la question, et leur verdict est quasi-unanime. Le professeur François Perroux, sir Dennis Robertson, pour ne nommer que ces deux économistes des plus éminents en Europe, ont exprimé l’avis que la création du Marché commun, malgré le fonds d’investissement qui devra favoriser les régions déshéritées, aura tendance à accentuer la concentration des nouvelles entreprises dans ce qu’on a appelé « le quadrilatère décisif » (nord et nord-est de la France, Ruhr et Rhénanie, Benelux). La Commission économique pour l’Europe des Nations unies, dans son rapport pour l’année 1956, se prononce également dans ce sens :

« Il est probable qu’un grand nombre d’établissements industriels nouveaux seront créés, à la fois par celles des entreprises européennes qui voudront tirer avantage de la production en grande série et par les entreprises extra-européennes qui procéderont à des investissements directs pour s’installer à l’intérieur même de la nouvelle zone préférentielle. La région déjà très fortement industrialisée qui s’étend le long de la vallée et de l’embouchure du Rhin exercera sans doute une puissante attraction sur les industriels qui, pour toutes sortes de considérations, telles que coût des transports, facilités de communications, existence d’une main-d’œuvre qualifiée, et abondance des services de commercialisation et autres, voudront y implanter les nouvelles usines. Au surplus, quelques-unes des sociétés commerciales européennes et extra-européennes, qui avaient antérieurement créé des filiales dans divers pays d’Europe pour ne pas se heurter à l’obstacle des barrières douanières nationales, peuvent être amenées à réinvestir dans une zone où l’industrie sera plus centralisée, particulièrement si elles ont déjà leur siège dans cette zone » (p. 20, chapitre IV).

Pareille évolution signifierait une accentuation du déséquilibre économique entre l’Europe occidentale et l’Europe méridionale. Elle irait à l’encontre des efforts d’industrialisation du Midi de la France, du Mezzogiorno italien et même de la Bavière. Comme l’expérience démontre que les migrations de main-d’œuvre se produisent à un rythme beaucoup plus lent, et dans des proportions beaucoup plus réduites, que les mouvements internationaux des capitaux, des poches de chômage chronique seraient créées, maintenues ou agrandies dans plusieurs des pays-membres de la Communauté. Ces zones de sous-développement agiraient à leur tour comme foyers de troubles économiques, sociaux et politiques innombrables.

Ce déséquilibre régional que le Marché commun provoquerait à l’intérieur de la Communauté ne serait lui-même pas aussi grave que le déséquilibre qu’il risque d’accentuer au sein de l’économie mondiale. On sait que le traité de Rome instaure une union douanière qui se caractérise non seulement par la suppression des tarifs à l’intérieur de la Communauté, mais encore par l’adoption d’un tarif commun pour les six pays par rapport aux pays-tiers. Or, parmi ces six pays, certains (les pays de Benelux) pratiquent une politique de bas tarifs ; d’autres (l’Allemagne occidentale) ont des tarifs modérés ; d’autres enfin (l’Italie et la France) ont des tarifs élevés. Il se fait que l’égalisation des tarifs prévue par le traité de Rome s’opère selon la règle de la moyenne arithmétique non pondérée. Mais comme les quatre pays à tarifs bas ou modérés participent au commerce mondial dans une proportion plus élevée : que la France et l’Italie, le résultat global de cette péréquation sera un renforcement et non pas un abaissement des tarifs qui entravent l’entrée des produits de pays tiers dans la « petite Europe ».

Laissons de côté le problème des pays membres de l’OECE qui désirent établir une zone de libre-échange avec l’Europe des Six. Il reste alors essentiellement le problème des États-Unis et celui des pays exportateurs de matières premières. Les premiers se défendront en établissant sur place des entreprises pour fabriquer les produits jadis exportés en franchise vers l’Europe, et maintenant taxés plus lourdement. Mais il n’en va pas ainsi des pays exportateurs de matières premières, aussi bien certains pays membres du Commonwealth (Australie, Nouvelle-Zélande) que des pays sous-développés d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Ceux-ci seront manifestement lésés. Ils le seront d’autant plus que le traité de Rome prévoit un véritable régime préférentiel en faveur des territoires d’outre-mer qui dépendent de l’Europe des Six.

Cet aspect du traité de Rome n’a pas échappé aux milieux dirigeants des pays sous-développés. Ils cherchent à se défendre, et parlent ouvertement de rétorsion (7). Si les tarifs douaniers des Six réduisaient les importations de café brésilien en Europe, le Brésil menacerait d’augmenter les tarifs douaniers frappant les produits industriels en provenance de la Communauté économique européenne. Déjà, on parle d’un Marché commun latino-américain, d’un Marché commun arabe, d’un Marché commun asiatique qui œuvreraient aux mêmes fins que le Marché commun européen : à l’abaissement des tarifs douaniers à l’intérieur du Marché et leur augmentation envers les pays tiers.

Certains pourraient affirmer que la Belgique n’a, somme toute, rien à craindre de ces deux évolutions, intérieures et extérieures à la Communauté. Le « quadrilatère décisif » dans lequel se concentreraient les investissements englobe la Belgique ; celle-ci connaîtrait donc une expansion économique prononcée. Les mesures en faveur des pays d’outremer qui dépendent de l’Europe des Six favoriseraient l’expansion économique au Congo. Quant aux mesures de rétorsion des pays sous-développés, celles-ci seraient de peu de poids. Ces pays économiquement faibles ont besoin de l’aide européenne ; ils devront accepter « nos » conditions ; l’évolution leur est d’ailleurs défavorable dans la mesure où les termes d’échange semblent de nouveau se détériorer longtemps à leurs dépens. « Nous » gagnerions ainsi sur les deux tableaux.

A cela nous répondrons d’abord qu’il faut être bien aveugle et bien peu socialiste pour croire que dans la deuxième moitié du XXe siècle, un progrès économique et social reste possible en Belgique (ou en Europe occidentale) accompagné d’un appauvrissement relatif (sinon absolu) des pays sous-développés. Comment ignorer en effet que ces pays ne sont plus prêts à accepter pareille évolution, et se révolteront contre elle par tous les moyens, y compris par des révolutions et des guerres en chaîne ? L’histoire des dix dernières années au Moyen-Orient n’a-t-elle donc rien enseigné à d’aucuns ? Un monde dans lequel l’écart de bien-être entre les pays sous-développés et les pays industrialisés s’accroît (comme c’est le cas depuis 1945) au lieu de se réduire, c’est un monde condamné à la guerre froide, sinon constamment poussé au bord de la guerre totale. Est-ce cela que peuvent désirer des socialistes ?

En outre, un « progrès économique » réalisé dans de telles conditions serait plus que caduc. Une Communauté économique européenne qui verrait s’étendre la plaie du chômage en Italie méridionale, c’est une Communauté que l’Italie quitterait tôt ou tard. Une Europe des Six confrontée avec l’hostilité et des mesures de rétorsion tarifaire de l’Amérique latine, du Commonwealth et de l’Asie, c’est une Europe dont les débouchés globaux finiraient par décroître au lieu de se développer. Paradoxalement, au nom du libre-échange, on aboutirait à une réduction et non à une expansion des échanges mondiaux.

Mais n’est-ce pas mettre la charrue devant les bœufs que de réclamer une expansion de ces échanges-là ? Pourquoi ne pas commencer par étendre les échanges à l’intérieur de l’Europe ; le reste viendra en son temps. En avançant cet argument, certains avocats du traité de Rome ont heureusement accompli un tournant de 180 ; ils se retrouvent non plus sur la position du libre-échangiste mais sur celle du nationalisme économique classique ! C’est en effet avec le même argument que les partisans de l’autarcie ou de l’isolationnisme allemand, américain, italien, britannique, défendaient leurs systèmes protectionnistes. Un moment de réflexion permet de comprendre la raison de ce retournement étonnant : dans le cadre d’une économie mondiale, basée sur une division mondiale du travail, il n’y a aucune différence fondamentale entre des systèmes préférentiels nationaux (« nationalisme allemand, français, etc.. ») et des systèmes préférentiels continentaux ou « régionaux » (« nationalisme européen, américain, asiatique, etc.. »). Leurs effets sur les échanges internationaux sont exactement les mêmes.

Ajoutons qu’il est loin d’être prouvé que le traité de Rome avantagera particulièrement la Belgique. Notre industrie travaille pour le moment avec des matières premières bon marché, et des salaires relativement élevés par rapport à ceux de nos partenaires dans l’Europe des Six. L’entrée en vigueur du Marché commun augmentera le prix des matières premières et celui des produits de consommation que nous importons ; il jouera de ce fait dans le sens de la hausse de l’index et des salaires nominaux (pas des salaires réels). Nos prix de revient augmenteront donc en comparaison de ceux de l’Allemagne et de la France. Il est vrai que les tarifs qui frappent l’importation de nos produits dans ces pays seront abaissés. Mais les deux mouvements ne risquent-ils pas de se neutraliser ? Et pour peu que des pays d’outre-mer prennent des mesures de rétorsion contre nous, l’opération risque même de se solder par un résultat négatif.

Une troisième conclusion s’impose donc : un système de libre-échange régional (continental), dénué de tout organisme de planification économique, pourrait tendre à accentuer le déséquilibre entre les régions favorisées et les régions défavorisées à l’intérieur du système, et risque, s’il est accompagné de mesures protectionnistes envers des pays tiers, d’agir comme obstacle à une expansion optimale du commerce international. Il risque avant tout d’élargir la brèche entre les pays industriellement avancés et les pays sous-développés non liés au système, et d’agir ainsi dans le sens de l’instabilité de la paix et de l’aggravation des contradictions internationales.

« Un ensemble luxuriant de monopoles et d’ententes »

Mais, dira-t-on, le traité de Rome n’est tout de même pas entièrement d’inspiration libérale. La remarque est pertinente. Comment ce traité aurait-il pu être basé sur la stricte application des principes de la libre concurrence, alors que la réalité économique de nos jours s’éloigne si fortement de ce dogme ? Au capitalisme du XIXe siècle, basé sur la libre concurrence, a succédé le capitalisme du XXe siècle, basé sur les ententes, les monopoles et les « prix administrés ». Il y a longtemps que l’action de ces ententes et monopoles dépasse les cadres nationaux ; des cartels européens et mondiaux existent depuis plus d’un demi-siècle. Le traité de Rome, dans son aspect rédactionnel de 248 articles,

« ne vise en somme qu’à l’établissement d’un début d’engagement collectif entre ces groupements privés, soutenu par l’Autorité publique ! »

L’excellente formule, lancée par le professeur Perroux lors de sa remarquable conférence devant la Société royale d’économie politique de Belgique, définit la portée et les limites réelles du traité.

Elle implique que si le Marché commun tend incontestablement à accroître la dimension moyenne des entreprises, il n’est nullement démontré que les consommateurs en profiteront sous forme de baisses des prix. Il est plus probable qu’on aboutira soit à des ententes européennes dans diverses branches de production, soit à une pénétration d’un ou de plusieurs groupes financiers dans des entreprises « concurrentielles » des six pays, ce qui permettrait de coordonner tacitement leur politique des prix et des investissements. Pour un petit pays comme la Belgique, qui connaît déjà un degré élevé de concentration industrielle et financière, mais qui pratique une politique commerciale assez libre (et soumet ainsi les trusts à la menace de concurrence des produits importés ou importables), « l’extension du marché » qui se réalise dans ces conditions risque d’être un facteur de hausse et non pas de baisse des prix !

Facteur de rigidité et de hausse des prix, facteur d’instabilité monétaire, cette propagation des ententes monopolistiques et oligopolistiques au sein du Marché commun risque aussi d’être une force politique néfaste qui sape à la longue la démocratie politique. La renaissance des cartels de la Ruhr, malgré les dispositions du traité de la CECA, a pesé lourdement sur l’évolution politique de la République fédérale allemande. Et ne retrouve-t-on pas les fameuses forces de la « synarchie », déjà actives sous Vichy, derrière les coulisses du nouveau régime gaulliste en France ?

On objectera que le traité de Rome est hostile aux monopoles et aux ententes. Une comparaison entre ce traité et celui de la CECA démontre pourtant que les intérêts des groupements capitalistes sont beaucoup mieux sauvegardés dans celui-là que dans celui-ci.

Tout d’abord, la Haute Autorité de la CECA est appelée à autoriser préalablement les fusions et ententes entre entreprises. Cette clause a disparu du traité sur le Marché commun. Celui-ci ne connaît que des interdictions ou des poursuites postérieures, c’est-à-dire une médecine curative bien plus aléatoire que la méthode préventive.

En outre, l’article 66 du traité de la CECA prévoit des sanctions contre des « entreprises qui... acquièrent sur le marché... une position dominante qui les soustrait à une concurrence effective dans une partie importante du marché commun », si ces entreprises utilisent cette position « à des fins contraires aux objectifs du traité ». Le traité de Rome par contre prévoit dans son article 86 des sanctions contre des entreprises qui « exploitent abusivement une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci, dans la mesure où une telle pratique est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres ».

La différence entre les deux formules est de taille. Le traité de la CECA vise à abolir les monopoles de fait dans chacun des trois grands pays membres. Le traité de Rome ne vise l’abolition de ces monopoles que dans la mesure où ils deviendraient internationaux, où ils « affecteraient le commerce entre les États membres ». Et puisque leur collaboration au sein de l’Europe des Six peut prendre la forme de la collusion tacite, du « price leadership » et de l’interpénétration financière, plutôt que celle de la fusion internationale ouverte, le traité s’est enlevé d’avance toute arme pour combattre ces procédés monopolistiques ! Si l’on constate en outre les résultats plus que maigres obtenus par la Haute Autorité de la CECA dans sa lutte contre les cartels et les monopoles (notamment dans la Ruhr), les conclusions les plus pessimistes sont justifiées pour le Marché commun.

Nous ne pouvons donc qu’approuver le professeur Perroux lorsqu’il assure que les groupements monopolistiques et oligopolistiques domineront le Marché commun, et lorsqu’il s’exclame que seule une Autorité centrale puissante, dotée de pouvoirs étendus, pourrait les mettre au pas. Or, cette autorité fait défaut. De même que l’absence d’une telle autorité faisait jouer l’harmonisation monétaire dans le sens anti-planiste et déflatoire, en cas de récession, de même l’absence de cette autorité fait jouer l’extension du marché dans le sens d’une extension des groupements monopolistiques. Le professeur Perroux a lancé une définition sévère mais juste : le Marché commun sera « un ensemble luxuriant de monopoles et d’ententes » !

C’est à la lumière de cette définition que nous pouvons examiner le problème de l’expansion économique qui résulterait de l’entrée en vigueur du Marché commun. Dans les cas - moins importants - où une industrie dominée par de petites entreprises arriérées dans un des pays membres fait face à de puissants trusts dans un pays voisin, des modifications radicales de structure se produiraient, qui aboutiraient en définitive à une augmentation de la productivité et du produit global. Mais dans la majorité des cas, notamment de l’industrie lourde, des trusts puissants existent déjà dans chacun des pays producteurs membres de la Communauté. Entre ces trusts naîtront des ententes ou s’engageront des « batailles » qui, selon les règles de la « concurrence » monopolistique, ne portent pas sur les prix. On ne peut prévoir dans ce cas qu’une spécialisation accrue, et une meilleure division du travail. L’accroissement de la productivité et du produit global sera plutôt modeste, et risque d’être accaparé exclusivement par les bénéfices industriels, si les syndicats n’attaquent pas avec énergie.

Nous pouvons tirer une quatrième conclusion : dans l’absence d’une autorité politique dotée de pouvoirs suffisants, s’appuyant sur un mouvement ouvrier ayant conquis la prédominance politique au sein de la Communauté, le Marché commun ne sera pas un cadre « vide » ou « neutre » que patrons et ouvriers s’efforceront, avec des chances de départ égales, de remplir de leur contenu. Il sera placé dès le début sous le signe de la prédominance des ententes capitalistes, auxquelles ses structures seront adaptées. Il placera de ce fait la lutte ouvrière devant des difficultés égales, sinon accrues, par rapport à celles qu’elle rencontre sur le terrain national. Parmi ces difficultés accrues il faut citer notamment la facilité avec laquelle la bourgeoisie européenne constitue des organismes de coopération internationale efficients, facilité qui contraste tristement avec les difficultés que les syndicats et les partis socialistes rencontrent actuellement pour constituer des ententes (« Internationales ») efficientes dans l’action ! L’expérience est, hélas, concluante, et l’histoire des dernières années confirme le verdict des trois décades passées.

Esquisse d’un plan d’action

Voilà l’inventaire des principales faiblesses de la philosophie et du texte du traité de Rome, examinés du point de vue socialiste. Nous pourrions y ajouter des critiques de détail : représentation nulle ou insuffisante des syndicats dans divers organismes de la Communauté ; insuffisance notoire des fonds prévus pour la réadaptation ; formules confuses, sinon dangereuses, employées par le traité concernant la possibilité de nationaliser des secteurs de l’industrie et de mener une politique de planification à long terme basée sur ces secteurs dans chacun des pays membres. Nous préférons nous limiter aux questions de principe nettement délimitées au départ.

Nous ne pouvons, naturellement, nous satisfaire d’une condamnation stérile. Malgré toutes les critiques que nous avons à formuler, le traité de Rome est un fait, même s’il ne nous plaît pas. Il impose des cadres nouveaux à notre action. Comment influenceront-ils celle-ci ? C’est ce que nous chercherons à esquisser rapidement.

Sur le plan de la propagande, une prudence plus grande s’impose. Il faut cesser de s’affirmer partisan inconditionnel du traité de Rome ; il faut mettre à nu les prémisses naïves, simplistes et irréelles du credo libre-échangiste. Mais il faut le faire du point de vue socialiste, internationaliste, non en partant d’un nationalisme aussi étroit qu’anachronique. A l’Europe des trusts nous opposons les États-Unis socialistes d’Europe, non pas « l’idéal » d’États souverains s’entourant de barrières douanières de plus en plus épaisses.

Sur le plan de la politique internationale, les faiblesses du traité de Rome ayant été reconnues, le mouvement socialiste et syndicaliste doit dès maintenant œuvrer à sa révision, et souligner sans relâche qu’en dehors de cette révision, la construction s’avérera caduque et risque même de s’effondrer. Cette campagne de révision, si possible internationale, doit porter essentiellement sur trois points : le principe que sans harmonisation effective de la politique économique et sociale - subordonnée à l’objectif prioritaire du plein emploi dans le cadre de la Communauté - toute harmonisation monétaire et commerciale est soit inopérante soit dangereuse du point de vue des travailleurs ; le principe qu’une politique internationale de plein emploi ne peut être appliquée que par des autorités internationales, dotées de pouvoirs suffisants, et appliquant la redistribution des revenus à l’échelle internationale ; le principe d’abandon de tout protectionnisme européen envers des pays tiers. En même temps, nos porte-paroles devraient avoir le courage d’affirmer, comme le font les travaillistes britanniques : « Aussi longtemps que ces autorités n’existent pas, nous saisirons toutes les possibilités qui s’offrent à nous pour réaliser une politique de plein emploi et de planification à l’échelle nationale, et nous ne les sacrifierons pas au dogme de la stabilité monétaire absolue et au traité de Rome ».

Sur le plan de la politique intérieure, il faut reconnaître que les structures européennes ne sont pas moins capitalistes que les structures nationales, et que la politique européenne ne peut pas se substituer à l’effort de réformes de structures. Pour beaucoup de camarades, le mouvement européen a été une sorte de « fuite en avant » : ayant eu l’impression que la transformation socialiste de la société était bloquée sur le plan national, ils lui cherchèrent une solution européenne. Aujourd’hui, ils doivent reconnaître que la création du Marché commun et de ses institutions ne modifie en rien l’emprise des holdings sur notre économie ; ils risquent plutôt de la renforcer. Il s’agit donc d’engager résolument, sur le plan belge, la lutte pour les réformes de structure et pour un début de planification, quitte à nous joindre à toute tentative de réaliser ces réformes et cette planification à l’échelle internationale, dès qu’une possibilité concrète se présente dans ce sens.

Il va sans dire que les socialistes, et surtout ceux d’un petit pays comme le nôtre, intimement intégré dans le marché mondial, préféreraient une planification internationale aux mesures planistes forcément limitées qu’on pourrait appliquer sur la seule étendue de notre territoire. Mais ils préfèrent ces dernières aux aléas d’une économie européenne libérale.

Sur le plan de la politique syndicale, il faut réaliser au plus vite une véritable unité d action syndicale dans le cadre de l’Europe des Six, et la réaliser de façon efficiente, c’est-à-dire, capable, s’il le faut, par l’action gréviste, de s’opposer à la volonté patronale d’ores et déjà confédérée au sein d’ententes officielles et secrètes. Ceci implique à notre avis une révision nécessaire du problème douloureux des rapports avec le syndicalisme français et italien ; aussi longtemps que la CGT et la CGIL seront tenus à l’écart de cette unité d’action, celle-ci ne sera pas réelle, excluant la majorité des travailleurs de ces deux grands pays.

Nous n’avons pas la prétention que ces quelques idées générales constituent une réponse définitivement valable au problème posé. Mais cette réponse, le mouvement ouvrier belge doit la rechercher rapidement, s’il ne veut pas être dépassé par les événements. Si nos réflexions contribuent à alimenter une discussion réaliste - partant de ce qu’est le traité instaurant le Marché commun, et non pas de ce qu’on avait espéré qu’il soit - nous croyons avoir fait œuvre utile.