Sommaire

Repères biographiques
Ecrits
Sur la vie et l'oeuvre...
Débats, interviews, etc.
Multimedia
Contact
Mailinglist

Maintenant pour 12 euro !

Double DVD:


Liens
Castellano
Deutsch
English
Nederlands

Nécessité d'une organisation internationale révolutionnaire

Ernest Mandel - Archives internet
Ernest Mandel et John Ross Imprimer
Quatrième Internationale, 1981 (4) : pp.11-44

1. L'internationalisation des forces productives

Dès sa naissance, le capitalisme est orienté vers le marché mondial. La spécialisation du commerce international, l'exportation par les premiers pays capitalistes industrialisés de produits manufacturés, l'importation de biens en provenance des «sous-développés», la conquête de marchés dans ces pays, ont accompagné chaque pas en avant du mode production capitaliste. L'impérialisme a poussé cette tendance à un niveau plus élevé. Par sa nature expansive même, le capitalisme a créé un système mondial. Tout système social supérieur qui le remplacera devra nécessairement être, à ce propos, d'un caractère encore plus international que le système impérialiste. Non seulement du point de vue politique, mais même du point de vue directement économique, toute théorie du «socialisme dans un seul pays » est à la fois réactionnaire et utopique.

Cependant, l'essor mondial du capitalisme est caractérisé par le développement inégal et combiné. L'industrie de masse des centres capitalistes développés a détruit la production pré-capitaliste des pays qu'ils dominent (industrie à domicile, industrie villageoise, premières formes de manufacture) sans entraîner un développement massif de l'industrie moderne dans les pays dominés eux-mêmes.

A l'époque impérialiste, l'exportation de capitaux, l'apparition au niveau international de vastes groupes du capital financier qui contrôlent le marché financier de presque toutes les régions du monde. Le contrôle politique et militaire direct ou indirect des pays sous-développés par les puissances impérialistes empêchent ceux-ci, même avec quelques décennies de retard, de suivre le modèle général d'industrialisation, de développement économique et de modernisation établi par les pays les premiers industrialisés. Leur développement organique est dévié sous le poids de la domination impérialiste. Les progrès de l'industrie moderne coïncident avec le maintien et même la consolidation de formes de production et d'exploitation pré-capitalistes: usure et conditions de quasi-servage, fermage élevés, prestation de travail semi-féodales, poids prépondérant des propriétaires fonciers, négociants et banquiers étrangers dominant la politique commerciale, etc. Même là où, après la Deuxième guerre mondiale, une industrialisation capitaliste plus intense a eu lieu, elle a été réalisée au prix de disproportions et de déséquilibres énormes, qui accentuent l'inégalité et la dislocation sociales.

Il découle de ce processus que l'économie capitaliste internationale est devenue une unité structurée en faveur des centres impérialistes. Hyper-spécialisées dans l'extraction et l'exportation de matières premières, en ayant une industrie de plus en plus orientée vers le marché d'exportation, les économies dominées par l'impérialisme sont à la merci de montées et de chutes brusques des prix des matières premières. Même les économies qui atteignent un développement industriel relativement important restent soumises à la situation prévalant dans les centres impérialistes (endettement énorme, dépendance technologique, etc.), tandis que les économies néo-coloniales les plus faibles subissent les coups qui condamnent les masses de paysans pauvres et de travailleurs à vivre à la limite de la misère sinon d'une véritable famine. Les inégalités sociales et les déséquilibres croissants ont pour conséquence une instabilité politique et des crises fréquentes. C'est ce processus qu'on a vu se dérouler au cours de toute la période qui a commencé avec la crise du système impérialiste et qui a continué dans les dernières années en Iran, au Nicaragua, au Brésil, au Zimbabwe et dans bien d'autres pays.

Dans le capitalisme du troisième âge (une sous-période de l'époque impérialiste qui commence à la fin de la Deuxième guerre mondiale), l'émergence de sociétés multinationales reflète encore plus clairement une phase plus élevée de l'internationalisation des forces productives. Cette internationalisation ne se manifeste plus seulement au travers du commerce et du mouvement mondial des capitaux, alors que les unités productives restent essentiellement nationales. Elle se manifeste, maintenant, par l'organisation de plus en plus internationale de la production industrielle elle-même. Les sociétés multinationales organisent une division du travail en leur propre sein. Elles fabriquent les pièces de rechange sur un continent et possèdent les chaînes d'assemblage sur un autre. Elles transfèrent d'un pays à l'autre, sinon d'un continent à l'autre, la fabrication de tel ou tel type de leurs produits. Il n'y a pas de meilleure preuve du fait que, non seulement la propriété privée capitaliste, mais aussi l'État-nation, ont été dépassés par le niveau de développement des forces productives. Beaucoup de branches industrielles ont aujourd'hui atteint un niveau de technologie tel que même un seule machine ne peut être utilisée avec profit, si elle ne travaille pas pour un marché englobant plusieurs pays à la fois.

D'ailleurs tous les problèmes économiques clefs auxquels fait face aujourd'hui l'humanité - le problème de vaincre la faim et le sous-développement du Tiers-Monde, le problème d'assurer et de maintenir le plein emploi, le problème de subordonner le développement «spontané» de la science et de la technologie aux besoins de l'humanité, le problème de résoudre la crise écologique - ne peuvent être résolus qu'à l'échelle internationale.

L'idée d'une «souveraineté nationale » illimitée, idée qui est progressiste tant qu'elle est utilisée contre les restes du féodalisme ou des empiétements de l'impérialisme (c'est-à-dire l'oppression et l'exploitation), devient réactionnaire non seulement dans les États impérialistes, mais aussi quand elle est appliquée à la construction d'un monde socialiste unifié, d'une fédération mondiale de Républiques socialistes. Cela explique aussi pourquoi toutes les tentatives faites par les bureaucraties des États ouvriers déformés et dégénérés de construire « le socialisme dans un seul pays » sont réactionnaires et utopiques. Aucune répartition rationnelle des ressources mondiales en faveur d'un dépassement rapide du sous-développement, de l'élimination de la famine, de la misère, de l'élimination des inégalités essentielles entre nations «riches» et «pauvres», n'est possible si chaque pays veut "marcher seul" , chacun construisant sa propre sidérurgie, sa propre industrie automobile, sa propre industrie électronique, indépendamment des coûts et tournant le dos aux avantages de la division internationale du travail. Cela sera encore plus vrai dans le cas de révolutions dans les pays industrialisés avancés.

Il est sûr que la division internationale du travail telle qu'elle a fonctionné sous le capitalisme, telle que le bureaucratie privilégiée qui a usurpé le pouvoir en URSS l'a appliquée, c'est-à-dire une division du travail fondée sur l'inégalité, a terriblement accru les soupçons et les préventions à l'égard de la solidarité internationale chez beaucoup de peuples (en Europe de l'est aussi bien qu'en Asie et ailleurs). Mais ce n'est pas une raison pour que les marxistes-révolutionnaires ferment les yeux devant l'évidence: le socialisme mondial n'est possible qu'au plus haut niveau d'organisation et de planification internationales de la vie économique et politique. Cela n'est possible que si de nombreuses restrictions de la « souveraineté nationale », sur la base d'une stricte égalité entre les nations, sont librement acceptées par la masse des travailleurs qui seront maîtres de leur destin dans un Fédération socialiste mondiale. Cette libre acceptation est impossible sans un haut niveau d'éducation internationaliste et d'organisation

2. La lutte de classes est internationale

Par sa nature même, c'est-à-dire par ses liens avec la propriété privée et la concurrence, l'exploitation et l'inégalité, la classe capitaliste et sa suite (cette partie de la petite-bourgeoisie qui partage son idéologie) sont organiquement incapables de trouver une solution mondiale aux problèmes de l'humanité. L'énorme fossé entre l'internationalisation objective des forces productives d'une part, et la survivance de l'État-nation bourgeois d'autre part, a été comblé en partie par toutes sortes d'institutions internationales et de mécanismes internationaux. Mais si l'on observe de plus près la manière dont ces institutions opèrent et dont ces mécanismes fonctionnent, on découvrira toujours que c'est en faveur de certains groupes de capitalistes (généralement les plus forts) et aux dépens des autres, ainsi qu'en faveur du capital en général et aux dépens des exploités et des opprimés à travers le monde.

Le capitalisme ne peut se développer qu'en impulsant simultanément le développement du travail salarié. L'accumulation du capital trouve sa source dans la plus-value, qui ne peut être produite que par le travail salarié vivant. Dès sa naissance, une lutte de classe continuelle entre le Capital et le Travail a accompagné le développement du capitalisme.

Cette lutte de classe ne s'élève pas continuellement et n'atteint pas à tout moment une expression consciente. Elle connaît des hauts et des bas, surtout dans ses formes les plus aiguës (grève de masse à large échelle; actions politiques de masse sur grande échelle; situations pré-révolutionnaires pour le pouvoir). Mais même quand elle recule temporairement de la part de la classe ouvrière, elle est quotidiennement poursuivie, au niveau de l'usine, par la classe capitaliste. Chaque nouvelle machine introduite dans une entreprise, chaque tentative de rationaliser l'organisation de la production, est une tentative du capital pour extorquer au travail salarié plus de surtravail, plus de plus-value. Tout renvoi à d'un travailleur d'un entreprise est un tentative d'affaiblir la classe ouvrière.

Périodiquement, les travailleurs répondent à ces attaques continuelles menées par la classe capitaliste, à cette lutte de classe quotidienne de leur ennemi de classe, par des réactions massives et non plus individuelles, fragmentaires et limitées. Leurs réactions massives vont de la grève de masse à la forme la plus élevée de la lutte de classe prolétarienne: la lutte pour renverser la propriété et le pouvoir d'État de la bourgeoisie, la lutte pour la victoire de la révolution socialiste.

Plus est élevée le niveau de l'internationalisation du capital et celui des forces productives, plus la lutte de classe elle-même devient internationale. Prenons un exemple des plus élémentaires: déjà, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les patrons ont essayé de briser des grèves soit en transférant des commandes dans des pays étrangers, soit en important de la main-d'oeuvre étrangère. Une réaction nationaliste de la part des grévistes, essayant de présenter les « étrangers » comme des ennemis, joue en faveur des patrons et s'est rapidement montrée inefficace, même pour gagner des grèves. A long terme, cela ne peut qu'aider davantage encore la classe capitaliste qui essaye de diviser de manière permanente la classe ouvrière, d'introduire en son sein la concurrence et la lutte entre des travailleurs de différentes nationalités, ce qui est dans l'intérêt du Capital mais contraire aux intérêts du Travail.

L'expérience a rapidement enseigné aux travailleurs que la meilleure réponse à ces manoeuvres des capitalistes était d'étendre les grèves et l'organisation syndicale au niveau international. Ce fut une des principales raisons qui ont permis à Marx et Engels d'organiser la première Association internationale des travailleurs (AIT) dès 1864. Contrairement à la classe capitaliste, la classe ouvrière n'a aucun lieu organique avec la concurrence, liée à l'existence de la propriété privée. Ses intérêts fondamentaux, déterminés par la manière dont elle travaille à l'entreprise et par la manière dont elle se défend contre l'ennemi de classe, sont fondés sur la coopération et la solidarité.

Le capital, en opérant de plus en plus à une échelle internationale, en internationalisant de plus en plus la lutte de classe, oblige la classe ouvrière à répondre en étendant, elle aussi, la coopération et la solidarité à un niveau international pour ne pas être battue d'avance dans un jeu inégal où les dés sont pipés.

Il est vrai que la conscience de classe prolétarienne traîne encore et toujours loin derrière les besoins objectifs. Encore et toujours, la bourgeoisie et les bureaucraties ouvrières qui la servent, ont réussi à utiliser le nationalisme, la chauvinisme, le racisme, les différences ethniques et religieuses, pour diviser les travailleurs, les dressant les uns contre les autres, au lieu de les unir contre leur ennemi de classe commun. Mais chaque fois que cela est arrivé, chaque fois que la classe ouvrière n'a pas réussi à comprendre ses tâches internationalistes, l'expérience a montré que seuls les capitalistes en ont profité et que les travailleurs en étaient eux-mêmes les grandes victimes.

Ainsi, au début de la Première guerre mondiale, la majorité des travailleurs européen a d'abord baissé la tête devant l'énorme pression de la propagande chauvine bourgeoise, transmise dans leurs rangs par les dirigeants de leurs partis de masse et de leurs syndicats qui avaient capitulé devant la bourgeoisie impérialiste. Ce fut la cause de l'effondrement de la IIe Internationale. En 1914, ces travailleurs acceptèrent la guerre en tant que guerre de «défense nationale », alors qu'elle était en réalité une guerre de brigandage impérialiste. Mais ils ont rapidement payé un prix très lourd pour ce recul. Des millions de travailleurs furent tués par leurs propres frères de classe des autres pays. Des dizaines de millions ont vu rapidement baisser leur niveau de vie comme prix de leur acceptation de la collaboration de classe avec les patrons, et de leur engagement à ne pas faire grève au nom de « l'union sacrée ». Ainsi, il devint possible pour les internationalistes, qui n'étaient qu'une petite minorité au début de la guerre, de convaincre des secteurs grandissants de la classe ouvrière que l'internationalisme pratique n'était ni une utopie ni un « idéal » abstrait, applicable seulement par une petite avant-garde, mais un besoin réel qui correspondait à l'intérêt commun, immédiat et matériel des travailleurs de tous les pays.

De la même façon, au début des guerres contre-révolutionnaires de reconquête coloniale, comme celle menée par l'impérialisme français contre la révolution algérienne dès novembre 1954, la masse des travailleurs a été influencée par des préjugés chauvins et racistes, surtout quand ceux-ci n'ont pas été, dès le début, vigoureusement combattus par les directions des organisations de masse réformistes de la classe ouvrière. Ils se sont dérobés à leur devoir de solidarité avec le combat de libération mené par ceux qu'opprimait leur propre bourgeoisie impérialiste. Là encore, ils ont payé un prix élevé pour cet abandon d'un principe fondamental de la lutte de classe: des milliers de morts, et dans le cas de la France, une menace grandissante contre leurs propres libertés démocratiques conduisant en 1958 à la chute de la IVe République et à l'établissement d'un État fort bonapartiste sous le général De Gaulle. Cette expérience a aidé les petites minorités internationalistes à convaincre des secteurs de la classe ouvrière de la nécessité de se battre contre les sales guerres coloniales et de s'opposer aux efforts de guerre par tous les moyens nécessaires.

La nécessité de mener la lutte de classe au niveau international s'est aussi manifestée clairement dans des luttes plus récentes. Aujourd'hui, quand les sociétés multinationales organisent la production sur une base mondiale, quand la politique est avant tout une politique mondiale, les tentatives de résoudre sur un plan strictement national même des questions brûlantes de défense des intérêts économiques immédiats de la classe ouvrière, deviennent de plus en plus difficiles (1).

Alors que les deux dernières années, la crise de la sidérurgie s'étendait à toute l'Europe occidentale, menant au licenciement de plus de 100.000 travailleurs dans 12 pays, les travailleurs sidérurgistes de l'Allemagne de l'Ouest ont été abandonnés par les syndicats des autres pays lors de leur première grève exemplaire pour la semaine de 35 heures, alors que, si cette grève avait été gagnée internationalement, elle aurait permis de sauver dans l'immédiat tous ces emplois. De même, la puissance de grève des sidérurgistes britanniques a été affaiblie malgré leur détermination exemplaire parce qu'aucune tentative de solidarité internationale n'a été organisée. On n'a établi sérieusement aucun blocage du transport d'acier en provenance des laminoirs européens, par les camions et les chemins de fer et dans les ports du continent. Même un nombre limité de syndicalistes déterminés, coordonnant leur action dans tous les pays européens auraient pu atteindre à ce propos un succès partiel et auraient pu exercer une pression suffisamment grande pour qu'à la fin, dans leurs structures syndicales, la solidarité prévale. Ces exemples montrent comment la réalité internationale de la lutte de classe s'impose du fait de processus sociaux objectifs. Cela indique les devoirs et les possibilités de la classe ouvrière et des révolutionnaires.

Les racines objectives de la nécessité de l'internationalisme prolétarien sont très simples. La lutte de classe est telle que chaque défaite d'une classe est une victoire pour l'autre. Cela est vrai non seulement nationalement mais aussi internationalement. La bourgeoisie comprend cela pleinement. Ses cercles dirigeants ont une conscience internationale extrêmement développée. Leurs organisations contre-révolutionnaires (OTAN, UE, traités de « défense » ASEAN) et leurs opérations (Vietnam, coup d'État en Bolivie, interventions dans le Golfe Persique et au Salvador) ont une dimension pleinement internationale. Quels que soient les désaccords particuliers qui existent entre ses différents secteurs, ils coopèrent pleinement pour les opérations contre-révolutionnaires les plus décisives.

A l'opposé, le prolétariat est gravement freiné par ses directions stalinienne et social-démocrate. Il souffre grandement, chaque fois qu'il faillit à ses obligations internationales. L'incapacité du mouvement ouvrier en Grande-Bretagne de répondre aux besoins de solidarité avec l'Irlande a directement créé non seulement la division du pays, mais encore une enclave ultra-réactionnaire au sein de l'État britannique. L'incapacité des directions du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes à se solidariser pleinement avec la lutte contre la bureaucratie stalinienne en Europe de l'est a laissé la porte ouverte aux courants les plus droitiers dans leurs propres pays, pour endosser le manteau de « défenseurs de la démocratie ».

Par contre, chaque fois qu'il a appliqué une véritable politique de solidarité internationale, même si c'était au début pour des motifs confus, le mouvement ouvrier a réalisé des gains importants. Ainsi, le refus grandissant des travailleurs et de la jeunesse au Portugal de poursuivre les guerres coloniales en Afrique, la pénétration de ce refus dans l'armée, ont mené au renversement de la dictature fasciste haïe de Salazar-Caetano au Portugal même en 1974.

Un autre exemple convaincant, justement parce qu'il a démarré sur une base de départ limitée au sein du plus puissant État impérialiste du monde, fut le cas du mouvement contre la guerre au Vietnam. Au milieu des années 1960, le déclenchement de l'offensive militaire américaine de grande envergue au Vietnam n'a pas été immédiatement accueilli, aux États-Unis, par une opposition de masse active. Mais le nombre croissant de morts causés par la guerre, ses conséquences pour l'économie américaine, le visage hideux de l'agression impérialiste que la guerre a révélé à la jeunesse, ont entraîné une opposition grandissante tant au travers de protestations actives que du refus de passif d'accepter les sacrifices que cette guerre exigeait. Les internationalistes, qui au début ne représentaient qu'une petite minorité et n'étaient capable de mener que de petites actions de protestation, étaient arrivés à la fin de la guerre, à influencer des actions de centaines de milliers de personnes et se trouvaient plongés au coeur de la marée du sentiment populaire. L'issue de cette lutte, basée et stimulée par l'incroyable héroïsme dans la lutte du peuple vietnamien, a imposé la plus lourde défaite que la classe dirigeant américaine ait soufferte dans toute son histoire. L'internationalisme dans l'action n'est donc ni un «gadget» ni une préoccupation « exotique », ni une «utopie». Dans chaque pays, il affecte directement les rapports de force entre les classes, et donc les possibilités de victoire de la classe ouvrière. Telle est l'implacable logique objective de la lutte de classe.

La nécessité d'une organisation internationale de l'avant-garde de la classe ouvrière n'est pas seulement fondée sur les réalités économiques du monde contemporain. Elle se fonde également sur la réalité globale de la lutte de classe. «L'émancipation du prolétariat ne peut être qu'un acte international» (Lettre d'Engels à Paul Lafargue, 27 juin 1893).

3.Les bases politiques de l'internationalisme prolétarien

A partir du XIXe siècle au moins (partiellement déjà au XIXe siècle), l'aggravation des contradictions internes du capitalisme a périodiquement mené à de violentes explosions. L'époque impérialiste devient l'époque des guerres, des révolutions et des contre-révolutions. Et, comme les guerres, les révolutions et les contre-révolutions prennent de plus en plus la forme de révolutions et de contre-révolutions internationales. En fait, pas une seule révolution importante n'est survenue au XXe siècle sans avoir été impulsée par des développements internationaux et sans s'être étendue à d'autres pays. La révolution russe s'est rapidement étendue à la Finlande, à la Pologne, à l'Allemagne, à l'Autriche, à la Hongrie et partiellement à l'Italie. En 1936, la révolution espagnole commençait à s'étendre à la France. La révolution chinoise de 1946-1949 s'est étendue à la Corée, l'Indochine, l'Indonésie, la Malaisie. La révolution indochinoise s'est étendue à l'Algérie. La révolution algérienne s'est étendue à l'Angola, au Mozambique, à la Guinée-Bissau, et de là, au Portugal. La révolution cubaine s'est répandue à travers l'Amérique latine. Devant nos yeux, la révolution nicaraguayenne s'étend aujourd'hui au Salvador et à d'autres pays d'Amérique centrale.

De même, comme nous l'avons déjà vu, la contre-révolution s'organise à l'échelle internationale. Elle ne se contente pas de financer et d'armer la classe dirigeante de tout pays menacé par la révolution, afin de rester au pouvoir, ni, après son renversement, pour reprendre le pouvoir. Elle organise le chantage commercial et financier et le blocage économique de chaque révolution, l'une après l'une. Elle organise des groupes internationaux de mercenaires pour déstabiliser et aider à renverser les régimes révolutionnaires. Et quand tout cela ne suffit pas - et que les rapports de forces au sein des pays impérialistes le permettent - elle organise des interventions militaires ouvertes du côté de la contre-révolution dans la guerre civile (comme elle l'a fait en Finlande en 1918, en Russie en 1918-1920, en Pologne en 1920, en Espagne en 1936, en Chine en 1946-1949) ou même entreprend une intervention militaire massive et généralisée contre la révolution elle-même, comme ce fut le cas en Chine dans les années 1930, en Corée en 1950-1953, en Indochine (d'abord par la France, ensuite par l'impérialisme américain) pendant trente ans, en Algérie en 1954-1962, etc.

L'internationalisation des révolutions et des contre-révolutions constitue la base politique de la nécessité d'une Internationale révolutionnaire. Le succès d'une révolution nationale ne dépend pas que d'éléments nationaux. Une direction révolutionnaire doit prendre en compte non seulement la situation nationale mais aussi internationale. A notre époque, les tâches d'une Internationale ne peuvent se réduire simplement à l'opposition, par l'organisation de la solidarité internationale, aux briseurs de grèves. Ses tâches sont d'une étendue politique de plus en plus grande. Elle doit réunir les conditions pour qu'en se soulevant pour conquérir leur libération nationale et sociale, la classe ouvrière et les peuples opprimés n'aient pas à faire face, d'une manière complètement dispersée, sinon isolée, à des alliances impérialistes mondiales et à leur violence concentrées. Dans ce cas, leur victoire deviendrait plus difficile, le prix de la victoire plus élevé, et la défaite pourrait même en résulter .

«La crise de l'humanité est la crise de sa direction prolétarienne». La direction prolétarienne nécessaire est celle qui aidera les masses à dépasser le fossé entre leur niveau de conscience et la réalité objective, une direction qui fera face à ses tâches internationalistes, qui rééduquera le mouvement ouvrier dans l'esprit de l'internationalisme. Le seul internationalisme qui soit décisif est celui qui se vérifie en pratique. Cela n'est possible finalement que par la construction d'une réelle Internationale qui fonctionne comme telle.

4. Le combat historique pour une internationale ouvrière

C'est précisément en rapport avec les nécessités objectives de la lutte de classe, pour mettre leurs «conclusions organisationnelles » en rapport avec leurs analyses politiques, que l'activité des révolutionnaires dans toute l'histoire politique du mouvement ouvrier est liée à la lutte pour la création d'une réelle Internationale révolutionnaire. L'idée que des partis révolutionnaires nationaux peuvent suffire, ou qu'il faut d'abord construire de fortes organisations révolutionnaires nationales avant de pouvoir commencer à construire une réelle Internationale révolutionnaire, est totalement fausse. Elle ne répond pas au besoin de garantir un minimum de cohérence organisationnelle et programmatique, irréalisable entre des organisations nationales construites séparément les unes des autres. Elle ne répond pas à la question de savoir comment une éducation internationaliste systématique est possible sans l'expérience pratique quotidienne d'une activité internationale commune. Et surtout, elle ne répond pas à la question de savoir comment une analyse adéquate d'une situation internationale extrêmement complexe et de ses évolutions est possible sans le test d'une pratique commune dans une grande partie du monde, médiatisée par des organisations et des camarades qui sont membres d'un même parti mondial.

L'accumulation de la plus grande expérience internationale possible au travers d'une organisation internationale, au travers de l'organisation formelle d'une Internationale, au travers de l'intervention et de l'organisation à l'échelle internationale ne s'oppose pas, mais, au contraire, contribue à la création de fortes directions nationales et de puissants partis nationaux. Ce fait est confirmé par toute l'histoire du mouvement révolutionnaire international. Il découle de sa nature même. En un certain sens, la première « Internationale » dans l'histoire du marxisme, ce furent Marx et Engels eux-mêmes, qui, dans toute leur vie, n'ont jamais construit d'abord une organisation nationale mais qui ont toujours construit simultanément, que ce soit avec les masses ou avec des forces absolument minuscules, une Internationale et des partis nationaux (Ligue communiste, projet d'Internationale avec le dirigeant chartiste Ernest Jones, Ire Internationale, projet d'Internationale avec les blanquistes, IIe Internationale). C'est devenu un lieu commun, mais il faut en saisir toute la signification : dès ses origines, le marxisme n'était pas un produit national mais international. Selon une formule connue, il est le produit de la philosophie allemande, de la politique française, et de l'économie politique britannique. Dès le départ, Marx et Engels se sont formés sur le champ international le plus large - où ils ont été obligés de chercher des réponses en fonction des besoins mêmes de la lutte révolutionnaire en Allemagne (2).

Est-ce que «l'obsession» des développements internationaux, le refus de mettre en place de simples organisations nationales, le souci de toujours construire une organisation internationale, ont amené Marx et Engels à « perdre le contact » avec les réalités et les particularités nationales, comme on l'a quelquefois affirmé ? Tout au contraire. C'est précisément parce qu'ils ont été des internationalistes aussi complets dans leur pratique et dans leurs idées qu'ils ont pu saisir le plus clairement les éléments universellement décisifs. Par rapport aux autres courants en Allemagne, Marx et Engels ont eu de loin la meilleure compréhension du processus révolutionnaire de 1848. Quelles que soient les erreurs secondaires qu'ils aient pu commettre, ils ont le mieux saisi la situation concrète, la tactique à appliquer et l'intervention à suivre en Allemagne. Leur base de départ internationale les à menés à la ligne nationale la plus correcte, alors que les forces plus «localistes» allaient d'erreurs en erreurs.

De même, Marx et Engels ont-ils fait preuve d'«une incapacité à construire le parti», ou d' «une incapacité à saisir les traits nationaux spécifiques» dans leurs activités ultérieures? Pas le moins du monde. Ce sont eux qui comprirent le mieux comment construire la Ière Internationale et ses sections, comment saisir la signification et la ligne de développement de la Commune de Paris, ainsi que les traits particuliers de la lutte en Allemagne. Dans son agitation pour la création d'un parti ouvrier de masse en Grande Bretagne, sans préconditions programmatiques, Engels a eu 20 ans d'avance dans sa compréhension de la ligne de développement historique du mouvement ouvrier de ce pays sur ceux qui étaient prétendument axés sur les « réalités nationales».

Il s'agit en fait, d'une loi générale du développement du mouvement révolutionnaire international. Les courants les plus corrects et les plus révolutionnaires sur le champ national sont ceux qui ont non seulement eu une expérience révolutionnaire avancée dans leur propre pays, mais qui sont aussi les mieux organisés internationalement. Nous pouvons illustrer cette règle par plusieurs exemples de l'histoire du mouvement ouvrier.

L'aile la plus révolutionnaire et la plus internationaliste du SPD allemand était celle conduite par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Mais Rosa Luxemburg elle-même était une dirigeante qui avait totalement intégré des conceptions et des expériences internationales. Née dans la Pologne divisée, elle a eu la chance d'être militante dans trois partis à la fois: le parti polonais, le parti russe et le parti allemand. En plus de son travail au sein du Bureau et des Congrès de la IIe Internationale, elle a simultanément oeuvré à la construction de l'organisation polonaise, dirigé une aile du parti allemand, personnellement participé à la révolution russe de 1905 et aux luttes internes du parti russe. Comparé à tous les prêcheurs des « particularités nationales », c'était son courant international qui était le plus réaliste et le plus révolutionnaire en Allemagne même. Quelle a été la conclusion que Rosa Luxemburg a tirée de toute cette expérience? Qu'elle a été excessivement internationaliste? Au contraire: elle pensait que le mouvement ouvrier n'avait pas été organisé suffisamment sur le plan international. Ainsi écrivit-elle à la suite de la catastrophe d'Août 1914 et de l'effondrement de la Ile Internationale: « Le centre de gravité de l'organisation du prolétariat en tant que classe est l'Internationale (3) ». En aucune manière, elle ne limitait cela à un simple « échange d'idées » mais le comprenait comme une réelle organisation internationale (4).

Rosa Luxemburg arriva exactement aux mêmes conclusions théoriques que celles appliquées par Marx et Engels: à savoir que le mouvement de la classe ouvrière ne peut jamais être une somme de partis nationaux, mais qu'il doit être construit simultanément en tant qu'Internationale et en tant que partis nationaux. Le deuxième exemple est celui des bolcheviks eux-mêmes. La nécessité de trouver des idées et des solutions révolutionnaires, qui découlait de la pression de la crise sociale permanente en Russie à partir des dernières décennies du XIXe siècle, combinée à l'exil forcé dans le reste du monde de dizaines de milliers d'opposants au tsarisme ont donné au parti russe un cadre de compréhension et une expérience internationale totalement inégalées par tout autre parti dans le monde. Comme l'a dit Lénine, le parti russe était le plus au courant du « dernier cri » des idées et des développements révolutionnaires internationaux (5). Cela n'était pas une idée simplement abstraite. C'était une constatation réellement matérielle. La politique russe était fortement déterminée par la politique mondiale. Les révolutions de 1905 et de 1917 éclatèrent à la poursuite de guerres. Les révolutionnaires russes, à cause de l'exil, avaient énormément de contacts internationaux avec des militants de presque tous les pays. La traduction en russe de la littérature révolutionnaire de tout acabit était supérieure à celle de presque tous les autres pays. Les bolcheviks, le parti manifestement le plus capable de saisir «les particularités nationales de la Russie», était aussi le parti le plus international de toute la IIe Internationale.

Comme Rosa Luxemburg, les bolcheviks ne tirèrent pas de leur expérience la conclusion qu'ils avaient été trop «internationaux». Cette conclusion, ils la laissèrent aux réformistes de la social démocratie qui, après le tournant décisif de 1914, ne recréèrent plus jamais une organisation internationale avec le minimum de cohésion et de représentativité de la IIe Internationale. Les bolcheviks ont, au contraire, tiré le bilan qu'ils avaient été insuffisamment internationaux - en particulier en ne créant pas un courant international organisé. Cette erreur était sans doute une des raisons pour lesquelles Lénine fut incapable de saisir assez tôt la dégénérescence du SPD. Ils la corrigèrent après le terrible choc de 1914.

Dès le début de la guerre, les bolcheviks entreprirent de créer une nouvelle organisation révolutionnaire internationale, concrétisée par leur activité à Zimmerwald, à Kienthal, et dans les préparatifs pour la création de l'Internationale Communiste. Naturellement, la révolution russe leur a donné l'occasion de créer rapidement une Internationale révolutionnaire à véritable échelle de masse. Mais leur décision de créer une organisation internationale nouvelle était déjà claire avant l'éclatement de la révolution de 1917.

De même Trotsky, après la catastrophe en Allemagne de 1933, ne s'orienta pas vers la construction d'un ou de plusieurs partis nationaux, mais dès le début, vers la construction d'une nouvelle Internationale. Il suivait les pas déjà tracés et suivis par Marx, Engels, Luxemburg, Lénine et d'autres dirigeants du mouvement révolutionnaire. Tous ces grands dirigeants révolutionnaires, et l'avant-garde qu'ils représentaient, tirèrent la conclusion, non seulement dans leur théorie, mais dans leur pratique, qu'il fallait construire simultanément une Internationale et des partis révolutionnaires nationaux.

Ces conclusions leur ont été imposées par la réalité objective du processus révolutionnaire international lui-même. Tout révolutionnaire qui aujourd'hui ne construit pas simultanément une Internationale révolutionnaire et des partis nationaux se base non sur les conclusions et la pratique les plus avancées du mouvement révolutionnaire international, mais au contraire sur la logique des réformistes et des centristes.

Finalement, même quand le succès ne fut pas total, la construction d'une Internationale révolutionnaire a toujours abouti à un bilan positif. La Ière Internationale diffusa le marxisme et un début d'organisation de la classe ouvrière dans presque tous les pays capitalistes avancés. Dans toute une série des pays les plus importants du monde, la IIe Internationale stimula le développement des partis ouvriers de masse pour la première fois dans l'histoire.

Malgré sa dégénérescence finale, c'est aussi le cas de l'Internationale Communiste. Celle-ci, ainsi que le processus qui l'a créé, a abouti à des avances non seulement programmatiques mais aussi de grande importance pratique pour la révolution mondiale et la classe ouvrière. Quand, à Brest-Litovsk, la Russie soviétique fut obligée de faire la paix avec l'impérialisme allemand et austro-hongrois dans des conditions désastreuses, en sacrifiant de larges étendues de territoire pour maintenir l'État ouvrier et obtenir un minimum de délai de survie, les bolcheviks firent en même temps tout ce qui était en leur pouvoir pour aider les révolutionnaires allemands par l'agitation, par la propagande, par un soutien financier. Le résultat du large écho qu'a trouvé leur agitation révolutionnaire (particulièrement celle de Trotsky) parmi les travailleurs et les soldats allemands et autrichiens, le résultat de cette aide organisationnelle fournie aux révolutionnaires, et, subsidiairement, le résultat de l'éducation, révolutionnaire et de l'organisation des prisonniers de guerre autrichiens et hongrois en Russie révolutionnaire, ce fut l'éclatement rapide des révolutions allemande, autrichienne et hongroise au début de novembre 1918, six mois à peine après la conclusion du traité de Brest-Litovsk.

Quand, en 1920, l'impérialisme britannique se prépare à intervenir militairement dans la guerre entre la Pologne et la Russie, menaçant par là de renverser le régime soviétique exsangue après de nombreuses années de guerre, de guerre civile, et de déclin catastrophique de la production matérielle (surtout de la production alimentaire), les appels de l'Internationale communiste au mouvement ouvrier britannique pour qu'il s'oppose activement à ces préparatifs de guerre, furent couronnés de succès. Un comité d'action regroupant le Labour Party et les syndicats appela à la préparation d'une grève générale nationale de durée illimitée en cas d'intervention militaire de la Grande-Bretagne. Cet appel fut appuyé par la mise en place de comités d'actions locaux pour préparer cette grève générale dans plus de 400 villes à travers tout le pays. L'impérialisme britannique battit en retraite devant cette menace. Une guerre entre la Grande-Bretagne et la Russie soviétique fut évitée. La Russie soviétique fut sauvée. Tel fut le résultat pratique de l'action coordonnée de la classe ouvrière européenne.

Au début des années 1920, la révolution chinoise entra dans une nouvelle étape, par des confrontations massives d'intellectuels, d'étudiants, de travailleurs, ainsi que d'une fraction de la bourgeoisie chinoise d'une part et de l'impérialisme et de ses suppôts d'autre part. La Russie soviétique envoya une aide militaire massive à la Chine, aida à organiser la résistance anti-impérialiste, et à étendre la lutte sur une grande échelle. Il est vrai que le résultat de la politique erronée de suivisme à l'égard de la bourgeoisie du Guomintang (KMT) amena dans une première étape la défaite sanglante de la classe ouvrière chinoise en avril 1927. Elle aida Chiang Kaï-chek à mettre en place sa dictature réactionnaire et à la maintenir pendant deux décennies. Mais on ne peut nier que cette aide soviétique a empêché, d'une manière décisive, que la Chine ne devienne une simple colonie de l'impérialisme. En donnant, dans les années 1920, une puissante impulsion à la création du Parti communiste chinois (PCC) et à sa transformation en parti de masse, elle a indirectement contribué à la victoire de la 3e révolution chinoise en 1949, c'est-à-dire au renversement final du capitalisme en Chine, quelles que fussent les interventions contre-révolutionnaires ultérieures de la bureaucratie soviétique contre la révolution chinoise.

D'un point de vue économique, social et politique, les travailleurs et les révolutionnaires ont à faire face à une réalité de plus en plus internationale. Les tâches qui découlent des nécessités objectives de la lutte de classe, et en particulier en ce qui concerne les révolutions, ont tendance à se situer de plus en plus au niveau international. Leur solution exige une coordination internationale. Il est capital pour le mouvement ouvrier aujourd'hui de renouer avec ses origines - les traditions d'internationalisme qui ont été à la base de la première organisation révolutionnaire, celle de Marx et Engels, et de l'Internationale Communiste, dans sa période révolutionnaire. La tâche qu'ils s'étaient fixée : coordonner, à l'échelle mondiale, la lutte de la classe ouvrière pour le renversement du capitalisme, coordonner, à l'échelle mondiale, l'effort pour paralyser la contre-révolution internationale, est indispensable à la lutte de classe pratique. L'histoire a démontré que l'incapacité à mener à bien ces tâches conduit le mouvement ouvrier à d'énormes reculs, à des pertes considérables, sinon à des défaites sanglantes.

Nous l'avons déjà dit: la conscience des masses traîne loin en arrière des impératifs de la réalité objective. Pendant des années, elles ont été méséduquées par leurs directions réformistes qui, au lieu d'élever leur conscience vers l'internationalisme, leur ont appris à défendre leur « propre » pays, et donc leurs « propres » capitalistes contre les travailleurs et les opprimés: des autres pays du monde.

5. La nécessité d'une nouvelle direction révolutionnaire internationale

Avec la dégénérescence de l'Internationale Communiste en un simple outil des tournants et virages de la politique étrangère de la bureaucratie soviétique, l'absence d'une force dirigeante et coordinatrice des luttes révolutionnaires internationales s'est faite cruellement sentir justement parce que ces luttes n'ont pas disparu. Au lieu d'aider au soutien de la révolution espagnole, le Komintern stalinisé l'a étranglée, rendant par là inévitable la conquête de toute l'Europe par Hitler, ainsi que son agression de l'Union soviétique sur une base extrêmement favorable. Au lieu d'aider à soutenir les montées révolutionnaires des travailleurs de Grèce, d'Italie et de France, en 1944-1948, Staline les a livrées à l'impérialisme occidental (il n'y a qu'en Yougoslavie qu'une tentative semblable fut mise en échec par les communistes yougoslaves eux-mêmes). Au lieu d'organiser, dès le départ, un soutien à la révolution indochinoise, Staline, puis Krouchtchev, puis Brejnev ne lui ont fourni qu'un soutien au compte-gouttes, évitant qu'elle ne s'effondre face à l'agression impérialiste, mais repoussant de plusieurs décennies une victoire qui aurait pu être atteinte beaucoup plus tôt. Les conséquences matérielles de trois décennies d'agressions et de guerres ont joué un rôle important dans l'enchaînement des tragédies qui suivirent la victoire de la révolution indochinoise .

La nécessité d'une nouvelle Internationale révolutionnaire s'est donc faite sentir objectivement à partir du moment où la fin du Komintern, en tant qu'instrument de la révolution mondiale, a été confirmée par des événements internationaux décisifs, c'est-à-dire à partir de la conquête du pouvoir par Hitler en 1933. Depuis lors, elle constitue la base politique du combat de la IVe Internationale.

a) Révolution permanente ou «socialisme dans un seul pays »

L'échec de la révolution russe à s'étendre victorieusement dans la période 1917-1923 à des pays industrialisés décisifs l'a laissée isolée dans un pays relativement arriéré. En conséquence, un processus de bureaucratisation croissant de l'État soviétique et du PC de l'Union soviétique s'est déclenché. Il amené au déclin de l'Internationale Communiste et, ensuite, à sa destruction comme outil de la révolution mondiale. Ce processus, dont le stalinisme est l'expression politique et idéologique, reflète le fait qu'une nouvelle couche privilégiée, la bureaucratie soviétique - qui n'est pas une nouvelle classe dirigeante - a exproprié la classe ouvrière soviétique de l'exercice du pouvoir politique, a concentré dans ses mains le contrôle du surproduit social, et par là, a monopolisé le pouvoir dans toutes les sphères de la société soviétique. Elle use de ce pouvoir pour défendre ses propres privilèges matériels, qui sont considérables en comparaison du niveau de vie moyen du travailleur et du paysan russes.

La première révision fondamentale du marxisme qui exprima cette usurpation du pouvoir par la bureaucratie soviétique fut l'élaboration de la théorie selon laquelle on pouvait parachever la construction d'une société socialiste en Russie, dans l'isolement par rapport au reste du monde. Il s'agit de la «théorie du socialisme dans un seul pays». Cette théorie exprima le conservatisme fondamental de la bureaucratie soviétique, son abandon de la révolution mondiale en faveur du maintien du «statu quo» international, c'est-à-dire de la coexistence pacifique avec l'impérialisme ou de la division du monde en sphères d'influence entre la bureaucratie soviétique et le capitalisme international.

Si les marxistes-révolutionnaires n'ont jamais appelé l'Union soviétique ou son gouvernement à «provoquer » artificiellement des révolutions dans d'autres pays ou à les « stimuler » par des aventures militaires extérieures, ni d'« attendre la révolution mondiale » avant de commencer à développer l'économie et la société soviétiques en direction du socialisme, ils comprenaient parfaitement que le sort de l'Union soviétique (y compris l'évolution et les changements de sa structure interne) restait finalement lié à l'issue des luttes de classe à l'échelle mondiale. De la même manière que la classe ouvrière internationale a le devoir de défendre l'Union soviétique contre les tentatives de l'impérialisme d'y restaurer le capitalisme, l'Union soviétique a le devoir d'aider et de faire avancer la révolution mondiale, dans tous les cas où des luttes révolutionnaires de masse et des crises révolutionnaires profondes, dans un ou plusieurs pays, attestent des possibilités objectives d'obtenir de nouvelles victoires révolutionnaires. Ce devoir mutuel correspond à un intérêt commun. Chaque défaite de la révolution mondiale affaiblit objectivement l'Union soviétique en renforçant l'impérialisme mondial. De même, la restauration du capitalisme en Union soviétique (et dans les autres États ouvriers) renforcerait terriblement l'impérialisme mondial, et par là affaiblirait objectivement la révolution mondiale, le prolétariat mondial, et toutes les forces anti-impérialistes à travers le monde.

La rupture avec cette position classique de l'internationalisme prolétarien, telle qu'elle a été appliquée par l'Internationale Communiste dans les premières années de son existence, n'était pas seulement une rupture avec les intérêts de la révolution mondiale et du prolétariat mondial. Elle a en même temps imposé d'énormes sacrifices évitables aux travailleurs soviétiques dans la défense de leur État. Ses conséquences les plus graves se sont révélées plus tard, bien que Trotsky et l'Opposition de Gauche soviétique les aient prévues dès le départ.

La «théorie du socialisme dans un seul pays» implique la subordination des intérêts des travailleurs du monde entier aux prétendus intérêts de la «forteresse socialiste» ou du «camp socialiste» (en réalité aux intérêts de la bureaucratie soviétique tout à fait distincts de ceux du prolétariat soviétique et de l'État soviétique en tant que tel). Mais une telle subordination implique une conception que Trotsky a appelée la «fonction messianique» attribuée à un pays particulier, ou du moins au mouvement ouvrier ou au prolétariat de ce pays. Cependant rien ne limite pareil «national-communisme » messianique à un seul pays (l'Union soviétique) et à ce pays seulement. Au contraire, une fois que la « théorie du socialisme dans un seul pays » a été pleinement assimilée par tous les dirigeants et cadres des PC éduqués sous le stalinisme, elle peut être reproduite à volonté dans n'importe quel pays où le capitalisme a été renversé.

Ainsi le PC chinois, après l'ouverture du conflit sino soviétique, considérait qu'il était devenu « le bastion de la révolution mondiale » à l'inverse de l'Union soviétique, où le capitalisme aurait été restauré. Ainsi, toute association contre-révolutionnaire écoeurante avec des forces réactionnaires bourgeoises à travers le monde contre l'Union soviétique (avec le Shah d'Iran, avec les dictatures militaires du Pakistan, avec l'impérialisme US, avec Franz Josef Strauss, avec Sadate, avec le boucher militaire chilien Pinochet, avec la dictature militaire thaïe) est justifiée au nom de la «défense de la forteresse socialiste» identifiée avec l'État chinois. L'issue tragique finale des fausses doctrines du « national-communisme », ce sont les guerres ouvertes entre « pays socialistes», dont les bureaucraties privilégiées gouvernantes sont seules responsables et non le socialisme, ou le communisme, ou la classe ouvrière.

b) Nécessité d'une Internationale fondée sur le centralisme démocratique

Les fruits amers du « national-communisme » ont aussi accentué le nationalisme et les soupçons nationaux entre les nations, même après le renversement du capitalisme. Ils ont ainsi créé, pour toute une période, une méfiance vis-à-vis de toute forme d'organisation internationale, dans des secteurs importants du prolétariat et des mouvements de masse à travers le monde. Cette méfiance est le produit de l'expérience désastreuse avec le stalinisme dans toutes ses variantes et dans tous ses rejetons idéologiques, y compris le maoïsme, qui identifient l'«internationalisme prolétarien » avec la subordination des intérêts des travailleurs et des révolutionnaires des différents pays aux manoeuvres de l'appareil d'État bureaucratisé d'un seul pays. Dans une réaction outrée contre le centralisme bureaucratique stalinien international, le dirigeant stalinien du PC français, Maurice Thorez, a bien inventé la formule: «l'internationalisme prolétarien aujourd'hui, c'est la solidarité avec l'Union soviétique », beaucoup de révolutionnaires eux-mêmes finissent par jeter le bébé avec l'eau du bain et refusent toute forme d'organisation internationale impliquant un réel engagement basé sur le centralisme démocratique international.

Cette réaction, bien que compréhensible, constitue un énorme pas en arrière non seulement par rapport aux besoins objectifs, mais aussi par rapport à ce que la théorie et la pratique révolutionnaires avaient établi au cours même des premières décennies de notre siècle. Malgré sa force d'attraction superficielle et souvent démagogique cette réaction doit être vigoureusement combattue. Pas plus que les révolutionnaire ne peuvent rejeter la dictature du prolétariat, ou l'idée même de la lutte de classe, simplement parce qu'elles ont été monstrueusement déformées et souillées par le stalinisme, ils ne peuvent rejeter l'internationalisme prolétarien ou la nécessité d'une Internationale révolutionnaire en raison de l'abus cynique qu'ont fait de ces concepts le ban et l'arrière-ban des bureaucraties. Confronté aux formes de plus en plus internationalisées de la révolution et de la contre-révolution, aux actions et à la stratégie contre-révolutionnaire impérialistes de plus en plus centralisées, toute séparation des forces anti-impérialistes et prolétariennes en des secteurs purement «nationaux» ou «régionaux» opérant indépendamment les uns des autres, sans organisation internationale commune, ne peut qu'affaiblir gravement les forces de la révolution au bénéfice exclusif de l'ennemi de classe. La centralisation du rôle contre-révolutionnaire de l'impérialisme exige une coordination internationale des activités révolutionnaires. Rejeter l'organisation internationale n'a de sens, d'un point de vue théorique et pratique, que si l'on pense que « le socialisme dans un seul pays » est réellement possible, comme le pensent, en fait, non seulement les staliniens et les eurocommunistes, mais aussi les réformistes de gauche et différentes formations centristes.

6.La construction de la IVe Internationale, la seule organisation ouvrière internationale qui fonctionne en tant que telle

Voilà la raison pour laquelle les partisans de la IIIe Internationale, puis Trotsky et ses camarades, dès le premier jour où ils ont été convaincus de la nécessité d'une nouvelle Internationale, ont appliqué avec obstination l'idée que cette Internationale devait immédiatement fonctionner comme une véritable organisation, basée dès le début sur une discipline commune librement acceptée, indépendamment de sa force ou de sa faiblesse relatives.

Nous savons parfaitement que la IVe Internationale est encore très faible, bien qu'elle soit beaucoup plus forte que lorsqu'elle fut créée en 1938 ou au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, lors de son IIe Congrès mondial en 1948;, Nous ne sommes que le premier noyau de la future Internationale communiste de masse, qui sera l'état-major général réel de la révolution mondiale, coordonnant de fait toutes les luttes révolutionnaires importantes de par le monde. De même, nos sections nationales ne sont pas encore des partis révolutionnaires de masse, dirigeant en fait les luttes quotidiennes de couches importantes des travailleurs de leurs pays respectifs.

Ces noyaux devront passer par beaucoup de fusions avec des forces révolutionnaires nouvellement émergentes, beaucoup de regroupements avec des tendances oppositionnelles rompant avec les partis sociaux-démocrates ou les PC de masse dans des périodes pré-révolutionnaires et révolutionnaires, avant qu'ils n'atteignent le statut de partis de masse révolutionnaires pleinement développés, capables de diriger le prolétariat et les paysans pauvres vers la victoire de la révolution socialiste.

Mais ces noyaux apportent à la construction des futurs partis révolutionnaires de masse et de la future Internationale révolutionnaire de masse un programme qui résume les leçons de 150 années de luttes de classe prolétariennes à travers le monde, ainsi qu'un ensemble crucial de cadres éduqués par ce programme et expérimentés dans son application aux problèmes tactiques concrets les plus variés de la lutte de classe, dans toutes les parties du monde. Ils apportent à ces futurs partis et à cette future Internationale révolutionnaire de masse une capacité d'éducation hors pair dans une véritable pratique internationaliste, appliquée tous les jours, tous les mois, toutes les années.

L'expérience a confirmé encore et toujours qu'il est absolument impossible d'atteindre même un niveau élémentaire de coordination et d'action internationales sur une base purement spontanée. Ce serait une utopie totale de croire que le degré d'internationalisme en théorie et dans l'action que réclame l'étape présente de la lutte de classe et des luttes révolutionnaires à l'échelle mondiale pourrait être atteint d'une quelconque manière sans une préparation consciente et délibérée dans ce sens de milliers et dizaines de milliers de cadres et de militants, des années et des années avant que n'émerge l'Internationale révolutionnaire de masse de demain.

Que la IVe Internationale, malgré sa faiblesse, soit la seule tendance du mouvement ouvrier international qui fonctionne de fait comme une organisation internationale dans une soixantaine de pays du monde, n'est donc pas du tout fortuit. C'est le produit d'une éducation systématique dans l'internationalisme pratique et intégral, opposé au concept stalinien du « national-communisme », depuis le début même du mouvement trotskyste, dans la tradition de l'Internationale Communiste et de tous les internationalistes de l'époque de la Première Guerre mondiale comme Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

La IVe Internationale n'est ni un fétiche ni une pure enseigne. Elle permet de multiplier la force de ses sections dans la lutte quotidienne. Elle est déjà un pôle d attraction pour des éléments révolutionnaires de par le monde. En fait, l'existence de la IVe Internationale aujourd'hui dans un nombre double de pays de celui où elle existait déjà lorsque Trotsky fut assassiné, ou au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, s'explique à la fois par le fait qu'à travers leur propre expérience de lutte, des révolutionnaires d'un nombre croissant de pays sont arrivés à des conclusions programmatiques identiques à celles du programme de la IVe Internationale et par le fait qu'ils saisissent également par leur propre expérience la nécessité de commencer à créer tout de suite une organisation internationale en plus de leur organisation nationale.

7.Les rapports entre l'Internationale et les sections nationales

Il est en outre utile de réfuter un autre mythe. On prétend quelque-fois que l'existence d'une organisation internationale entrave l'élaboration d'une tactique correcte de la part de partis nationaux. C'est ce que défendent notamment les centristes, les eurocommunistes et même des staliniens du type traditionnel par rapport au passé de l'Internationale Communiste. Mais il est simplement faux que l'existence de l'Internationale Communiste ait entravé l'élaboration de tactiques correctes de la part de sections nationales.

Au contraire, ce fut l'expérience de l'Internationale Communiste qui a aidé de manière décisive à corriger la ligne ultra-gauchiste désastreuse du Parti communiste allemand, illustrée à la fois par le Spartakusbund et par toute la dynamique du PC unifié dans sa première période (action de mars 1921). Ce fut l'Internationale Communiste qui a contribué à éliminer toute la confusion faite d'un mélange d'opportunisme, d'individualisme et de ligne droitière qui régnait au sein du PCF au lendemain de sa naissance. Ce fut encore l'Internationale Communiste qui a contribué à l'élaboration d'une tactique du PC britannique qualitativement supérieure à tout ce qui existait préalablement dans ce pays, sur des questions aussi vitales que l'attitude envers les élections, l'attitude envers le Parti travailliste, la question du Front unique ouvrier, la ligne à adopter au sein des syndicats, etc. Dans son livre "The First Ten Years of American Communism" (Les Dix premières années du communisme aux États-Unis), James P. Cannon dresse un bilan remarquable des nombreuses occasions au cours desquelles l'Internationale Communiste a aidé à corriger la tactique du jeune PC des États-Unis, et lui a permis de surmonter les difficultés d'une façon qui n'aurait jamais pu être atteinte en s'appuyant sur des expériences politiques purement nationales. Toute l'expérience des débats au cours des IIIe et IVe Congrès de l'Internationale Communiste sur la question du Front unique ouvrier a constitué une aide décisive pour les sections nationales en matière d'élaboration et d'application de leur tactique nationale.

Une organisation internationale, fonctionnant de manière démocratique et non bureaucratique, n'empêche pas mais encourage au contraire la création de directions nationales adéquates et l'élaboration d'une tactique nationale correcte. Les erreurs commises par la IIIe Internationale à l'époque de Zinoviev et de Boukharine, après son IVe Congrès, et plus tard les crimes commis à l'époque de Staline, n'étaient pas le produit de l'existence d'une organisation internationale forte mais bien celui de la bureaucratisation de l'État soviétique, du PCUS et de l'Internationale Communiste elle-même, ainsi que de l'adoption de méthodes organisationnelles découlant de cette bureaucratisation : renversement arbitraire de directions nationales; pas de congrès des sections nationales avant les Congrès de l'I.C.; tactiques nationales imposées de manière bureaucratique aux sections nationales par le centre international, sans l'appui de la majorité des cadres et des membres de ces sections; création d'une couche de fonctionnaires internationaux et nationaux serviles, à travers des subsides financiers internationaux massifs, sinon par la corruption pure et simple, etc.

La IVe Internationale a tiré toutes les conclusions de ces erreurs et les a intégrées dans ses statuts et dans sa pratique quotidienne. Chaque organisation révolutionnaire nationale doit apprendre par sa propre expérience comment développer des cadres et une direction capables d'incorporer dans l'élaboration d'une tactique correcte les spécificité nationales de son propre pays, de sa propre classe ouvrière et de son propre mouvement ouvrier, à côté des leçons générales tirées de la lutte de classe internationale. L'Internationale en tant que telle, ainsi que d'autres sections, peuvent donner des conseils et insister pour leur mise en oeuvre. Elles n'ont pas le droit de décider quoi que ce soit en la matière. Pour des raisons se dégageant de l'expérience historique, et non en tant que concession à une quelconque conception «fédéraliste» de l'organisation internationale, les statuts de la IVe Internationale interdisent explicitement aux organes internationaux de changer la composition des directions nationales ou de déterminer la tactique des sections nationales.

Mais la IVe Internationale comprend en même temps que, comme la bourgeoisie refuse de limiter son action au niveau national, de même le prolétariat ne peut agir autrement. L'extension de la lutte de classe à l'échelle internationale réclame une organisation et, là où il faut, une discipline internationales. Pour prendre un exemple courant: la manière précise d'appliquer notre solidarité avec les révolutions nicaraguayenne et salvadorienne est une question de tactique nationale. Mais la nécessité d'une campagne de solidarité internationale avec les révolutions nicaraguayenne et salvadorienne découle des besoins internationaux de la lutte de classe. Sur ces questions clés de stratégie et de politique internationales, l'Internationale a le droit de prendre des décisions. Les sections doivent accepter cette discipline après débat démocratique et vote majoritaire. Des décisions internationales de ce genre lient toutes les organisations qui cherchent réellement à répondre aux besoins de la lutte de classe internationale et qui désirent réellement construire un parti mondial.

La seule solution de rechange par rapport à une telle organisation internationale avec discipline internationale commune sur les questions internationales (qui implique évidemment le droit pour les minorités de chercher à modifier les décisions internationales par un nouveau vote, après une période d'application de l'ancienne décision dont l'expérience permettrait de convaincre la majorité qu'elle s'était trompée), c'est précisément le «national-communisme». Son essence finale a été correctement et dramatiquement résumée par Rosa Luxembourg, après l'effondrement de la IIe Internationale, au moment de l'éclatement de la Première Guerre mondiale, dans la formule amère: « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous en temps de paix, et tuez-vous mutuellement en temps de guerre! ».

Afin de clarifier les rapports entre l'Internationale et les sections nationales, il faut encore répondre à une autre objection. Certains affirment qu'une « révolution internationale » en tant que telle n'existe pas. Ils s'appuient à ce propos sur une citation de Lénine tirée hors du contexte qui dit: «Il n'y a qu'une seule forme d'internationalisme réel. C'est celle de travailler de tout coeur pour le développement de la lutte révolutionnaire dans son propre pays, et d'appuyer cette lutte, elle et elle seulement dans chaque pays, sans exception.(6)». Cela veut-il dire que Lénine était l'avocat de révolutions nationales, opposées à la révolution mondiale, parce qu'il est manifestement impossible d'avoir une révolution «mondiale» instantanée, dans tous les pays simultanément? Pas du tout. Lénine exprime ici simplement, fut-ce de manière paradoxale, une compréhension plus profonde des rapports entre la révolution à l'échelle nationale et la révolution mondiale.

Si l'on comprend la révolution mondiale comme une révolution simultanée dans tous les pays à la fois, comme le renversement, au même moment, des classes dominantes de tous les pays, il s'agit évidemment d'une pure utopie qui débouche en pratique sur la passivité, l'attente du « Grand soir». La IVe Internationale, qui s'appelle Parti mondial de la Révolution socialiste, défend à ce propos un point de vue tout à fait opposé. Elle ne conçoit pas la révolution prolétarienne mondiale comme un acte simultané, mais comme un processus ouvert par la victoire de la révolution russe d'Octobre 1917.

Les rapports entre la révolution à l'échelle nationale et la révolution internationale sont dialectiques. Ils reflètent les contradictions entre les limites nationales de l'État bourgeois et le développement énorme des forces productives, ayant dépassé depuis longtemps ces limites. Cette croissance des forces productives a internationalisé la lutte de classe. Pour cette raison, il y a une interdépendance organique, non seulement de toutes les économies « nationales », mais aussi de toutes les luttes de classe révolutionnaires. L'impérialisme est une chaîne, et comme toutes les chaînes, il se casse d'abord par les chaînons les plus faibles.

Ce serait évidemment préférable que tous les chaînons se cassent au même moment. Mais hélas, cela est du domaine du rêve, et ne correspond pas au développement réel, déterminé par certaines lois objectives. Mais d'autre part, il n'y a pas de révolution qui se développe sur un terrain «purement » national. La révolution se déclenche au niveau national, mais elle s'étend et a une influence immédiate à l'échelle internationale. Voilà ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de révolution internationale ou mondiale, un processus permanent dont la rupture du chaînon national n'est pas simplement un but en soi, n'est pas un acte final, mais un acte initial.

En outre, de même qu'il n'y a pas de révolution strictement nationale, ni une économie purement nationale, il n'y a pas de bourgeoisie qui limite son action au domaine purement national. Nous vivons à l'époque de l'impérialisme. La bourgeoisie s'organise internationalement pour chercher à défendre ses intérêts. Afin d'assurer une victoire révolutionnaire à l'échelle nationale, il est insuffisant de se confiner dans ce cadre national. Au Vietnam, les révolutionnaires n'avaient pas seulement à renverser la classe dominante nationale. Ils devaient aussi se battre contre l'impérialisme français et américain, et avant cela, contre l'impérialisme japonais. Cela confirme jusqu'à quel point il est utopique de vouloir se retrancher dans une politique purement «nationale», afin de commencer même du premier acte d'une révolution.

Il est donc nécessaire d'éviter toute interprétation mécanique des rapports entre la révolution à l'échelle nationale et la révolution internationale. Lénine polémique à juste titre contre des «professions de foi purement déclamatoires en faveur de l'internationalisme », qui à son époque furent similaires de l'«internationalisme» abstrait et en paroles que les eurocommuniste, les sociaux-démocrates de gauche et les staliniens pratiquent à notre époque. Mais, déduire de ce genre de citation - qu'il suffirait de préparer la première étape de la révolution au niveau national, c'est-à-dire de concentrer ses efforts exclusivement à ce niveau, ce serait ne pas comprendre du tout que la spécificité nationale de chaque révolution est seulement relative et partielle, et pas du tout absolue. Comme l'a clairement dit Rosa Luxembourg: «La lutte de classe contre la classe dominante dans les limites des États bourgeois et la solidarité internationale des travailleurs de tous les pays, voilà les deux règles de vie inhérentes à la classe ouvrière en lutte, et d'importance historique mondiale pour son émancipation.»

En fait, si nous voulions évaluer le fonctionnement de la IVe Internationale aujourd'hui, nous ne dirions pas qu'elle est trop préoccupée par des problèmes ou des expériences de caractère international, ou qu'elle est excessivement centralisée. Nous dirions au contraire qu'elle est encore marquée par une expérience commune insuffisante. Les différentes sections nationales n'ont pas encore suffisamment assimilé l'expérience des autres sections et de l'Internationale dans son ensemble (7). Une des tâches les plus importantes que l'Internationale doit aujourd 'hui affronter, et dont la solution aidera à l'élaboration de tactiques nationales correctes, c'est précisément celle d'assurer de la manière la plus large possible l'assimilation par toutes les sections de l'expérience commune de toute l'Internationale. La discussion internationale, des voyages à l'étranger de camarades de diverses sections, l'engagement d'un nombre majeur de cadres de différents pays dans le travail et dans les discussions de l'Internationale, le renforcement des publications internationales, et avant tout, la réalisation de tâches internationales communes en rapport avec les luttes et les objectifs révolutionnaires vitaux à l'échelle mondiale: voilà ce dont ont besoin à la fois l'Internationale et ses sections nationales.

8. Des campagnes et des actions internationales

Jusqu'ici, nous avons traité de la nécessité d'une Internationale du point de vue de l'homogénéité programmatique et de la nécessité d'une vision internationaliste globale de la part des directions nationales, à travers l'échange d'expériences et de conclusions tirées en commun des luttes internationales - nécessité qui plonge ses racines dans le caractère objectivement mondial de la lutte de classe.

La centralisation internationale de l'expérience aide à renforcer l'élaboration programmatique. Mais le programme ne peut être un simple commentaire académique de 1a réalité mondiale. Il est la base d'un effort constant pour changer cette réalité. Dans ce sens, il ne peut être mis à l'épreuve que par une pratique à l'échelle mondiale. Ce serait une caricature de l'internationalisme que de le réduire à une simple analyse de la situation mondiale, abandonnant la pratique aux seules sections nationales. Il y a en fait un autre aspect de l'internationalisme: c'est la dialectique entre la construction de l'Internationale révolutionnaire et la création de partis révolutionnaires à l'échelle nationale. De nouveau, il ne s'agit pas d'opposer la construction d'une Internationale à la construction de partis révolutionnaires à l'échelle nationale, mais de comprendre qu'au contraire l'une aide l'autre. Cela peut être démontré non seulement au niveau de la théorie, mais par des expériences révolutionnaires concrètes.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il était objectivement inévitable qu'il y ait une énorme fermentation et l'apparition de courants révolutionnaires de divers types, dans presque tous les pays. Mais il n'était pas du tout inévitable que tous ces courants fusionnent et mûrissent au point de créer des partis révolutionnaires sérieux. Cela ne pouvait pas se produire «spontanément». Il fallait un effort conscient pour créer une véritable Internationale révolutionnaire. Ce ne furent ni 1es «conditions allemandes», ni les «conditions françaises», ni les «conditions britanniques», ni les «conditions italiennes», ni les «conditions américaines» ou les «conditions chinoises» prises séparément qui permirent la construction de partis communistes plus larges et plus avancés, et dans quelques cas-clés, de partis révolutionnaires de masse. Il fallait l'intervention consciente, si vous voulez le «volontarisme», de l'Internationale Communiste, pour les créer (en fait, il ne s'agissait évidemment pas de «volontarisme» au sens péjoratif du terme, mais simplement de comprendre consciemment les besoins du processus objectif).

Cela impliquait une Internationale qui ne fonctionne pas simplement comme un centre de discussion et de propagande programmatique, mais aussi comme une véritable organisation. L'internationale envoya des cadres, des publications, des conseils et de l'argent dans de multiples pays pour contribuer à créer de tels partis. Nous avons vu que l'emploi de ces méthodes, malgré des erreurs commises de temps en temps, n'entravèrent pas mais aidèrent à la construction de partis révolutionnaires nationaux à l'époque des quatre premiers congrès de l'Internationale Communiste (IC). Répétons-le : ce ne fut pas une organisation internationale, mais la bureaucratie stalinienne, qui détruisit à la fois le PC et l'IC. Même après la prise du pouvoir par un ou plusieurs partis révolutionnaires, l'existence d'une puissante organisation internationale, indépendante de ces partis parce que s'appuyant sur l'ensemble des forces révolutionnaires de par le monde, constituera un puissant frein contre les dangers de déformation bureaucratique et d'orientation insuffisamment internationaliste de la part de ce ou de ces partis.

Une Internationale, c'est-à-dire l'internationalisme incarné, ne peut être simplement une idée juste. Elle doit être concrète, prendre la forme d'une organisation qui agit intemationalement. Une Internationale forte représenterait une force majeure pour la construction de partis révolutionnaires nationaux. Nous pouvons le démontrer à la fois sur la base de considérations générales et d'exemples pratiques d'hier et d'aujourd'hui.

Prenons des questions internationales brûlantes, comme la guerre du Vietnam hier, ou à présent la course à la remilitarisation accélérée de la part de l'impérialisme. On ne peut évidemment pas les considérer comme des questions purement « nationales ». Elles exigent des campagnes et des actions internationales, pour que le prolétariat puisse s'y opposer efficacement. Cela exige une organisation internationale.

Ou prenons des questions brûlantes de la lutte de classe immédiate et la nécessité d'influencer et de gagner des courants pour la construction d'une Internationale révolutionnaire. Ce serait faux de croire par exemple que les révolutions nicaraguayenne ou salvadorienne soient une question «réservée » aux camarades nord et latino-américains, ou que la montée ouvrière en Pologne soit une question « réservée » aux camarades européens. Ni du point de vue des besoins de la solidarité internationale, ni du point de vue d'influencer et de gagner des courants pour qu'ils s'organisent dans ces pays, ni du point de vue de capitaliser les répercussions internationales que ces événements provoquent au sein du mouvement ouvrier mondial, pareille « division du travail » ne se justifie pas. Le succès que nous obtenons dans l'accomplissement de toutes ces tâches dépend de manière cruciale du poids de la IVe Internationale dans son ensemble, et du poids qu'en tant qu'organisation internationale elle peut déjà faire peser sur la réalisation de ces objectifs.

La même constatation peut être faite en ce qui concerne des tâches-clés pour la construction de la IVe Internationale, telle que l'effort pour élargir son implantation dans la classe ouvrière industrielle. Les initiatives dans ce sens peuvent partir de pays déterminés. Les formes, tactiques et directions précises doivent être décidées à l'échelle nationale (comme les statuts de l'Internationale le précisent). Mais le tournant et l'effort général doivent être impulsés par l'Internationale tout entière en tant qu'organisation. C'est le seul moyen de garantir que le processus avancera réellement et que soient évitées des erreurs coûteuses par des sections nationales , comme celle de confondre des traits locaux particuliers avec la tendance fondamentale, ou de transposer de manière mécanique des formes particulières adoptées dans d'autres sections à des pays où les conditions sont différentes, etc.

Toute une série d'exemples pourraient être ajoutés à cette liste: le travail anti-nucléaire, la campagne internationale pour le droit à l'avortement, le travail de solidarité avec la révolution iranienne, etc. Ces activités organisées par l'Internationale de manière correcte n'ont pas entravé mais favorisé la construction des sections nationales.

L'Internationale doit déterminer les développements clés, les « chaînons faibles » dans la chaîne de la réaction internationale, et du point de vue des besoins objectifs de la lutte de classe, et du point de vue de la construction du parti (elle peut le faire plus facilement que des sections nationales prises séparément les unes des autres).

En dernière analyse, il ne s'agit que d'un reflet du processus de révolution permanente qui se développe de manière inégale, avec des explosions violentes aux points les plus faibles, avec des ramifications et des tâches de solidarité internationales, et des avances dans la construction du parti en résultent. Cela pose de nouveau la question cruciale de l'organisation internationale, s'ex- primant par des campagnes et des initiatives internationales réelles. Même dans l'état actuel de ses forces, quand elle est encore loin de compter de réels partis révolutionnaires de masse dans ses rangs, la IVe Internationale ne peut en aucune façon être conçue comme une organisation internationale se limitant à des tâches d'élaboration politique et programmatique, de propagande et d'éducation internationales.

En comprenant correctement son rôle et ses possibilités, et avec un fonctionnement correct, la IVe Internationale est déjà capable d'organiser des actions internationales - des actions que des partis de masse existants pourraient évidemment organiser avec beaucoup plus d'efficacité, mais qu'ils refusent de prendre en charge, justement parce qu'ils ont depuis longtemps cessé d'être révolutionnaires. Quelques exemples de l'histoire de la IVe Internationale en fournissent la preuve :

-A la fin des années 1950, la petite section française de la IVe Internationale a sauvé l'honneur du mouvement ouvrier tout entier en étant la seule organisation en son sein qui ait exprimé une solidarité et un soutien actifs à la révolution algérienne (divers groupes d'individus en dehors du mouvement ouvrier organisé ont agi de la même manière). La IVe Internationale qui, à cette époque, était bien plus faible qu'à présent, a réussi en fait à construire la première usine fabriquant des armes modernes légères pour la révolution algérienne, au moment où celle-ci était pratiquement dénuée de toute aide internationale matérielle dans ce domaine.

-Les forces de la IVe Internationale à travers le monde, au milieu et à la fin des années 1960, étaient activement engagées - dans pas mal de pays à un niveau de direction - dans l'organisation et la coordination d'actions de masse en solidarité avec la révolution vietnamienne. A ce propos, il faut particulièrement mettre en évidence le rôle joué par le Socialist Workers Party aux États- Unis, que la Loi Voorhis réactionnaire empêche d'être membre de la IVe Internationale, mais qui est en solidarité politique avec elle. En jouant un rôle important dans l'organisation d'un puissant mouvement de masse anti-guerre dans son pays, il a largement contribué à la victoire de la révolution vietnamienne, en obligeant l'impérialisme américain à retirer ses troupes du Vietnam.

-En 1971, la IVe Internationale a été la seule organisation à lancer un mouvement de protestation mondiale (y compris, à travers sa section ceylanaise, au Sri Lanka même) contre le massacre de la jeunesse révolutionnaire de cette île par le gouvernement de Mme Bandaranaïke, appuyé par Washington, Moscou, Londres, Pékin, la Nouvelle-Delhi, Islamabad, c'est-à-dire pratiquement tous les États et pouvoirs établis dans le monde. La vie de Rohane Wijeweera, jeune étudiant, fut pratiquement sauvée comme résultat de cette campagne.

- Lorsque le dirigeant paysan du Pérou, notre camarade Hugo Blanco, fut condamné à mort par les autorités de son pays, la IVe Internationale a organisé une campagne mondiale de défense qui lui a sauvé la vie. Lorsque, plus tard, il fut exilé de son pays par la dictature militaire, une campagne similaire fut organisée, de nouveau couronnée de succès.

-Lorsque la dictature franquiste décadente condamna à mort six militants nationalistes basques lors de l'ignoble procès de Burgos, en décembre 1970, la IVe Internationale organisa de puissantes actions et manifestations de masse à travers toute l'Europe pour leur sauver la vie. Comme résultat de ces actions - et celles menées par d'autres forces - les condamnés à mort basques ne furent pas exécutés.

-Lorsqu'après le renversement de l'infâme dictature du Shah d'Iran, les forces khomeinistes commencèrent, en été 1979, à réprimer la gauche révolutionnaire et les minorités nationales, la jeune organisation trotskyste en Iran fut violemment attaquée parce qu'elle eut le courage de se prononcer publiquement pour la solidarité avec la nation kurde opprimée. Quatorze camarades furent arrêtés et condamnés à mort. La IVe Internationale réussit à organiser la plus vaste campagne de solidarité de toute son histoire en faveur de ces camarades, campagne qui reçut l'appui de beaucoup de courants et d'organisations de masse du mouvement ouvrier en Europe et du mouvement syndical dans d'autres pays du monde. Nos camarades iraniens ne furent pas exécutés. Ils furent tous libérés ultérieurement.

-A partir de 1979, la IVe Internationale a participé activement (et dans nombre de cas, elle a pris l'initiative) au lancement partout dans le monde des campagnes de solidarité avec les révolutions nicaraguayenne et salvadorienne. Ces campagnes ont pris de l'ampleur, et apporté des gains matériels pour ces révolutions, dans des pays aussi divers que le Canada, la France, l'Espagne, le Mexique, la Colombie, les États-Unis, la Suisse, la Belgique, la Suède et ailleurs. A partir de la montée ouvrière de l'été 1980 en Pologne, les organisations de masse ouvrières social-démocrates et «eurocommunistes» - pour ne pas parler de celles dirigées par les staliniens - ont d'abord refusé d'organiser l'aide pratique en faveur des syndicats polonais indépendants Solidamosc ou ont été fort réticentes pour s'engager dans cette voie, malgré toutes les professions de foi verbales en faveur de ces syndicats. Dans nombre de pays, la IVe Internationale a été capable, surtout à travers ses militants et cadres ouvriers et syndicaux, de prendre les premières initiatives pour que des délégations syndicales partent en Pologne, pour qu'une première aide matérielle d'origine ouvrière s'amorce, pour que des rapports suivis soient noués avec le mouvement ouvrier indépendant renaissant en Pologne, pour qu'une campagne s'organise contre la menace d'intervention militaire du Kremlin.

9. D'une organisation de cadres à des partis et à une Internationale de masse

La dernière ligne de repli de ceux qui sont opposés à la construction simultanée d'une Internationale révolutionnaire et de partis révolutionnaire à l'échelle nationale est souvent l'argumentation suivante: «Bien sûr qu'il faut construire une Internationale révolutionnaire. Il ne suffit pas d'avoir des partis nationaux. Mais l'Internationale ne peut pas être construire aujourd'hui. Ce serait prématuré d'agir de la sorte. Ce serait nous couper de la possibilité de collaborer avec d'autres révolutionnaires. Il faut attendre de grands événements, et l'émergence de partis révolutionnaires de masse à l'échelle nationale, avant de pouvoir créer une nouvelle Internationale révolutionnaire. C'est d'ailleurs ainsi que la IIIe Internationale a surgi (8)».

Cet argument n'est même pas correct en ce qui concerne les faits historiques. La direction du Parti bolchevique s'est orientée vers la construction de la IIIe Internationale avant l'éclatement ou la victoire de la révolution russe, dès l'effondrement de la IIe Internationale. Mais plus grave encore que cette erreur d'analogie historique est le fait que pareille argumentation est fondée sur l'incompréhension de toute la dynamique réelle à travers laquelle de véritables partis révolutionnaires et une véritable Internationale révolutionnaire de masse peuvent surgir dans les faits.

Tout d'abord, il faut remarquer que cet argument de «dernière instance» contre la construction d'une Internationale révolutionnaire avant qu'elle ne soit une organisation de masse, est en réalité aussi un argument contre la construction d'organisations révolutionnaires nationales, avant qu'elles ne soient des partis de masse. Aujourd'hui, dans l'immense majorité des pays, il n'est pas probable que des partis de masse révolutionnaires surgissent immédiatement ou dans un avenir très rapproché. Le fait que les adversaires de la construction simultanée d'une Internationale et de partis révolutionnaires nationaux n'appliquent néanmoins pas leur argumentation contre la construction immédiate d'une organisation révolutionnaire dans leur propre pays démontre à quel point le fétichisme et le poids des frontières nationales - la tentation du «national-communisme» - pèse encore sur eux, même quand on ne peut guère douter de leur engagement sincère pour la construction du parti révolutionnaire.

En réalité, la logique organisationnelle joue de toute évidence dans le sens opposé. Dès qu'on est d'accord sur une ligne politique fondamentale, elle sera d'autant mieux appliquée et elle aura d'autant plus de chances de gagner de nouveaux adhérents qu'on sera mieux organisé, et agira de manière cohérente. C'est ce principe de base qui plaide en faveur de l'organisation séparée des révolutionnaires - tant sur le plan national que sur le plan international. Les liens entre les différentes sections nationales, leurs expériences communes, le simple fait de pouvoir s'appuyer sur beaucoup plus de leçons tirées de la lutte de classe vivante, et sur beaucoup plus de cerveaux capables de tirer ces leçons grâce à l'emploi d'une méthode commune, peut et doit contribuer énormément à l'élaboration et à l'application efficace de cette ligne politique correcte. Toute autre conception substitue à une compréhension matérialiste de la manière dont s'élabore et s'applique une ligne politique, une vue idéaliste naïve, partant de « programmes corrects achevés une fois pour toutes », hors du temps et de l'espace, de « leaders géniaux », de « dirigeants inspirés », de « nouveaux Lénine » et d'autres fariboles du même acabit.

On pourrait même affirmer paradoxalement que, justement quand des partis révolutionnaires nationaux de masse n'existent pas encore, il est d'autant plus important de construire simultanément des organisations nationales et une Internationale révolutionnaires. Car les pressions qui s'exercent sur de petites organisations dans le sens de tomber victimes d'appréciations impressionnistes, à courte vue, unilatérales, subjectivistes, etc., sont colossales. Elles ne peuvent être neutralisée jusqu'à un certain point que par l'intégration de ces organisations dans une organisation internationale. Cela n'implique évidemment pas qu'une Internationale ne soit plus nécessaire au même point lorsque des partis révolutionnaires de masse existent déjà à l'échelle nationale. Car ceux-ci seront soumis à d'autres formes de pression, non moins dangereuses. Mais cela démontre clairement jusqu'à quel point tout argument qu'il faut « attendre » avant de construire l'Internationale est faux.

C'est pour cette raison que Trotsky était tellement résolu de créer la IVe Internationale avant que n'éclate la Deuxième Guerre mondiale - tout en sachant qu'à la fin de celle-ci, les chances de construire des organisations révolutionnaires seraient bien plus importantes qu'en 1938. Il tenait compte du fait que l'ampleur des événements et des pressions à l'échelle nationale pendant la guerre serait incalculable. Le résultat fut celui que Trotsky avait prévu. Les sections de la IVe Internationale ont survécu à la guerre et ont émergé renforcées de cette épreuve sévère, même si leur croissance a été bien plus lente que ce que Trotsky croyait. Les organisations révolutionnaires «nationales» comme le PSOP français, le SAP allemand, le POUM espagnol, le SWP shachtmaniste aux États-Unis, le RSAP néerlandais et beaucoup d'autres encore furent écartelées, dispersées et disparurent pratiquement au milieu ou au lendemain de la tourmente par suite de confusions, de subjectivismes, de capitulations nationales. C'était la préparation à ces grands événements, incluant la tâche de construire consciemment une organisation internationale, qui a permis aux organisations nationales de la IVe Internationale, pourtant petites et fort isolées au début de la guerre, de traverser cette immense épreuve et d'en émerger renforcées.

Une expérience similaire s'est produite en Europe et aux États-Unis après mai 1968 en France et ses répercussions internationales. Ce ne sont pas seulement les forces de la IVe Internationale qui sont sorties renforcées de ces événements et des processus sociaux qui les sous-tendaient. Toute une série d'organisations cherchant une voie révolutionnaire se sont développées en Europe et aux États-Unis, et ont souvent connu une croissance plus rapide que les organisations marxistes-révolutionnaires.

Mais la lutte en Europe (sans parler de celle aux États-Unis) est une lutte sérieuse et de très longue haleine. Les classes dominantes dans les pays impérialistes ne seront pas renversées sur la base d'une ou de deux grandes explosions, mais seulement sur la base de luttes sévères et prolongées, qui exigeront beaucoup de tournants et de tactique politiques différenciés. Les organisations qui ont crû rapidement après 68 mais qui ont rejeté un programme révolutionnaire tout à fait cohérent et une Internationale révolutionnaire, ont pour la plupart été plongées dans une crise totale. Dans la grande majorité des cas, elles ont été complètement écartelées ou se sont même formellement dissoutes (KPD en Allemagne, PT en Espagne, Lotta Continua en Italie, le MAS au Portugal, les SDS et le PL aux États-Unis, etc.), dès qu'elles se sont heurtées aux premiers obstacles sérieux, avant tout la contre-offensive bourgeoise dans la deuxième moitié des années 1970. Les organisations de la IVe Internationale et le trotskysme, au contraire, tout en ne pouvant naturellement pas échapper tout à fait aux effets de l'évolution de la situation objective et en subissant par conséquent quelques reculs, comparés aux gains rapides réalisés auparavant, ont pu, pour l'essentiel, conserver leurs forces. Elles ont pu se préparer adéquatement à la nouvelle montée des luttes, y compris en se consolidant du point de vue organisationnel, en augmentant leur implantation dans la classe ouvrière malgré certaines pertes.

Il ne faut certes pas affirmer que la différence flagrante du résultat - crise de désintégration sinon disparition totale dans un cas, maintien des forces dans l'autre - soit exclusivement due à l'affiliation internationale, elle est également due à la différence programmatique et politique, bien que ce ne soit pas par hasard que ceux qui ont pu développer la position politique la plus correcte pour faire face à la nouvelle situation furent également ceux qui avaient compris la nécessité de construire une Internationale révolutionnaire. Néanmoins, le fait «organisationnel» de construire l'Internationale simultanément avec la construction d'organisations nationales, ainsi que toutes les conclusions politiques qui en découlèrent était un facteur important pour assurer une stabilité politique plus cohérente et fondamentale à nos organisations, pour leur permettre de s'orienter sur la base des traits principaux du processus et de ne pas se perdre dans les aspects purement conjoncturels. ce qui fut une des causes essentielles pour lesquelles les trotskystes ont généralement émergé de cette période de réalignement mieux que les autres organisations de l'extrême-gauche.

Cet aspect « organisationnel » de la construction consciente d'un noyau de partis et d'une Internationale révolutionnaires, même lorsqu'il représente encore une force très limitée - et plus précisément la compréhension du fait que toutes les questions politiques ont des implications organisationnelles - constitue un des aspects fondamentaux du léninisme. La conception selon laquelle une organisation adéquate émergera «spontanément » de grandes luttes, qu'une nouvelle direction émergera « spontanément », qu'une stratégie adéquate peut être élaborée «spontanément», ou qu'elles pourront développer pendant une brève période de crise révolutionnaire, est totalement idéaliste.

Il est vrai que les larges masses ne pourront atteindre une conscience de classe révolutionnaire, c'est à dire rompre fondamentalement avec le réformisme, que dans des conditions d'explosions de lutte de masse révolutionnaires qui sont par nature déterminées dans le temps. Mais l'organisation et la direction capables de fusionner avec ces luttes et qui, ce faisant, se transforment d'ailleurs aussi elles-mêmes, doivent être préparées longtemps à l'avance. Voilà un des fondements de la dialectique des révolutions que Lénine fut le premier à comprendre et à mettre en pratique: la dialectique entre la création d'une organisation de cadres et l'émergence d'un parti de masse révolutionnaire. Le Parti bolchévik de masse de 1917, avec une politique révolutionnaire correcte, était précisément le produit d'années de travail de préparation d'une organisation de cadres qui n'était pas encore un parti de masse, organisation qui devait être créée avant les explosions révolutionnaires de 1905 et de 1917. L'idée qu'il faille «attendre» de grands événements avant de commencer à construire le parti et l'Internationale révolutionnaires est en rupture totale avec cet aspect fondamental du léninisme et une rechute dans le spontanéisme qu'il avait si ardemment combattu.

Cela se dégage clairement d'un examen des erreurs commises avant 1917 par les grands révolutionnaires que furent Trotsky, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, erreurs qui ne diminuent en rien leurs énormes mérites et leur clairvoyance programmatiques qui quelques fois dépassa celle de Lénine avant 1914 ou 1917. Ce ne fut pas un geste déclamatoire de la part de Trotsky d'affirmer que, sur cette question décisive, Lénine avait eu raison contre tous ses adversaires dans le mouvement ouvrier, et que ce fut de cette question que dépendait en définitive l'issue de la révolution.

Avant 1914 et même avant 1917, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ne furent pas confrontés en Allemagne avec la perspective immédiate de construire un parti révolutionnaire de masse. Il fallait précisément la révolution de 1918, et les luttes explosives qui lui firent suite, pour que des secteurs importants du prolétariat puissent rompre avec le réformisme et le centrisme. Par aucun acte «volontariste », Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht n'auraient pu construire un parti révolutionnaire de masse avant 1918. Mais ce qui était possible en Allemagne avant 1914, c'était le regroupement dans une organisation de cadres des ouvriers avancés, des jeunes et des femmes qui avaient rejeté déjà l'orientation réformiste de la direction du SPD et des syndicats. Cette organisation qui aurait déjà pu compter des milliers de militants éduqués et entraînés, aurait pu fusionner en un parti révolutionnaire de masse sur la base d'une direction solide avec des dizaines de milliers de travailleurs d'abord, des centaines de milliers ensuite qui entre novembre 1918 et fin 1920, étaient en voie de rupture avec le réformisme et le centrisme, et sans lesquels toute possibilité d'une victoire révolutionnaire en Allemagne aurait de toute façon été du bavardage vide de sens.

La tragédie de la révolution allemande, c'est que quand la guerre éclata, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht avaient à peine quelques centaines de militants autour d'eux, et qui n'étaient même pas politiquement homogènes. Lorsqu'éclata la révolution de 1918, ils étaient dans l'impossibilité d'influencer la montée du mouvement de masse en profondeur. Rosa Luxemburg fut même défaite au sein de sa propre organisation dans sa lutte contre un cours fatalement ultra-gauche en novembre 1918-janvier 1919.

Avant 1917, Trotsky commit la même erreur désastreuse. Non seulement il ne rejoignit pas les bolcheviks, ce qui fut la plus grande erreur de sa vie, mais il ne construisit même pas une organisation de cadres solide pour défendre sa propre ligne. Par conséquent, il entra dans la révolution russe de 1917 avec un programme excellent et correct, un petit nombre de cadres brillants et quelques milliers de sympathisants - le groupe des « inter-rayons » Mezhrayozniki- c'est-à-dire des forces organisées tellement réduites qu'elles n'avaient aucune chance de construire un parti révolutionnaire de masse qui aurait pu influencer de manière décisive le cours des événe- ments.

Ce qui est justement impossible, c'est de passer de rien ou de quelques centaines ou même quelques milliers de militants à un parti révolutionnaire de masse au sens réel du terme, même dans la situation la plus révolutionnaire.

Lénine par contre, avant la révolution, et même dans les périodes de pire réaction, continua avec obstination de construire et de conserver une organisation de cadres qui, en fonction des dimensions organisationnelles qu'elle finit par atteindre progressivement, put fusionner avec de larges courants des masse et devenir un parti révolutionnaire de masse entre février et octobre 1917. Il fallait évidemment une orientation politique correcte pour ce faire, obtenue grâce aux Thèses d'avril. Mais, même avec la meilleure orientation politique du monde, la révolution d'octobre n'aurait pu triompher si ce parti de masse n'avait pas existé. Et ce parti de masse n'aurait pas pu se construire sans la formation et la consolidation patiente des cadres bolcheviques pendant les quinze années précédentes.

Contrairement à ce que prétend une légende qui a la vie dure, les marxistes-révolutionnaires russes ont crû numériquement de quelques dizaines avant la fin du 19e siècle à quelques milliers en 1905 et à quelques 15 à 20 000 en février 1917. C'est à partir de cette base solide qu'ils ont construit un parti de masse de 240 000 membres en octobre 1917.

Il faut donc éviter de répéter les erreurs spontanéistes de Rosa Luxemburg et de Trotsky en ce qui concerne la construction d'une organisation de cadres, - et sur le plan national et sur le plan international. L'absence de partis révolutionnaires de masse n'est jamais une excuse pour ne pas construire une organisation de cadres s'il y a programme commun et orientation politique générale commune. Cela est vrai à l'échelle nationale. Cela s'applique de même à l'échelle internationale. Tout le reste, c'est rompre avec la conception léniniste de l'organisation, c'est-à-dire retomber dans des illusions spontanéistes grossières.

La IVe Internationale aujourd'hui

C'est cette leçon fondamentale de pratique politique que la IVe Internationale applique aujourd'hui. Elle sait qu'elle n'est pas encore une Internationale révolutionnaire de masse, et que celle-ci surgira de luttes de masse et de développements révolutionnaires de grande ampleur qu'on ne peut pas précipiter artificiellement. Mais elle sait aussi qu'il est vital de préparer de tels partis et une telle Internationale dès maintenant. Et cela ne peut se faire qu'en construisant dès maintenant des organisations nationales et une organisation internationale les plus fortes possibles.

Les activités et les campagnes de la IVe Internationale ne reflètent pas des préoccupations sectaires ou de simples gadgets, mais répondent aux besoins réels de la lutte de classe internationale. C'est pourquoi elles aident le processus de construction simultanée d'organisations révolutionnaires nationales et d'une Internationale révolutionnaire, les progrès réalisés à l'échelle nationale contribuent à la construction d'autres sections et à celle de l'Internationale toute entière. Voici quelques exemples concrets qui le démontrent :

-Le rôle important de la J.C.R. dans l'explosion de mai 68 en France, et la création de la LC qui en résulta - avec une aide réelle de l'Internationale - représenta un pas en avant important pour la construction du parti en France. Mais ce pas en avant aida énormément la construction de la IVe Internationale dans son ensemble et celle de nombre d'organisations nationales. Toute une série de sections d'aujourd'hui -la section espagnole, la section suédoise, la section britannique, la section des Antilles, pour ne prendre que les exemples les plus directs -, doivent soit leur existence soit une partie majeure de leur force au fait qu'elles résultent de ce succès réalisé en France.

-La campagne pour sauver la vie de Hugo Blanco était une exigence objective de solidarité internationale avec la lutte des masses paysannes péruviennes, indépendamment de toute considération de recrutement et de construction du parti. Mais précisément parce qu'elle correspondait à des besoins objectifs de la lutte de classe, elle permit aussi un pas en avant important dans la construction du Parti. Hugo Blanco est aujourd'hui le leader le mieux connu parmi les masses de toute la gauche péruvienne, président de la Confédération Nationale des Paysans et député à l'Assemblée Nationale. Tout cela fut acquis aussi grâce à l'appui de l'Internationale, et a contribué à la fois à la construction de la section péruvienne, à la construction de sections dans d'autres pays d'Amérique latine, et à la construction de la IVe Internationale dans son ensemble.

-La campagne contre la guerre du Vietnam correspondait à des considérations objectives. Elle aurait dû être menée même si elle n'avait pas conduit au recrutement d'un seul membre. Mais il était crucial, non seulement pour le résultat atteint par le mouvement anti-guerre aux États-Unis mais pour la construction de partis dans de nombreux pays et pour la construction de la IVe Internationale, qu'il y avait aux États-Unis une organisation marxiste-révolutionnaire comme le Socialist Workers Party, en solidarité politique avec la IVe Internationale, bien que non affiliée à elle. L'existence de cette organisation et le rôle qu'elle a joué au sein du mouvement anti-guerre ont contribué à la construction de sections comme celle d'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Grande-Bretagne, et ont eu des effets positifs pour l'ensemble de la IVe Internationale.

-La campagne de la IVe Internationale contre le procès de Burgos fut dictée par des besoins objectifs de solidarité internationale. Mais ses résultats, reflétant précisément ce caractère objectivement correct de la campagne, n'ont pas seulement contribué à sauver la vie des militants mais aussi à gagner tout un secteur des révolutionnaires nationalistes basques à la section espagnole de la IVe Internationale.

De telles activités internationales - et les gains organisationnels qui en résultent - n'impliquent en rien des rapports sectaires avec d'autres courants révolutionnaires ou des tendances évoluant vers la gauche au sein du mouvement ouvrier de masse. Au contraire, elles aident à développer des rapports fraternels avec de telles tendances. Des révolutionnaires sérieux ne sont guère repoussés par l'aspect « organisationnel » de nos activités. Ils se déterminent à notre égard en fonction de rapprochements ou de désaccords politiques. Les campagnes menées par la IVe Internationale en solidarité avec la révolution algérienne, vietnamienne, nicaraguayenne, salvadorienne, avec la lutte à Grenade ou avec la montée impétueuse du prolétariat polonais, n'ont guère provoqué une tension dans nos rapports avec le FLN algérien, avec les révolutionnaires nicaraguayens, salvadoriens ou de Grenade, avec les forces qui commencent à agir pour la renaissance du marxisme-révolutionnaire en Pologne, bien au contraire. Tous ceux qui sont engagés dans ces luttes sont des gens fort pratiques. Ils jugent d'autres forces politiques non pas en fonction de ce qu'elles disent mais en fonction de ce qu'elles font. L'existence d'une organisation internationale capable de mener des campagnes de solidarité et d'autres activités internationales, est aujourd'hui un des principaux atouts des marxistes-révolutionnaires, non seulement de par ses résultats politico-organisationnels, mais aussi en vue d'établir des contacts avec d'autres courants révolutionnaires ou évoluant vers la gauche.

En résumé, ce n'est pas seulement la théorie, ou l'expérience des partis de masse de l'Internationale Communiste, mais l'épreuve concrète de la lutte de classe durant les dernières décennies qui confirment que la construction d'organisations révolutionnaires à l'échelle nationale et la construction immédiate d'une Internationale révolutionnaire ne s'opposent pas l'une à l'autre, mais dépendent l'une de l'autre. Ce sont les deux tâches organisationnelles centrales et combinées que tous les révolutionnaires, qui comprennent à fond la dynamique de la révolution permanente, doivent résoudre conjointement.

Ernest Mandel et John Ross, Février 1981

Notes:

  1. La bourgeoisie comprend fort bien cet aspect du problème. Nous lisons dans Buisiness Week (n° du 24 novembre 1980): « La règle d'or des compagnies multinationales, dans leurs relations avec les syndicats, a toujours été celle d'empêcher les syndicats de gagner suffisamment de puissance pour pouvoir négocier sur une base multinationale. Ces compagnies ont par exemple toujours refusé de négocier avec des fédérations syndicales internationales ».
  2. Même la zone géographique dans laquelle les fondateurs du marxisme se sont formés n'est pas accidentelle. La Rhénanie était allemande culturellement et du point de vue linguistique; mais elle avait été totalement transformée politiquement et socialement sous l'impact de la Révolution française. Marx est pour ainsi dire né de deux cultures, l'allemande et la française. La composante britannique fut apportée non seulement par ses propres études, mais par l'effet décisif de son amitié avec Engels qui vécut en Grande-Bretagne. Marx lui-même a affirmé que les deux ouvrages de jeunesse d'Engels, rédigés sous l'impact de son expérience britannique - « La Condition des Classes Laborieuses en Angleterre » et « Esquisse d'une critique de l'économie politique », ont eu une influence cruciale sur lui.
  3. Rosa Luxemburg: « Sämtliche Werke », vol.4 p. 46 (Dietz-Verlag, Berlin 1974) (notre propre traduction)
  4. Ses conclusions organisationelles, résumées sous forme de thèses, sont d'une clarté lumineuse: « L'internationale, en temps de paix, décide des tactiques à adopter par les sections nationales sur les questions du militarisme, de la politique coloniale, de la politique commerciale, de la célébration du Premier Mai et, finalement, de la tactique collective à appliquer en cas de guerre... La patrie socialiste, à laquelle tout le reste doit être subordonné, c'est l'Internationale socialiste » (Ibidem, pp. 46-47) (notre propre traduction).
  5. Voir exemple Lénine, «La Maladie infantile du communisme ».
  6. Lénine: « Les tâches du prolétariat dans notre révolution », in « Collected Works, tome 24, p.75 (notre propre traduction)
 

Contact webmaster

Avec le soutien de la Formation Leon Lesoil, 20, rue Plantin, B-1070 Bruxelles, Belgique